Le mythe de l’écrivain solitaire
Une addiction aux retraites d’écriture, au sentiment d’inspiration et aux incessantes comparaisons
Les chaleureuses ténèbres font converger l’inspiration en un vortex créatif, concentré sur cet infini de blanc. De noires pensées qui se matérialisent en une encre. Une goutte, au bout d’une plume, mue à la volonté de son maître. Elle se plie et se transforme sous le contrôle d’un geste effréné. Adopte la forme d’une lettre calligraphiée ou d’un point appuyé, martelé à la hâte pour débuter un nouveau paragraphe.
Avant qu’ils ne sèchent, les mots reflètent la flamboyance du seul cierge allumé. Comme aspirant le feu, cette passion, que leur auteur espère inspirer à ses futurs lecteurs. La bataille est ardue, sur cette feuille rêche qui fait raper le métal. La plume d’acier gratte, laisse présager une victoire. Bientôt, cette page ne sera plus blanche. Raturée, annotée, révisée, mais elle sera l’ébauche d’un chef d’œuvre que l’humanité étudiera des siècles durant.
Soudain, un cri en bas des escaliers.
— HONORICHOU ! Le repas est prêt !
— Je travaille, MAMAN !
— Je t’ai déjà appelé tout à l’heure ! Ça va refroidir ! Alors maintenant, ça suffit, tu laisses ton petit loisir de côté et tu viens à table !
Personne ne sait si cette situation, Honoré de Balzac l’a réellement vécu dans le passé.
Elle m’est familière ; elle l’est, je pense, à tant d’autres.
La plume remplacée par un ordinateur, évidemment. Et mes premiers jets n’étant, hélas, pas ceux qui deviendraient des best-sellers d’un monde en pleine surproduction littéraire. Peut-être que certains seront étudiés en classe, au grand dam des élèves (qui commanderont le livre la veille du rendu de la fiche de lecture, évidemment ; « mais maman, j’te jure, j’savais pas ! La prof’, elle a dit ça que cette semaine ! »)
Je pense que nous sommes nombreux.ses à avoir été biberonné au mythe de l’écrivain solitaire, à ce portrait torturé de l’artiste implorant sa muse, écrivant à des heures indues de la nuit pour pondre la prochaine merveille littéraire. Dans un monde hyper-connecté, où la solitude s’acquiert à de nombreux prix, où l’asociabilité est vue comme un défaut, une anormalité, peut-on réellement se raccrocher à cette image aujourd’hui ?
Nous allons juste parler de tout cela aujourd’hui.
Mais avant, un petit rappel utile concernant cette newsletter !
Aloha, je suis Ielenna ! Je n’ai pas toutes mes dents (en vrai, il me manque une canine qui n’a jamais poussée), j’aime pas les betteraves, mais j’aime beaucoup écrire et surtout, j’adore en parler ! Toutes les deux semaines, dans ce blabla qui chatoie, je poste une newsletter à propos de mes réflexions, de mes expériences. Une sorte de journal de témoignages / essai foutoir, aperçu du chaos qui s’accapare mes pensées, me permettant de mieux organiser et exprimer mon opinion plutôt que de les faire tenir en 200 caractères et de constater qu’une personne sur deux a mal interprété mes propos.
Vous êtes désormais 363 fifous à lire mon charabia et je vous en remercie du fond du cœur ! Je ne m’attendais pas à un tel engouement. Pour dire vrai, je ne m’attendais pas à être moi-même aussi assidue sur la tenue de cette newsletter. J’en suis la première agréablement surprise ! Vos retours enthousiastes me sont très précieux. La dernière lettre à propos de mon rapport à Harry Potter a eu d’ailleurs un succès fou et je suis heureuse qu’elle ait contribué à de nombreuses prises de conscience. Je prends beaucoup de plaisir à rédiger ces lettres et j’espère que nous continuerons longtemps à entretenir ces échanges qui nous permettent de grandir, en tant qu’auteurices et lecteurices ; en tant qu’acteurices et consommateurices du monde du livre.
N’oubliez pas de vous abonner, c’est important pour ne rien manquer !
