Cela fait plusieurs années que vous me savez engagée sur le sujet, et je vais mettre les points sur les “i” dès la première phrase : je ne suis pas une anti-traductions ! Loin de là. J’en suis d’ailleurs moi-même une consommatrice régulière et j’en apprécie un certain nombre. Si je rassemble toutes mes pensées sur cette newsletter, c’est davantage pour sensibiliser plutôt que de livrer une guerre insensée.
Mais force est de constater une perte de vitesse face à nos “concurrents” anglo-saxons. D’après l’étude de l’Observatoire de l’Imaginaire datant de 2022, 50% des titres sortants sont des traductions (toutes langues), contre naturellement 50% d’auteurices francophones (je regroupe sous le terme francophonie les livres français, métropole ou DROM-TOM, mais aussi suisses, belges, luxembourgeois, québécois, pays internationaux parlant français…). Alors, pourquoi cette mise à l’écart, chaque fois que je me rends en grande surface littéraire (type FNAC, Cultura, Decitre…). J’ai fait le décompte, la dernière fois, sur la table des mises en avant rayon fantasy. 33 livres mis en avant ; 4 francophones seulement (ou peut-être me suis-je fait berner… cf. le paragraphe ultérieur sur le camouflage des auteurices). Les autres sont généralement planqués dans les rayons ou sous la table, quand les libraires ont fait l’effort de les commander pour les présenter. Nous sommes loin, très loin de la parité. L’inégalité des traitements est présente dès le contrat mais, jusque dans les mains des lecteurices, nous, auteurices, ressentiront la différence. En mieux comme en moins bien.
Mon but, ici, n’est pas de dévaloriser ce qu’on appellerait des “mastodontes” (polémique du Skyrock des années 2010, toi-même tu sais), mais de mettre à plat les constatations, observer les comportements des lecteurices et auteurices sur les réseaux, et de trouver des angles d’attaque pour des solutions justes et équilibrées. Les traductions méritent entièrement leur place dans nos bibliothèques. Et cela doit-il se faire au détriment d’une francophonie étouffée, écrasée avant même d’exister ? Je suis comme l’Avatar : je préfère défendre la vie en harmonie !
Ahoy, missa Ielenna ! Ca fait 20 ans que je saoule tout le monde sur internet et l’écriture est mon sujet de prédilection ! Depuis 15 ans environ, je fréquente les sphères plus ou moins professionnelle du livre et je vois le milieu évoluer (parfois à vitesse grand V, parfois trop lentement sur d’autres sujets), et j’adore en parler ! Car le changement des pratiques et des paradigmes modèlent nos créations.
J’ai un humour douteux et une propension à partager des gif sortis d’un autre monde pour compenser mon asociabilité. J’aime partager mes connaissances, me nourrir de celles des autres, et je milite pour une littérature de l’imaginaire bienveillante, inclusive et engagée. Cela fait de moi une woke, mais j’ai pas encore l’option sauteuse (j’avais prévenu que mon humour était déficient). Mais surtout, une littérature créative, qui se libère des carcans des attendus et des standards. Ce dont nous allons aussi en partie parler aujourd’hui…
Vous avez tout à fait le droit de ne pas être d’accord avec moi et de l’exprimer (tant que vous n’utilisez pas l’emoji 🙂 qui me file des boutons avec son regard psychopathe condescendant. Vous trouvez pas ?). On est là pour “grandir” ensemble, dans l’intérêt de nos belles littératures. Soyons productif.ves dans nos échanges ! Je ne suis pas là pour vous dire quoi répéter, quoi penser ; juste là pour partager mon opinion, mes réflexions, histoire qu’on avance dans la même direction. La communication, c’est important !
Vous êtes 976 pipous ici, on approche des 1000 (et de ma syncope, par la même occasion). It’S Un-bELI-Veu-bEUL ! J’essaie peu à peu de reprendre ma régularité sur cette newsletter à l’approche de la fin de mes deadlines, alors n’hésitez pas à vous abonner si ce n’est pas déjà le cas !
Maintenant, accrochez votre ceinture, on part pour un voyage international ! Et je préfère prévenir : je suis vénère et aigrie. Comme d’hab, cette news est trop longue pour le mail, donc ouvrez-la sur l’appli pour la lire en entière !
✨ Un succès qui dure
A chaque début de lettre, je joue un peu ma Freud, en vous proposant un petit zoom sur mes jeunes années, sur comment j’ai abordé la littérature en tant que petiote puis ado. Vous vous dites peut-être que c’est saoulant, mais ça n’en reste pas moins une réalité : ce qui nous nourrit durant l’enfant conditionne l’adulte que nous deviendrons. Ce qui nous entoure nous permet d’étendre notre répertoire des connus. De ce qui est accepté ou non, des comportements adaptés pour rejoindre les “normes”, en tant que créature sociale. Dans ce bouillon de culture se détachent les premières inégalités. J’ai eu la chance de grandir dans un milieu privilégié, avec de nombreuses lectures à disposition, où la culture faisait partie intégrante de la vie de famille (nous avons une fibre très artistique, notamment avec pas mal de musiciens professionnels). Et d’ailleurs, intéressez-vous également à votre propre parcours, ils en disent beaucoup sur la personne que vous êtes. Je ferme là ma parenthèse psychanalyse à deux kopecks.
J’ai donc grandi par les littératures jeunesses de la France des années 90-2000. A l’époque, on m’a fait lire du Daniel Pennac, des livres comme Le Faucon Déniché de Jean-Côme Noguès (publié en 1972), des bibliothèques roses et vertes et mauves et kaki en veux-tu en voilà, avec le club des 5, des 7, des 42. Bref. Un méli-mélo de couleurs et de chiffres, mais rien de super actuel quand on y repense… A cette époque, la littérature jeunesse souffrait de l’élitisme français qu’on connaît tant. Ce qui est destiné aux enfants ne vaut aucun intérêt, alors pourquoi continuer d’en écrire ?
Et puis, il y a eu une petite bombe dans le milieu. Il y a eu Harry Potter, cet ovni venu de Grande-Bretagne. A partir de là, tout a changé. Les librairies se sont achalandées de plein de titres nouveaux. On a eu le droit aux Orphelins Baudelaire, A la Croisée des Mondes, Eragon, à des titres plus anciens qui, jusqu’ici, n’avait pas eu leurs heures de gloire (car pas digne d’intérêt, c’est du jeunesse quoi !), comme Narnia. Et côté français, on a eu aussi nos belles surprises, avec notamment Pierre Bottero et Erik l’Homme.
Mais déjà à l’époque, une différence : le multimédia. Dans les années 2000 (jusqu’au début des années 2010), on avait presque l’assurance d’un best-seller se verrait adapté au cinéma d’une manière ou d’une autre. Les univers des livres anglo-saxons touchaient plus de cibles, vivaient plus longtemps. Au collège, on organisait nos sorties ciné en fonction des Harry Potter, au lycée des Twilight (pour la plupart de mes amies. Personnellement, j’avais, à l’époque, adoré le premier livre, et après, je suis devenue une Twilight-hater. J’ai eu mes périodes), à l’université des Hunger Games.
L’impact de ces œuvres était juste démentiel ! Et comme j’en parlais dans ma lettre sur les rêves démesurés et inatteignables des auteurices, on se projetait tou.te.s, aspirant.e.s, dans ce genre de success story. Personnellement, je sais qu’un temps, j’ai “délaissé” les oeuvres francophones, que je jugeais “pas assez bien”, puisque je pensais que le succès était le reflet de la qualité intrinsèque. Oui oui, vous avez le droit de dire que j’étais complètement stupide. Stupide… ou finalement ai-je suivi cette espèce de canon event par lequel on passe tou.te.s ?
Vous vous doutez, j’ai déchanté. Le voile s’est levé et j’ai fréquenté les événements francophones avec un œil nouveau. Le plus petit auteur francophone me paraissait être une célébrité et je visais des maisons d’éditions, aujourd’hui considérées comme petites, car je me disais que c’était déjà le Graal ! (le doux paradoxe des auteurices qui veulent la gloire, mais n’ont pas toujours les ambitions adaptées pour) J’ai pris en affection toute cette sphère des petits oubliés, ceux qu’on ne voit jamais en librairie, les premiers auto-édités. Les fameux “autres” des Imaginales, ceux qui ne sont pas dans la bulle. Je suis devenue l’une d’entre elleux, quand j’ai publié les Fleurs d’Opale. Et nous avions à coeur de nous porter les un.e.s les autres.
Petit pas en arrière ; quand j’ai initié cette avancée vers un semblant de professionnalisation, j’ai commencé à m’intéresser aux modes. Je faisais beaucoup de veille de marché. Et dans les années 2010, les rayonnages étaient blindés d’Urban Fantasy, d’histoires de vampires, de zombies, de loups-garous… Et moi, avec mes Fleurs d’Opale, je me disais, j’espérais “un jour, la fantasy féminine avec de la romance à la première personne sera à la mode !”.
Appelez-moi madame Irma.

✨ L’hégémonie des romantasy
Fin des années 2010, on a eu une nouvelle petite bombe dans les rayons, sous le nom de A Court of Thorns and Roses (aka ACOTAR), écrit par Sarah J. Maas. Le livre a révolutionné l’attrait à la lecture, proposant des semblants de grilles féministes à des lecteurices peut-être un poil fatiguée de finir garde-manger soumise d’un vampire millénaire ou d’un loup-garou impulsif (faut dire qu’ils ont les crocs ! … voilà).
Au début, j’étais ravie ! Vraiment, je me suis dit que c’était l’aubaine du siècle ! Et d’ailleurs, les Fleurs d’Opale ont vraiment bénéficié de cette mode, puisque, les deux premiers volumes sortis en 2017, j’ai pu satisfaire cette part du lectorat qui découvrait ce nouvel univers. De la fantasy accessible aux femmes, c’est fou, non ? Loin des fantasy BEAUCOUP TROP BRANLO-COMPLEXES des mecs blancs de 50 ans avec des worldbuilding en “pages jaunes mode” et qui te dépeignent les jeunes nenettes comme de belles lampes sexy (coucou male gaze).
Puis, j’ai tenté. J’ai lu ACOTAR. Spoilers : j’ai détesté mon expérience. J’ai pas compris. On m’a dit “vas-y, insiste, poursuis, c’est dans le deuxième que ça commence à être cool” (aka Rhysand badboy ténébreux option sarcasme et Saint-Agaûne dans le froc apparaît). Non. J’avais assez donné. En fait, ce n’était clairement pas pour moi. Ce n’était pas non plus ce que je recherchais… Mais tant mieux si ces livres offraient une porte d’entrée pour de nombreuses lectrices ou étaient appréciés par des régulières !
Thing is ; le succès monumental d’ACOTAR a vu émerger plein de petits clones, pourvu de quelques originalités propres histoire de les démarquer. Si la fantasy était enfin devenue accessible, à la mode, je l’ai trouvée, un temps, bloquée dans un moule. Comme si on nous vendait plein de cupcakes, avec toujours la même recette, seulement le colorant qui change. Et les sprinkles. Aujourd’hui, j’ai l’impression que les gens commencent à en être conscients et à se lasser. Mais il faut dire qu’un bébé devenu monstre est apparu sur le marché, avec des idées marketing révolutionnaires.