✨ Une vision biaisée
Quand j’ai commencé à m’intéresser à l’écriture et à ce milieu, dans les années 2000, j’avais, je pense comme beaucoup, une vision très particulière de l’écrivain. Propulsé là par hasard, sur un miracle, un succès inespéré. Les séries américaines qui défilaient sur nos écrans me vendaient une image de romancier qui volait d’interview en interview en jet privé, avec des dédicaces aux queues gigantesques. Écrivant dans leurs bureaux bardés de bibliothèques pleines à craquer, avec une immense baie vitrée donnant sur l’incroyable paysage de la campagne / mer, là où s’implantait leur villa de vacances. Ils avaient un Macintosh à l’écran immense, placé sur le seul bureau au milieu de cette immense pièce lumineuse. Une machine à écrire pour les plus puristes d’entre eux, les cliquetis des touches s’enchaînant sans discontinuer. Une gouvernante leur apporte du thé et des biscuits à horaires réguliers. Et, dès qu’un chapitre est terminé, ils déposent l’impression dans un coffre-fort caché derrière un rayonnage, pour que l’éditeur le reçoive sitôt le tout complété.
Car tout le monde le sait, ça sera un succès monumental. Des contrats à cinq chiffres, des adaptations cinématographiques, ou même des gens qui vont s’inspirer des histoires pour commettre des meurtres (coucou Castel !). Et, s’ils ont un métier à côté, leur écriture leur permet malgré tout d’être reconnus comme écrivains de renom (coucou Bones !).

En bref, l’écriture est vendue dans ces médias comme quelque chose de facile, d’accessible, et offrant une richesse et une célébrité immédiates. Et quand on se détache de ces fictions, les seuls récits d’auteurices qui nous parviennent sont généralement des success stories, à commencer par celle de J.K.Rowling, dont nous avions parlé dans la dernière newsletter.
Personne ne parle des échecs, des gros loupés, de ces figures d’exception qui nous vendent des rêves pailletés, des galères éditoriales. Parce que, justement, ce n’est pas vendeur. Et qu’on ne parle de ce qui marche. Les bides tombent dans les oubliettes. Tant mieux quelque part, mais on occulte ainsi une immense majorité des cas ; la vie d’écrivain n’est pas une vie de strass et de dédicaces à la volée au milieu d’un restaurant fancy payé par l’éditeur qui attend de pied ferme notre prochain livre écrit en trois mois pour nous verser rubis sur ongle une avance démentielle.
Étrangement, un début de prise de conscience a commencé à s’opérer avant même que j’écrive. Je lisais un petit quotidien destiné aux adolescents et ils avaient décidé d’interviewer une autrice francophone et de la suivre dans son quotidien. Je me souviendrai toujours de cette photo d’elle, allongée dans son canapé, sous un plaid, dans le noir, l’ordinateur sur ses jambes repliées. C’était son mood d’écriture, tous les soirs. À la poubelle le bureau ergonomique lumineux et la gouvernante avec le plateau de biscuit. ENFIN, on atteignait une image plus abordable ! Quelque chose de plus… humain, en quelque sorte !

Et finalement, qui se rapproche assez de mes propres habitudes. C’est une question qu’on me pose souvent en interview : quelles sont vos habitudes d’écriture ?
Je ne suis pas quelqu’un de super original. Je n’ai pas un set d’écriture pastel avec un bureau ergonomique qui se lève seul, un clavier à 200$ qui fait « clok clok », un petit diffuseur d’huiles essentielles et des figurines kawaii pour accompagner leurs sessions sur Scrivener en écoutant de l’ASMR pluie ou feu de bois selon la saison (même si on m’en mettait un, je serai incapable de le maintenir en état. Au bout de trois jours, y aurait des miettes dans le clavier [il ne ferait plus « clok clok » mais « crok crok »], au moins quatre tasses de thé non bues car oubliées [un éco-système commence d’ailleurs à se développer dans la première], mon coupe-ongles et sûrement du matériel créatif qui traîne dessus).
J’ai le même laptop absolument pas personnalisé avec des touches qui s’effacent, un word 2010 craqué sur lequel j’écris depuis plus d’une décennie. Je m’écroule sur le canapé, entre 21h et 22h, avec un thé (toujours le même ; LE MÛRE-MYRTILLE THÉ NOIR N’EST PLUS COMMERCIALISÉ. J’écris ça en capitales car je suis outrée ! Lipton ! Votre nouveau thé vert est infâme ! Rendez-nous le VRAI ! J’en suis à préparer une poupée vaudou de votre CIO. Faites ou il y aura des représailles !), une bougie (il faut qu’elle sente bon), des M&Ms et une musique en boucle (je finis par m’en lasser après quelques jours/semaines, le temps que je retrouve une autre musique à faire tourner en boucle).
Bref : ne culpabilisez pas de ne pas avoir des sets qui vendent du rêve. Ils sont magnifiques, ils donnent tellement envie, mais parfois, la soluce du minimal, ça marche aussi. En tout cas, ce n’est pas ça qui va déterminer la qualité de votre roman !
✨ La vie réelle toujours interrompue
À l’heure où j’écris ces mots, je suis dans le salon de ma mère. Il est 8h30. Je ne peux pas investir la chambre car mon fiancé y dort toujours. Depuis 30 minutes, je me suis fait interrompre au moins quatre fois par les chiens qui viennent apposer leur petite léchouille bien désagréable sur le pied. Malgré mon casque vissé sur les oreilles, ma mère m’interpelle pour plein de raisons qui se valent « Je vais dans le jardin ! » / « Il faudra que je passe voir le voisin. » / « Tout à l’heure, il y a un monsieur qui viendra installer les plaques à induction. » et EL FAMOSO « tu écris ? » (non, maman, je me prépare une tortilla).
Heureusement pour moi, j’écris cette lettre, sans grand écho stylistique, et surtout, je suis équipée d’une patience à toute épreuve (nécessaire pour travailler avec des enfants à besoins particuliers !). Mais il est certain que si j’avais décidé de me lancer dans l’écriture d’une scène pivot de mon roman, j’aurais été m’exiler au fond du jardin pour qu’on me foute la paix ! Et encore, je pense qu’il aurait été possible qu’on me hurle « [MON NOM] ! Tu aurais vu ma paire de baskets quelque part ? »
Depuis que je me suis mise à écrire, j’ai toujours eu l’impression que l’écriture était un « loisir » que l’on pouvait se permettre de suspendre à tout moment. Quand ma sœur ou un.e ami.e m’explique qu’iel est en télétravail, qu’iel a besoin de temps et de calme pour terminer un contrat d’illustration, ou quoi, ça ne me viendrait même pas à l’esprit de l’interrompre pour X ou Y raisons. Combien de fois ai-je été interrompue : « ma chérie, je ne trouve pas mon téléphone ? » / « tu peux venir aider à ranger ? » / « il faudrait aller promener le chien » / « comme tu es libre, on peut se prévoir une petit balade ».
Libre. LIBRE.
Ce que je fais est-il donc jugé si futile que ça ?
Je ne PEUX pas écrire sur un bureau, à porte fermée. J’ai besoin de MON espace dédié. My SPOT, à la Sheldon Cooper, et ça, je ne le décide pas toujours. Parfois, c’est sur le canapé au milieu du salon ; parfois, comme la semaine qui vient de s’écouler, j’ai réussi à trouver une petite place au calme, à l’écart, dans la bibliothèque du château que nous avions loué en famille (et je vous promets que trouver du temps calme quand on part en vacances à 20, avec des enfants, c’est pas toujours évident !). Résultat, j’ai rarement été aussi productive ! Parce que je n’étais pas interrompue toutes les cinq minutes.
Je me rends compte, avec le temps, que mes plus gros blocages viennent de cette crainte de l’interruption. Je n’ose même plus me lancer dans un nouveau chapitre, dans une scène qui me demande un énorme investissement émotionnel, parce que JE SAIS qu’il existe un risque d’être interrompue. Par mon chien, par mon fiancé, par mes proches, par mon téléphone même. Et donc j’avance par moments, par phases. Dans les moments où je sais qu’il n’y aura rien d’autre pour m’embrouiller et que je peux me consacrer à 100% à mes recherches, à mon manuscrit. Et encore… je n’ai pas encore d’enfant ! Force à tous les parents, je suis admirative.