Vous voyez très bien de qui je veux parler : De Saxus. J’ai personnellement découvert cette maison d’édition pendant le Covid, intéressée par le Prieuré de l’Orangé, son premier titre, que je voyais comme un univers prometteur, proposant autre chose qu’une romance hétéronormée. Puis j’ai déchanté, à la suite d’une commande que j’avais passé à mon libraire adoré, pour la Saison des Tempêtes. Commande annulée sans motif, sans raison. Le pire dans tout ça : ils ont accusé le libraire d’être le responsable de cet échec, dans un MP particulièrement virulent, pour ne pas dire condescendant. J’ai ensuite appris par la suite comment DeSaxus traitait les libraires. N’envoyant que la moitié des stocks commandés ou, comme l’a fait ensuite la ME Hugo Publishing, accepter de fournir des librairies en reliés collector méga deluxe… uniquement si le double de brochés étaient pris dans le lot (soit un taux démentiel de retours, vous vous en doutez ! Très peu de brochés se vendent en comparaison des reliés quand les deux formats sont disponibles (j’ai des chiffres, mais je ne sais pas si j’ai le droit de les partager, cette étude est assez confidentielle, on m’a demandé expressément de ne pas la diffuser, alors qu’elle est hyper intéressante. Mais elle ne ferait clairement pas plaisir aux ME, vu que les vrais chiffres sont révélés héhé) Ce qui est catastrophique pour les statistiques d’une librairie, en plus d’être une perte de temps immense, avec une charge de manutention, ton ergonomie tu sais…).
Mais j’ai vite compris qu’en plus de sa gestion hasardeuse, De Saxus se donnait une ligne de conduite : QUE des traductions. Là-dessus, j’avais déjà un peu en travers de la gorge Lumen, une maison d’édition extrêmement qualitative, mais qui ne publiait que des titres traduits. Une porte fermée d’office pour les auteurices francophones. D’autant plus frustrant quand on voit la beauté de leurs couvertures, de leurs stands en salons, le travail fourni sur les objets-livres. Un véritable supplice de Tantale. Et l’incompréhension aussi de “pourquoi les ME francophones ne fournissent pas le même travail ?”. La réponse est celle qui répond à 80% des questions de l’univers (notamment : “qu’est-ce que me veut encore l’URSSAF ?”) : la moula.
✨ Sous les projecteurs
(Papillon de Lumière…)
Avec l’avènement de sphères comme Booktok, Bookstagram, la communication autour des livres a drastiquement changé. Et cela s’il apporte des choses magnifiques, il crée aussi un cercle peu vertueux pour la francophonie.
Exemple en mots clés :
Livres anglo-saxons publiés > les best-sellers (un petit pourcentage) font beaucoup parler d’eux > le booktok mondial (car c’est vraiment le marché américain qui donne le la) en entend parler > des deals de traductions sont convenus > le livre bénéficie déjà d’une énorme visibilité avant de sortir en France, il est précommandé en masse > les maisons d’éditions ont donc l’argent nécessaire pour investir correctement dans la communication de ces titres > le livre est très mis à l’avant > il arrive encore plus facilement entre les mains des lecteurices “ignares” (à savoir celleux qui ne sont pas sur Booktok) > comme ils sont généralement “bien” (sinon, ils n’auraient pas été best-sellers et traduits), ils vont conquérir le lectorat. > comme ils marchent encore mieux, on gagne du flouz > puisqu’on a du flouz, on va sortir des éditions collector MEGA BELLES ET MEGA CHEROS > ça attire encore plus de monde > on va dire qu’il s’agit d’une réussite dans les ventes, alors qu’une partie des gens ayant acheté le collector auraient été tout aussi contents d’acheter une boîte qui chatoie, vu que l’intérieur leur est complètement égal et que le livre terminera sa vie dans la MAL (Montagne à Lire) avant de finir sur Vinted avec l’effet spéculatif.
(oh damn, on sent que je suis aigrie, pas vrai ?)
Parfait. On va faire la même chose pour les titres francophones.
Livre francophone publié > la maison d’édition n’a pas forcément l’argent et les moyens pour permettre une bonne communication/distribution/diffusion > pas de mise en avant > comme on sait pas trop ce que c’est, les précommandes sont très limitées > il arrive entre les mains des lecteurices par curiosité > comme il n’y a pas beaucoup de retours sur les réseaux sociaux (normal, la francophonie est le premier public des livres francophonies !), les lecteurices ne veulent pas prendre le risque d’investir à côté des “valeurs sûres” > le livre se vend plus ou moins > il tombe dans l’oubli. Au mieux il a le droit à une traduction européenne. Youpi. > les maisons d’édition ne veulent plus miser sur des titres francophones parce que c’est pas rentable.
Même si parfois, on assiste à des petits miracles. Soit parce que les ME ont ENFIN décidé de véritablement miser sur un projet, avec une vraie campagne de précommande, un véritable travail sur le livre, et ça marche (on va pas se le cacher, le marketing, ça se maîtrise), soit parce qu’on a le droit à l’exception qui confirme la règle. Avec plus ou moins de facteurs qui y contribuent (on va y revenir).

On serait tenté de me dire :
Oui, mais bon, j’ai lu des francophones, et j’ai pas été hypée !
C’est normal, Jean-Eudes, la hype se vit en groupe. Si j’en reprends la définition, “la hype provient d’une diffusion massive sur tout type de support”. Hors, il sera bien plus facile de trouver son compte dans un livre déjà vendu 100k d’exemplaires à l’étranger et attendu comme le Messie qu’un francophone qui vient de sortir dans les bacs, aussi démuni qu’un nouveau-né donné aux vautours avec la bouche en coeur. Un énorme écrémage est fait au niveau des traductions, qui en résulte une impression “d’excellence”. De bangers hypés sur bangers hypés. Mes chiffres sont complètement hasardeux (oui, je précise quand c’est sourcé), si tu lis un livre issu d’une traduction anglo-saxons, il fait partie des - admettons - 10% meilleurs livres locaux, d’où la traduction qu’il a mérité. Donc “100%” de tes lectures seront “bonnes” (selon les critères), puisqu’il s’agit de ces “10% meilleurs”. Si tu lis un francophone, tu n’aurais qu’une chance sur 10 (d’obtenir ce même résultat) (et je rappelle que j’ai dit que mes chiffres c’était de la merde et basé sur du rien, mais je ne vois pas comment expliquer autrement le concept). Il n’y a pas de tri dans le francophone. De ce fait, on pourra se dire “les livres francophones sont moins bons”. Non. C’est juste que ton choix se porte sur une entièreté de répertoire, où tu seras cobaye, plutôt que consommateurice d’une sélection du “meilleur”. Parce que crois-moi, lecteur, lectrice, si tu ne lisais QUE des livres issus des “10%” meilleurs francophones, tu n’aurais AUCUNE raison de retourner vers de la trad (c’est mon côté chauvin).