Évidemment, cette vision de mon écriture a beaucoup évolué depuis une décennie. Je vous parlais déjà de cela dans une newsletter précédente de ma grand-mère qui est passée du discours « tu passes trop de temps sur ton ordinateur alors qu’il fait beau ! » à « qu’est-ce que tu es studieuse et travailleuse, même pendant les vacances ! ». J’arrive à faire comprendre à mon fiancé que mon écriture n’est pas juste un bonus : actuellement, c’est ce qui nous fait vivre financièrement sur ce trimestre, pendant lequel nous ne travaillons pas. Qui m’offre cette liberté de ne pas avoir à retrouver un poste en urgence avant le mariage pour rembourser le crédit de l’appart et nous payer à manger (parce que je touche pas de chômage malgré mes 10 premiers années de carrière à temps sur-plein ahahahaha vive les libéraux, France sa mère). J’arrive à faire comprendre à mes proches que j’ai une deadline, et que non, si je ne veux pas sortir, c’est pas parce que je suis asociale (si un peu quand même), c’est parce que je dois rendre un manuscrit avant une certaine date et qu’un roman ne s’écrit pas de lui-même par l’opération du Saint-Esprit.
Je vous parle pour le moment en mode ralage. Mais ce même entourage est également ma plus grande force. Mon moteur. Avec des encouragements, des paroles d’admiration. Mon fiancé qui fait son maximum pour m’aménager des temps d’écriture, qui me prépare tout le nécessaire et qui me félicite quand je lui annonce mon nombre de mots de la soirée. Ou qui est triste avec moi quand je suis déçue de ne pas avoir été dans le mood. Qui relit mes manuscrits et qui restera, à ce jour, mon meilleur bêta-lecteur. De ma famille qui achète mes livres les jours de sortie, qui les lisent (des fois, ça me fait grincer, c’est affreeeeeux…) et qui en parlent autour d’elleux avec beaucoup de fierté (ce qui me donne envie de me noyer dans un étang, parce que l’écrevisse doit retourner dans son milieu naturel).
Paradoxalement, je sais que sans eux, mon écriture ne serait pas meilleure pour autant. Chaque auteurice aurait donc besoin d’être entouré.e dans sa solitude. Quel comble.
✨ Écrire à temps plein. Oui, mais pas tout le temps.
C’est une question qui se pose toujours, quand on écrit. Est-ce que j’aimerais devenir autrice à temps plein ? Passer mes journées à écrire ? Sur le papier, cela a toute l’allure d’une idylle ! Si j’y aspirais, aujourd’hui, je tempère mes premières envies. Pas seulement pour des raisons financières.
Au-delà de cet aspect, je me rends compte que justement, cette « solitude » 100% ne me correspond pas. J’en avais parlé dans la lettre sur le travail, mais j’ai besoin de rencontrer des gens et de sortir de ma zone de confort. Rester 5h devant mon écran, c’est quitte ou double. Chez moi, ça m’est impossible. Je serai forcément rattrapée par la réalité à un moment ou à un autre. « Ah, faut que je sorte le chien » / « faut que je prépare à manger » / « j’ai sorti la poubelle ? » / « faudra que je passe à la banque » / « est-ce que j’ai préparé ce colis ? ».