Disons que je ne suis pas pour me - ou pour nous - porter victimes d’un système. Mais la consommation de la lecture en 2025 est tellement intéressante d’un point de vue sociologique, cela mériterait des études plus poussées, sur l’influence du marché américain. Et comme cela conditionne nos propres créativités, nos façons d’écrire (alors qu’écrire en anglais et en français est très différent, j’y reviendrai !), car beaucoup se cantonnent à reproduire des schémas qui marchent pour espérer monter dans le train de la hype.
Parce que oui, je parle bien des traductions anglosaxonnes. Connaissez-vous des fantasy allemandes ? Italiennes ? Espagnoles ? Le seul titre européen que je peux vous nommer (Grande-Bretagne excluse, car ils ont l’avantage de la langue), c’est The Witcher qui nous vient de Pologne. Rien d’autre (j’ai sûrement aucune culture ahaha). Nos propres titres francophones, quand ils sont traduits, le sont en italien, en espagnol, en hongrois (en russe, pour ma part). Mais un passage vers l’anglais est extrêmement rare, et souvent considéré comme le Graal. Ou même d’ailleurs hormis pays anglo-saxons (même si on commence à voir émerger des titres comme Le Problème à Trois Corps, qui est chinois), il n’existerait pas d’auteurices de SFFF argentins, islandais, philippins ou égyptien (je mets à part le côté manga qui est un support média différent, mais qui n’en reste pas moins un support pour raconter des histoires SFFF). Les anglo-saxons ont le MONOPOLE de la littérature de l’imaginaire young adult et new adult, où la francophonie va surtout devenir un “truc de connaisseureuses”, pour les fins palets, les plus exigeants, mais pas un choix de première intention. Surtout pour les jeunes qui sont surtout à la recherche du dernier truc à la mode (et je peux pas le leur reprocher, j’ai été exactement la même !)
Attention, quand même, je tiens à le rappeler : certain.e.s lecteurices se dirigent uniquement vers les traductions, car c’est là-dedans qu’on retrouve le plus de romans own voices (rédigés par des personnes concernées). L’édition francophone souffre encore de terribles travers. Là-dessus, je peux entièrement rejoindre ces points de vue, car le risque de tomber sur des écrits racistes, homophobes, validistes ou classistes dans des œuvres francophones n’est vraiment, mais vraiment pas négligeable… Il y a d’énormes progrès à faire. Donc si vous vous dites “elle nous casse les gonades, Ielenna, à déjà vouloir nous faire culpabiliser de lire des traductions alors qu’on passe notre temps à se manger des micro-agressions dès qu’on ouvre un bouquin francophone”, sachez que ce n’est pas le propos et que je fais la nuance sur cette thématique. Continuez à lire les livres qui vous font du bien, j’ai absolument rien à redire dessus. 💖 Ce n’est pas normal qu’on doive en arriver là et vraiment, la francophonie doit progresser, de manière urgente et consciente.
✨ Se camoufler
J’ai remarqué que beaucoup de titres francophones qui fonctionnent (pas tous, attention, not all authors) présentent des auteurices… sous pseudonyme pouvant être considéré comme anglophone. C’est clairement plus simple de se vendre en tant que L. K. Brightwind plutôt que comme Lisette Durant (même si les noms francophones pourraient revenir à la mode… à l’étranger. Mais en francophonie, ça donne pas envie). Et d’ailleurs, certaines maisons d’édition demandent EXPRESSEMENT à leurs auteurices de prendre un pseudonyme anglophone. Oui oui. Vous vous rendez compte ? On en est là !
Quand on voit des catalogues comme ceux des éditions Bookmark, Korrigan ou Addictives, par exemple, on peut jouer au jeu “traduit ou franco ?” à chaque pseudonyme vaguement anglophone. Là-dessus, je suis sûre que je me suis faite douillée, sur la petite étude que j’ai menée et dont je vous ai parlée en introduction.
Sur un malentendu, les lecteurices achèteront les yeux fermés, parce la couverture et le résumé sont tentants, et se dire “bon, si c’est traduit, ça signifie que c’est bien !”. Et, SURPRISE ! Beaucoup découvrent par derrière la réelle identité. Alors, ça fait surtout des heureux.ses, notamment pour les séances de dédicaces. Mais quand même. On en est à CE POINT de subterfuge pour espérer obtenir les bonnes grâces de notre public, c’est fou non ? Je me suis faite avoir aussi, hein. J’ai mis un temps fou à comprendre que Sarah Rivens était francophone, ahaha.
J’ai aussi vu des auteurices se dire “si je ne fonctionne pas en France, je vais écrire en anglais, soumettre à l’étranger, et espérer une traduction”. Voilà. De nouveau, on est à ce point de noeuds au cerveau pour un poil de reconnaissance par le public français. What the-. (je mets à part les auteurices francophones qui pensent passer par ce biais, parce que le monde de l’édition francophone est encore hélas teinté de racisme et d’islamophobie).