Je suis de nature désorganisée, tant bien dans mes pensées que dans ma vie réelle. Même en me disciplinant, en essayant de me préparer des programmes, c’est impossible pour moi de le suivre chez moi. Il y aura toujours des détails pour venir le parasiter et le foutre en l’air. Je vais pour faire une lessive avant d’aller écrire et oh bah mince, y a plus de produits, faut que je le mette sur la liste de courses. Tiens, peut-être qu’il faudra que j’en profite pour faire la liste, vérifions les bocaux. Oula, y a de la farine au fond du tiroir, je vais passer un coup d’aspirateur ! Ah, l’aspirateur a plus de batterie, on va le mettre à charger. D’ailleurs, j’ai pensé à mettre la perceuse à charger pour le bricolage ce week-end ? Mince, où j’ai fichu ce satané chargeur… Voilà, c’est fait, par contre il faudra que je trouve le mètre et le niveau, aussi. Je crois qu’ils étaient sur la table… mais elle est en bazar. Je vais la ranger vite fait. Ahhh, non, pas les moules en silicone, j’ai envie de faire des savons ce soir, pour faire un petit cadeau pour l’anniversaire de mamie ! Je ne sais plus s’il me reste de la base ; je vais en commander vite fait. Et aussi un toner pour l’imprimante, je crois qu’il est bientôt vide, et je sais que je dois imprimer un truc… ah oui ! Les programmes pour le mariage ! Mais… je ne sais plus si j’ai terminé le design. Je vais vérifier. Ah oui non, en effet, je devais terminer de grapher ça ! Bon, organisons-nous, je vais faire une to-do liste de ce qu’il faut que je finisse de préparer pour le mariage. Au fait, j’ai fait le virement pour le traiteur ? Je dois aller vérifier…
VOILÀ.
Au départ, je devais JUSTE aller faire une lessive avant de m’accorder un petit répit d’écriture !

Aucune tâche du foyer ne pourra être remplie à 100% pour me décharger mentalement et m’offrir une bulle de répit en écriture. Je serai toujours rattrapée par tout ce qu’il y a à faire à côté. Donc me mettre à écrire à temps plein chez moi serait me tirer un chargeur de Kalachnikov dans le pied.
De ce fait, j’adore m’accorder des petits moments au salon de thé pour écrire. Ici, pas d’internet, pas de distraction, pas de « ah il faudrait que je fasse ci et ça ». Juste moi, mon ordi, ma musique, mon thé. Je sais que certaines autres personnes ont besoin de ces espaces de working, en dehors de chez eux, dans des cafés, dans des espaces dédiés à ça, et je les comprends totalement !
✨ Des retraites d’écriture
Quand je parle de « retraite », je ne parle pas forcément d’une maison d’auteurices à l’autre bout de la France ! Rien que le fait de partir quelques jours chez un.e ami.e qui écrit également peut largement suffire ! Écrire ensemble, être motivé.e de voir l’autre avancer. Entrecouper nos sessions de discussions, d’un chocolat chaud ou d’un thé. Échanger nos ressentis sur ce qu’on vient d’écrire, comparer nos nombres de mots (pas pour « gagner » une compétition mais pour s’entre-motiver). Dans mon domaine, on appelle ça la pair-aidance. Se surpasser et avancer grâce à la présence de celles et ceux qui partageant notre situation.
Je n’ai pas besoin de faire des week-end excentriques, avec apéros et after jusqu’à pas d’heure, pour lier avec mes amis. Ma nature d’introvertie, très probablement. Mes amitiés se construisent dans les silences, car nous ne nous jugeons pas. Je n’ai jamais besoin de combler avec du blabla qui ne me ressemble pas. Je peux écrire (et bien en plus !) et c’est tout ! Ce qui est déjà énorme en soi. Car ce sont justement des amis qui comprennent l’importance de ne PAS interrompre ! On se fixe des timers, on respecte nos temps, on s’occupe de la logistique ensemble pour les à-côtés. Bref, on peut, chacun.e de notre côté, se consacrer à l’écriture en toute sécurité et bienveillance.
Déjà, rien qu’avec ça, le mythe de l’auteurice solitaire en prend un coup, quand on se rend compte qu’on est beaucoup plus productifs à plusieurs que seul. Ça focalise. Ce dont nous sommes incapables à l’heure actuelle, en tant qu’individu dans notre société qui ne s’arrête jamais de tourner. Entre notifications incessantes, vie quotidienne qui nous rattrape sans cesse.