Personnellement, je n’ai jamais réfléchi à prendre un pseudonyme anglophone. Ielenna est l’identité que je revêts depuis 2006. J’ai peur de perdre énormément de lecteurices en cours de route. La seule chose qui me forcerait à le faire serait un énorme contrat, qui me garantirait un espèce de retour sur investissement. Mais recevoir 1000€ d’à-valoir pour me faire un alias et perdre par la même occasion toute ma belle communauté (ou même juste le sentiment de l’avoir trahie), très peu pour moi. Ou alors que ça soit complètement assumé, mais je ne sais pas, ça ne me correspond pas. Je ne veux pas faire partie du problème. Au problème, je voudrais le résoudre. Faire prendre conscience aux lecteurices de leurs biais inconscients. Qu’on n’ait plus à se camoufler derrière des Jessica Bringfire et des R. H. Powers.
Mais comment se camoufler si ta simple identité francophone te vaut une qualité de livre moins bonne que les titres traduits ? Si vous vous rendez aujourd’hui dans le rayon fantasy adulte d’une FNAC, vous retrouverez en très grosse majorité des reliés jaspés de toutes les couleurs, voire sous plastique. Ce qui se vend le plus, car ce qui rapporte le plus de likes sur les réseaux, ce qui éveille le plus l’envie de nos commus et de nos concurrents, parce qu’on aime jouer la cour des paons. Les poches, c’est pas sexy. Alors qu’avec le prix d’un relié, on pourrait acheter trois poches, soit trois livres et trois aventures au lieu d’une. Le paraître semble beaucoup plus important que la substance de la lecture. Lire, c’est pas sexy. Seulement quand t’as mis de l’argent dedans et que tu peux le montrer.
Anyway. Comme je le disais au-dessus, le fait est que certaines ME ne veulent pas forcément miser sur les francophones. Alors pour leur offrir des éditions collector de toute chatoyance, ils se montrent encore plus frileux. Ou parfois, quand ils le font, c’est un mi-flop, car tous ne savent pas le faire correctement *tousse tousse*. Mais c’est toujours le souci ! Les client.e.s veulent des livres toujours plus beaux, plus collector, dans des box toujours plus belles, avec des goodies toujours plus deluxe… personne n’a les sous à mettre pour des francophones, c’est un énorme risque ! (même si là-dessus, on salue mille fois les éditions Gulfstream, qui proposent des livres uniquement francophones et extrêmement quali !) Et c’est au final même un avantage qui revient aux auteurices auto-édités, qui peuvent s’offrir de belles collections ou intégrales s’iels en ont envie, pourvu qu’iels en mettent les moyens !
Mais on pourrait parler très longtemps de la surconsommation dans le milieu de la lecture, de l’attrait du bling-bling et du principe de vendre des livres collector alors qu’on aurait mieux fait de vendre des jolies boîtes vides, puisque des gens achètent pour le paraître plus que pour le contenu : on s’éloigne du sujet, cela mériterait sa propre newsletter !
Et dernier point sur lequel on pourrait cet espèce de camouflage, ça se trouve à l’intérieur des lignes. La mode des points de vue, des temps utilisés, du vocabulaire, de la stylistique. La langue anglaise ne s’utilise pas de la même manière que la française. Les livres traduits que j’ai lus ces dernières années me donnent l’impression d’un style cinématographique, très visuel : phrases courtes, impactantes, l’action est valorisée à l’intériorisation, on va à l’essentiel, on veut du divertissement plus que de l’art réflexif. Et j’ai parfois l’impression que de plus en plus de livres francophones essaient de s’y conformer, car “c’est ce qui marche” (tout ceci reste basé sur mon impression, c’est très subjectif). Aussi, quand je lis des plumes qui manient le verbe au détour d’ambitieuses figures de style habilement maîtrisées, quel plaisir ! On pourrait m’accuser de classisme ; je rétorquerai que nous avons une palette immensément riche, en francophonie, et qu’on a tendance à s’en tenir aux couleurs primaires, et de s’en contenter, par prudence. Comme la solution de sécurité. Ce n’est pas mal, c’est juste dommage. La francophonie n’a pas à rougir de la richesse de sa langue. Pourquoi vouloir dissimuler nos atouts honteusement ? C’est un peu notre patte artistique identitaire, il n’y a d’ailleurs qu’à voir l’image que l’international a de la francophonie : un art pluriel, cosmopolite, bohème, créatif et révolutionnaire, dans tous les sens du terme.
✨ Les mauvais élèves ?
J’étais tombée il y a quelques semaines sur un TikTok dénonçant les auteurices francophones sur leur manière calamiteuse de gérer leur communication, de se vendre, de se présenter comme des figures publiques, avec tout ce que ça implique, au niveau de l’engagement, notamment social et politique (parce que la lecture et l’art sont politiques). Et même si on aurait pu être tenté.e.s de répondre “Not all french writers”, je pouvais entièrement comprendre le propos.
La plupart d’entre nous passons malheureusement pour des amateureuses. Nous n’avons pas tou.te.s bénéficié de formations en communication, en marketing, et les dérapages sont nombreux. J’ai vu passer des dingueries, et je ne parle pas seulement des personnes qui mélangent parfois un peu trop vie privée/vie d’auteurice sur un même compte (car on a aussi tendance à s’attacher à une personne derrière le livre). Les réactions à chaud, le fait de vouloir s’embourber dans des polémiques qui parfois nous dépassent, avoir un avis sur tout, râler… : bref, toujours vouloir faire la révolution. Et je m’inclue dedans. Cette lettre en est le parfait exemple.