Cela peut même prendre des proportions autres dans différents cadres. Entre 2014 et 2016, j’ai participé aux NaNoWriMos en sessions réelles. J’ai fait les kick-off (c’est-à-dire la nuit blanche de démarrage pendant laquelle on ne fait qu’écrire) à Paris. Celle de 2015 avait d’ailleurs lieu dans la bibliothèque du Centre Pompidou, un cadre exceptionnel ! Cette kick-off démarre à minuit par une première word wars d’une heure (c’est-à-dire que tout le monde écrit non-stop pendant une heure et à la fin, on fait le décompte des mots écrits). Ensuite, on enchaîne sur un rythme 30 minutes de pause / 30 minutes de word wars. Lors de ma dernière kick-off, en 2016, mon rythme d’écriture était tel qu’on m’a demandé d’arrêter de participer, car je gagnais tout le temps ! Le premier jour du NaNoWriMo, j’écrivais plus de 10000 mots en 24h. Ce qui me semble inconcevable aujourd’hui.
Je suis toujours en capacité d’écrire vite si je le souhaite, mais cela ne m’apporte plus autant dans mes projets actuels. Autant je pouvais me le permettre en écrivant LMA (ma fanfiction Harry Potter dont je vous parlais dans mon ancienne newsletter), ou même les lettres de cette présente newsletter, autant pour mes livres sous contrats, j’ai besoin de me poser, d’analyser un peu plus chaque phrase, les enchaînements des scènes, de me reprendre, de rafistoler, pour avoir un premier jet aussi propre que possible. Par respect pour l’histoire mais aussi pour mes éditrices.
Et puis, quand on parle retraites d’écriture, on se figure bien évidemment les retraites d’écriture plus « officielles ». J’en ai fait deux, dans le domaine de Parenthèse, géré par l’autrice Samantha Bailly et son mari Antoine. La première en septembre 2021 ; la deuxième en juin 2023. J’y ai surtout rencontré un groupe de femmes incroyables. Moi pas sociale pour deux sous, j’ai apprécié leur présence. Nous devions lire nos textes à haute voix après certaines sessions d’écriture soumises à des consignes précises, sur le thème de la retraite. Au départ, cela m’a beaucoup angoissée. Puis, au fur et à mesure, quand j’ai compris que je n’avais autour de moi que des oreilles bienveillantes, j’ai commencé à me dérider et à voir les bienfaits de l’exercice. Désormais, en écrivant, je me fie au rythme, à la sonorité des phrasés, comme si j’allais, quelques minutes plus tard, devoir réciter ma prose à haute voix devant une assemblée. Là-dessus, la retraite m’a énormément apportée.
Si celle de septembre 2021 m’a servi à avancer le premier tome de Persona, pas encore sous contrat, celle de juin 2023 a été plus complexe. Déjà, parce que je culpabilisais de payer aussi cher une petite bulle de quelques jours (même si les tiny houses sont très coocoonantes et parfaitement équipées), alors que j’étais en pleins préparatifs de mariage (OMG c’est dans un mois) ; et parce que je venais de recevoir mes corrections éditoriales du tome 2 et que j’avais une semaine pour les rendre. Plutôt que d’écrire dans ce cadre idyllique, j’ai surtout souvenir de relire pour la Xème fois mon tome 2 et d’annoter mon PDF (annotations que j’ai perdues en partie, et que j’ai dû refaire le dimanche soir de mon retour jusqu’à des heures indues de la nuit pour respecter les délais, mais je l’ai fait !). Plus que sur l’écriture, cette deuxième retraite m’a beaucoup apporté sur le plan humain, puisque j’y ai retrouvé mes compagnes d’écriture de la première retraite, et individuel. J’ai compris que j’étais extrêmement en colère, aigrie, sarcastique, et que cela ressortait dans mes textes. Sans ce regard extérieur, je n’aurais pas pu le nommer, le pointer. Mes bêtas-lecteurices du tome 3 de Persona m’ont rapporté des retours similaires, à l’été 2023, en m’expliquant que ce tome était teinté de beaucoup d’angoisse. Ce qui exacerbe les sentiments de certaines scènes qui deviennent alors uniques en leur genre. Tant mieux, mon émotion sert mon texte, le transcende, mais elle ressort peut-être un peu trop.
Je suis toujours très en colère et très angoissée, à l’heure actuelle. C’est malheureusement les émotions qui dominent chez moi depuis quelques années. Mais si elle avait pris le pas sur mes textes, j’arrive désormais mieux à m’en détacher depuis l’été dernier. À la distinguer, à la mettre à part, juste le temps de l’écriture. Une sorte de résilience acquise grâce à mes soeurcières de la Parenthèse.
✨ Entourée virtuellement
Évidemment, je ne serai pas grand-chose aujourd’hui sans tous les outils que nous propose internet. Même en admettant que vous ne fassiez pas partie d’une communauté d’écriture, sur un réseau social, sur un forum, sur discord, vous n’êtes jamais seul. La preuve déjà : vous lisez cette newsletter ! Vous interagissez avec du contenu produit par quelqu’un d’autre. Les recherches que vous effectuez pour vos livres, les articles ont été rédigées par d’autres personnes également. Être indépendant à 100% dans l’écriture aujourd’hui est impossible ! À moins de devenir ermite et d’écrire votre livre en gravant vos mots avec un caillou sur la paroi d’une grotte. L’humanité a mis à disposition des milliards de ressources grâce à l’écriture, à l’imprimerie, puis l’internet.
Dès mes débuts, j’ai intégré plusieurs communautés : celle d’Eragon Shurtugal en 2006 ; Histoire de Romans en 2008 ; Génération Écriture fondée en 2010 ; HPF en 2012 (je me rends compte que c’était tous les deux ans !). En plus de ma présence sur Skyrock depuis 2008, puis sur Wattpad à partir de 2013. Faire partie de ces communautés d’auteurices m’a énormément apportée, tant sur le plan de la théorie (narrative, stylistique, etc.) que sur les retours que nous pouvions nous donner. Je n’ai jamais écrit « seule ». Car chaque fois que je finissais un chapitre, je le postais, je recevais des retours, ça me motivait à écrire le suivant en m’améliorant grâce aux points soulevés. Imaginez, sans tous ces retours, le temps que j’aurai perdu à progressant seule de mon côté ?
Et quels retours. Ce n’était pas juste une phrase. Ah non non ! Entre 2006 et 2015, généralement, les retours étaient des PAVÉS. Extrêmement complets ! Je vous parle de plusieurs pages word juste pour un chapitre, parfois. Quelque chose qu’on ne retrouve plus aujourd’hui, à part, je pense, sur certains forums spécialisés. Attention : il fallait en donner en retour ! Donc si vous partez fissa sur ces forums en vous disant « chic ! Moi aussi je veux des retours détaillés ! », préparez-vous aussi à consacrer du temps pour lire les autres auteurices et leur faire des retours.

Personnellement, je n’en ai plus le temps depuis la fin de mes études, en 2014, et j’ai du faire des choix, après 6 ans à lire les autres et à m’impliquer beaucoup. Mais nous nous faisions la réflexion, avec d’autres auteurices de ma « génération », que l’écriture devenait de plus en plus individualiste. Tout le monde poste ses petits trucs, s’attend à des vagues de retours, mais ne fournit plus forcément l’effort d’en faire de même avec les autres. Les auteurices se renferment sur eux-mêmes. Même si des communautés se créent sur des discord par exemple, on a plus ces espaces retours-pavés d’analyses détaillées. On s’entre-rassurent « OMG c’était trop bien ! Et Truc est vraiment un sale type, je veux le grmphgrmph AHHHH ! Vivement la suite ! », mais sans plus de complément constructif.
On pense à son édition à soi, sans penser en groupe, sur les failles du système, sans s’interroger si telle ou telle ME est safe (on en parle malheureusement trop tard, quand le mal est fait). Si on le fait, c’est sur des petits groupes privés entre copines autrices, c’est via des stories privées. Mais on a moins, je trouve, ces échanges collectifs à grande échelle avec de grandes explications pavées qui nous permettent d’exprimer pleinement nos pensées et de nuancer. J’ai l’impression de retrouver tous les trois mois les mêmes débats, ceux qui ont été détricotés dix ans auparavant, encore et encore… Aujourd’hui, je n’y participe même plus, fatiguée de répéter tout ce qui a déjà pu être compilé dans des forums, dans des fiches, dans des PDF, parce que les gens ne savent plus faire de recherches, ou n’ont surtout plus le temps et préfèrent une réponse toute faite pondue sur l’instant par ChatGPT (oupsie, la sarcastique est revenue !).