Nous n’avons pas, derrière nous, des agents, des pros de la com’, pour nous coacher, à moins d'en mettre les moyens. Ce qui est plus courant aux Etats-Unis, par exemple. Ici, rien n’est filtré, et on voit enfler des affaires malheureuses, parfois même problématiques (oserai-je parler du fameux badge “auteur libre” qui avait circulé il y a un peu plus d’un an, pour soutenir le fait que les auteurices avaient le droit d’écrire ce qu’iels voulaient, y compris quand les propos étaient racistes ?). Et là où, à l’étranger, on aurait pu avoir des excuses publiques et un silence ensuite pour enterrer l’affaire, en France, on a clairement tendance à le prendre pour soi et ouvrir grand sa gueule dès qu’on est vexé.e.s, surtout quand il ne le faudrait pas, et ramener les copines version collège pour se défendre parce qu’on touche pas aux copines. Je sais pas, c’est fou cette différence culturelle. Vraiment, on a cette identité révolutionnaire pour le meilleur et pour le pire…
Nous ne savons pas nous vendre, déchiré.e.s entre nos images d’artistes torturés victimes d’un soi-disant syndrome de l’imposteurice option ouinouin (celleux qui font des tiktok pour se vendre qu’iels ne vendent pas assez. si si) et alpinistes de nos montagnes de la stupidité version Dunning-Kruger quand il s’agit de faire des leçons de morale et d’écriture du haut de nos 18 mois d’expérience dans le domaine. C’est actuellement un effort que nous devons nous-mêmes fournir. Et peut-être qu’un jour, des maisons d’édition nous épauleront pour donner à nos réseaux sociaux des directions mieux contrôlées. Savoir comment réagir face à des polémiques, comment gérer des interviews sans lâcher d’énormes dingueries sans conscience politique. Bref, qu’on arrête parfois de passer pour les gros losers de la classe au fond du bus qui pensent tout déchirer sous prétexte de “j’ai édité un livre”. Valoriser les sources, la conscientisation, les recherches, l’expertise, l’échange, plutôt que nos grandes gueules qui attrapent par le colback pour dire les termes et remettre l’église au centre du village tout en ne disant rien de constructif et d’intellectuellement nourrissant, ou du moins n’ouvrant aucun débat car aucun autre avis divergent n’est désiré.
✨ Sabotage en règle
Un dernier point qui mérite notre attention : la notation à la française. 🐓
Je ne sais pas vous, mais j’ai évolué en classe avec l’idée que la perfection n’existait pas. Ma professeur de français de 6ème nous avait expliqué qu’elle ne mettrait jamais de 20/20, cela était impossible. J’ai été nourrie à l’excellence au 16/20, au satisfaisant 12/20. Et beaucoup d’entre nous en gardons des traces.
OR, cela rentre en complète contradiction avec la manière qu’ont les américains de noter. Je ne sais pas si vous avez déjà vu ça à la banque, chez votre concessionnaire, à l’hôtel, quand on vous demande une note de satisfaction.
10/10 = tu es satisfait, le service a répondu à tes attentes.
9/10 = ça a été, mais il y a eu un petit bémol.
8/10 = passable.
En-dessous, c’est la catastrophe.
De ce fait, les consommateurices outre-atlantiques ont tendance à mettre le 5/5 facile, à partir du moment où le produit a rempli ses attentes, même si ce n’était pas exceptionnel. Là où en France, certains comptes ne mettront JAMAIS 5/5 car la perfection n’existe pas. Où 3/5 est déjà une bonne note, ça signifierait “lecture agréable”. Soit 6/10, donc remis à l’échelle américaine, un désastre.
De ce fait, les titres traduits seront toujours BEAUCOUP MIEUX notés, car leur premier public a gonflé la note (ce qui amène à leur traduction. C’est assez rare qu’un livre inférieur à 4/5 sur Goodreads soit traduit. Et si c’est le cas, ça sent pas très bon. Le dernier que j’ai en mémoire qui avait été épinglé avant sa sortie, c’était Chaos of Flames). Tandis qu’en France, on a plutôt tendance à s’équilibrer autour du 4 comme très bonne lecture, et paradoxalement, on est assez frileux à lire des livres dont la moyenne se situe entre 3 et 4… DONC, on contribue à ne pas donner envie aux autres lecteurices de lire les livres dont nous sommes le premier public AKA les livres francophones, notés beaucoup plus durement que nos confrères.

Et surtout, les notes sur les gros sites sont déterminantes. Plus il y en a, meilleure est la moyenne, plus le livre aura de chance de décrocher un contrat pour une version audio, poche ou une traduction, car ce sont des arguments qui ont du poids. De ce fait, oui, on a tendance à s’auto-saboter en notant plus sévèrement les livres francophones, qui restent dans leur sphère première sans avoir l’opportunité d’évoluer vers d’autres supports et s’exporter plus encore. Et je pense que nous devrions vraiment être sensibilisés à cela. Prendre conscience que nous sommes culturellement biaisés. Et donc, si c’est un livre francophone, qu’il a rempli ses attentes, que vous avez passé un bon moment, automatiquement le noter 5/5 sur les sites de lecture, quitte en expliquant dans votre texte argumenté toutes les nuances de votre avis, ou même en doublant d’un post instagram avec votre “note réelle”.
AH, et en parlant de notes. J’ai découvert cette semaine sur Tiktok que certain.e.s lecteurices commençaient à donner des notes aux : ✨ auteurices en dédicace ✨. Que les notes pouvaient descendre si nous apparaissions trop fatigués, si nous allions trop vite, si la phrase dedans était générique, si on n’offrait pas de goodies, si la file d’attente était trop longue… Mais. Il vous est passé quoi dans la tête ?! Pour NOTER des personnes qui sont là, bénévolement, sur leur week-end, qui vous consacre leur énergie alors qu’elles pourraient s’adonner à bien d’autres loisirs que de forcer le sourire face à des caprices ? Je ne peux même pas demander à ces gens de s’étouffer avec leur empathie, vu le peu qu’il y a. Vraiment, atterrée par la direction que tout cela prend. Soyons bienveillant.e.s les un.e.s envers les autres. Les auteurices sont là pour vous faire passer un bon moment, de lecture, de dédicace. On le fait avec plaisir. Ne rendez pas ces moments inconfortables avec la menace d’une note, on vire complètement Black Mirror.
✨ OK, mais quelles solutions ?
J’ai amorcé des éléments de réponses, mais voici quelques idées qui me passent par la tête, si vous voulez soutenir l’édition francophone :
Présenter vos lectures francophones sur vos réseaux, les soutenir activement, partager les posts des auteurices, se rendre à leurs dédicaces,
Comme je l’ai évoqué, prendre conscience du biais des notes. Concéder des 5/5 plus facilement si le livre a répondu à vos attentes (si ce n’est pas le cas, restez honnêtes ! C’est tout à fait ok aussi !), prendre l’habitude de noter les livres francophones sur des sites comme Amazon, Booknode, Babelio, Livraddict…
Je rêve d’un événement/challenge organisé par des lecteurices influent.e.s, en mode “note ton francophone”, où, chaque jour, on met à l’honneur un livre francophone, et si on l’a déjà lu, on part automatiquement le noter. Et les notes données permettraient de gagner des points dans le challenge. Voilà. Je lance l’idée, prenez-la si ça vous fait envie.
De réagir face à certaines vidéos, notamment TikTok. Personnellement, ça me rend folle quand je vois des vidéos “ces livres qui mériteraient plus de hype” et de ne voir que des traductions déjà bien mises en avant (ptdr, une fois, j’y ai vu le Prince Cruel, j’ai tapé mon meilleur fou rire), ou même les bookhaul, les “toutes les sorties de ce mois qui me tentent”, sans UN SEUL francophone dans le lot. Systématiquement, j’ai envie de mettre un petit commentaire sarcastique “merci de mettre la francophonie à l’honneur ! 💖”. Mais je pense que c’est aux consommateurices, donc au lectorat, de faire ce genre de remarque (de manière plus mesurée et moins passive-agressive que moi, évidemment) pour faire réagir.
Chaque fois que vous achetez des livres, de vous questionner sur la proportion entre traductions et francophones. Et j’inclus évidemment les auto-édité.e.s. Je sais que certain.e.s d’entre vous ici ont eu cette prise de conscience soudaine quand j’en avais parlé, back in 2023. Mais rien que ça, c’est énorme !
Privilégier les librairies indépendantes qui pourront vous conseiller des lectures en fonctions de vos envies, et pas en fonction de la hype.
Après, ça serait plus d’un point de vue politique ; dans la radio, il y a par exemple un quota obligatoire. Pour tant de musiques internationales diffusées, des musiques françaises doivent l’être de même. Au Québec, il existe également des histoires de quota pour valoriser la culture francophone. Pourquoi ne pas mettre ça en place pour la littérature, notamment de l’imaginaire, en grandes surfaces culturelles ? Personne ne parle d’interdiction. Mais par exemple que les tables soient achalandées de manière plus juste, plus équitable. S’il y a effectivement moitié parution de francophones, moitié parution de trad’, alors les mises à l’avant doivent le refléter. Et convenir par exemple d’une représentation de 50% des titres obligatoires.
Pour la petite histoire, le jour de la sortie de Persona, en mars 2023, je suis allée checker s’il était en rayon. Il était là, planqué, SOUS la table. Savez-vous ce qu’il y avait SUR la table, au-dessus ? Ah non non, même pas une nouveauté. La Sélection. Cultura Annemasse, je balance, sachez que je vous en veux toujours beaucoup pour ça. Ce qui aurait pu être un merveilleux souvenir a été gâché par l’idée que “berk, un livre francophone pas connu”.
✨ Conclusion
Soyons fier.e.s de nos productions francophones plutôt que de vouloir sans arrêt, coûte que coûte, vouloir nous conformer à des attentes internationales. Acceptons, à l’inverse, la pluri-culturalité, que de vouloir correspondre à un standard défini outre-atlantique, sur un modèle capitaliste (même si nous sommes d’accord que certaines oeuvres anglo-saxonnes se démarquent de ce modèle !). En fait, c’est ça qui m’énerve. Ce n’est pas tant une histoire de toujours vouloir être mis au devant, comme un caprice d’enfant pourri.e-gâté.e, mais de cette hégémonie qui donne le la sur tout un domaine artistique et créatif. Ce qui est : ✨totalement paradoxal✨. J’aspire pour une littérature consciente, engagée, politique, sociale, mais surtout libérée (mais pas “auteur libre”, oskour), variée et ambitieuse, sans être lésée par sa différence. Sans normativité. Sans se sentir obligé.e de mettre de la romance hétéronormée, de mettre du smut, d’écrire à la première personne, d’écrire au présent, d’écrire des femmes badass, d’écrire des happy-end, d’écrire des dragons, si telle n’est pas notre envie.
La francophonie n’a pas à rougir, même si elle a encore beaucoup de biais à déconstruire pour être véritablement safe. Nous sommes capables de merveilles. Il n’y a qu’à voir les succès récents dans d’autres domaines, que ce soit avec la série Arcane, ou le jeu vidéo Clair Obscur - Expédition 33. Osons sortir des carcans. N’ayons pas honte de nos identités, si longtemps accaparées par des extrêmes, pour nous réapproprier les fiertés d’une culture francophone riche, colorée, diverse, respectueuse et toujours plus audacieuse, sans jamais nier nos travers. Reprenons le contrôle. Nous disposons d’une palette créative délirante d’originalité, prête à déverser une vague de fraîche nouveauté bienvenue dans un monde perforé comme du papier à musique qui se déroule sans contrôle, sans liberté.
Ecrivez VOS livres qui reflètent VOS identités. Cessez de vous conformer à un modèle qui ne correspond pas à vos vécus, à vos existences, à vos différences, pour espérer obtenir les bonnes grâces d’un public peu déconstruit et conditionné. Et soutenez une édition engagée, qualitative, francophone si tel est votre souhait, plus tard, de publier à votre tour. Car personne ne voudra vous éditer si la littérature francophone se fait enterrer, avec le risque que vos textes héritent du même destin tragique que celui que vous auriez peut-être fait subir à d’autres.
Je pense que chaque pays a sa richesse culturelle à offrir. Et je rêve d’une librairie où des livres francophones seraient mis en avant, à côté de fantasy cambodgiennes, de romances halal, de livres jeunesse nigérians, de traductions américaines aussi, avec tous types de formats pour que chacun y retrouve son compte, que ce soit du petit poche pratique au bel objet de collection pour les budgets plus conséquents. Peut-être est-ce utopique. Mais je préfère rêver de cela, plutôt que de me forcer à exister dans une identité qui ne correspondrait pas à mes principes et mes valeurs.
En tout cas, mille mercis aux lecteurices qui nous soutiennent ! Mille mercis aux éditeurices qui croient en nous ! Mille mercis aux auteurices qui se déconstruisent ! Mille mercis aussi aux traducteurices toutes langues qui nous permettent d’accéder à des bijoux ! Ensemble, nous allons créer des merveilles !
✨✨
Hello,
Merci beaucoup pour cette lettre et ces réflexions ! Je suis d'accord avec toi, sur la difficulté d'être visible en tant que francophone actuellement. J'ai pensé à plusieurs choses ennte lisant, j'espère réussir à être claire et ne rien oublier ^^
• Au sujet de la fantasy, je ne peux m'empêcher de penser que les anglo saxons ont plus de traductions et de visibilité parce qu'ils bénéficient, comme tu le dis, d'un grand plan de communication et de marketing à l'échelle mondiale, avant d'arriver chez nous. Je crois qu'il y a un autre facteur : l'élitisme à la française. Publier de la fantasy en France est très difficile (en dehors de la jeunesse / young adult) combien de maison ? Combien de collection dans des "grandes maison" ? Assez peu. Les rayons sont petits en librairie car c'est un genre considéré comme mineur et pas sérieux. Bon pour les enfants (comme si c'était négatif) et faire de l'argent.
• Pour continuer sur l'élitisme, en France il y a une certaine idée de la littérature, de ce qui est "bien" et "pas bien" et cela est déterminé par quelques personnes majoritairement à Paris. Comme tu as parlé de ton expérience personnelle, je vais partager ma réflexion tirée de mon expérience 😊 J'ai fait 2 ans d'alternance en librairie à Paris puis 2 ans en alternance en Master de commercialisation du livre. J'ai évolué dans cette ambiance d'entre soi littéraire parisien. Être auto édité c'était être raté, seuls les éditeurs savent ce qui est bien ou pas. Les librairies doivent tenir un standard, une image de la littérature à la française. J'étais convaincue de ça. Puis un jour j'ai quitté Paris, cet univers. Je suis devenue auto éditée, j'ai rencontré d'autres personnes, d'autres canaux et je me suis rendue compte de l'étroitesse et du manque de diversité dans les couloirs des maisons. Il y a autre chose que les problèmes des familles bourgeoises qui s'ennuient, il y autre chose que des textes "très contemporains" illisibles, il y a autre chose que "des feel good qui se vendent bien"... mais malheureusement l'édition se concentrent en 5 groupes qui veulent se tailler une plus grosse part du lion, vendre plus mais pas mieux. Il y a une sorte de course effrénée à la production sans réfléchir à la qualité - je ne dis pas ça pour hiérarchiser les livres. Il en faut pour tous les goûts, toutes les aspirations, mais parfois il n'y a eu aucun travail éditorial et je trouve ça honteux autant pour la maison que les lecteurs.
• Le travail editorial, la relation auteur-éditeur, existe t elle même encore ? Y a t il encore une volonté de construire quelque chose sur le long terme parce qu'on croit à un auteur ? Certainement encore dans quelques maisons, mais combien sur combien ? Et combien de risque peuvent-ils prendre ? Combien de temps peuvent-ils travailler avec l'auteur ?
• Pour en revenir à la fantasy, j'ai envie d'être optimiste. Il n'y a pas si longtemps, le polar et la BD étaient des sous genres, maintenant ils ont meilleurs presse. La fantasy devrait suivre 🤞
C'est extrêmement long, je ne sais même pas si j'ai tout dit 😂 mais merci encore pour cette lettre qui, j'espère, alimentera quelques réflexions 😊
Une très chouette newsletter ! Et je n'y avais même pas réfléchi, effectivement, on retrouve très peu voire pas de SFFF non anglo-saxonnes dans les trads alors qu'elles sont très certainement tout aussi riches !
Par rapport au petit passage sur les collectors à foison qui sont en partie achetés juste pour leur visuel : je faisais partie des personnes qui avaient envie de voir ces beaux reliés comme on voyait dans l'édition anglo-saxonne, et aujourd'hui, j'en suis finalement revenue. C'est très chouette, on a enfin accès à de magnifiques éditions, mais on en a tellement maintenant ! Et il coûte souvent une blindax (d'ailleurs, les ME qui ne sortent que la version reliée à 25€, je ne vous apprécie pas trop). J'en suis arrivée à réagir en "Allez, un de plus, encore un..." quand on a l'annonce d'un énième collector pour un livre sorti il y a déjà des années 😐.
A côté, je vois timidement des ME proposer petit à petit des poches avec de très jolies couvertures, et qu'est-ce que ça fait plaisir !
Ce serait tellement chouette de voir des mises en avant avec autant de francophones que de traductions !
Du côté des prix littéraires, je regrette notamment la disparition du PLIB qui s'essoufflait malheureusement (non pas du fait des organisatrices) et qui pourtant faisait la part belle à la SFFF francophone et grâce auquel j'ai pu faire de très chouettes découvertes !