J’ai la « chance » d’avoir été globalement « accomplie » et construite, en tant qu’autrice, quand ce temps d’échange m’a manqué pour bêta-lire, pour conseiller. Et j’ai l’immense privilège de pouvoir faire un appel à bêta-lecteurices et de recevoir des dizaines de candidatures dans la journée. J’ai conscience que ce n’est pas offert à tout le monde. Mais à celles et ceux qui me disent qu’ils ne savent pas comment faire ; les lecteurices n’arrivent pas dans une bouche ouverte sans savoir à quoi iels ont affaire. Il va falloir être prêt.e à donner vous-même de votre temps ! Bêta-lire d’autres personnes, aller sur ce genre de forums. Faire le premier pas d’aller lire les autres pour être lus en retour. Les premiers fans de ma communauté étaient ces auteurices avec lesquel.le.s j’ai aiguisé ma plume mes premières années ; elle ne s’est étendue que par la suite, à force de poster mes histoires sur internet.
S’entourer d’alpha-lecteurices (celleux qui lisent les chapitres un à un, bruts comme des diamants dans la caillasse), de bêta-lecteurices (celleux qui lisent le premier jet un peu mieux retravaillé), est indispensable aujourd’hui. Pour ne pas faire fausse route. Parce que parfois, en tant qu’auteurice, on se dit qu’un message est évident, mais il peut manquer des éléments de compréhension pour le lectorat. Iels nous servent à savoir quels personnages a le plus de succès, lesquels il faudrait retravailler, quels ressorts dramatiques ajouter pour renforcer une scène, etc. Iels sont nos crash test. Iels nous offrent leurs yeux, avec leurs vécus.
Pour Persona, mon équipe est composée de douze bêta-lecteurices + mon fiancé. J’ai privilégié des profils très divers, et pour la plupart issus de minorités ou avec des vécus très spécifiques dont l’expertise me servirait. Quatre personnes racisées d’origines ethniques différentes ; une personne trans ; une personne non-binaire ; deux personnes grosses ; trois personnes avec TSA ; une personne aromantique-asexuelle ; une personne demi-sexuelle ; une personne bisexuelle ; une personne qui a un frère avec TSA ; une personne polyamoureuse (si vous faites le calcul, y a plus de douze, parce que certaines se recoupent). Leurs retours ont été très complémentaires et m’ont permis de vérifier que mes représentations (car elles sont très nombreuses dans Persona ! Puisque l’une des thématiques de la saga est l’acceptation et l’amour des différences) étaient respectueuses. Soit en approuvant, soit en m’apportant des éléments en plus (« tu pourrais faire ça plutôt »), en me corrigeant, en toute bienveillance, sans jugement. Elles m’ont apporté l’expertise de leur vécu et rien que pour ça, je leur en suis très reconnaissante. Évidemment, tou.te.s mes bêta-lecteurices ne sont / n’ont pas été out avec moi dès le départ. Parfois, cela s’est découvert. Quand ma bêta-lectrice polyamoureuse a découvert le trouple introduit dans le tome 2, elle en a été très touchée, m’en a remerciée et m’a alors expliqué que cela faisait écho à son propre vécu, duquel je n’avais pas connaissance jusqu’à présent. Je pense qu’on ne s’imagine pas toujours l’importance des représentations justes dans la littérature dite « populaire ». Mais cela fera l’objet d’une autre lettre…
Pour mon projet « Dragons mignons », je n’ai pas adopté la même stratégie ! Je me suis entourée de 10 bêta-lecteurices, certaines communes à Persona, mais en respectant une complète parité. Du fait que le livre ait comme thématique les injonctions à la masculinité, il était important pour moi d’avoir autant d’hommes que de femmes dans mon panel. Ça n’aurait pas eu de sens de n’avoir que des femmes ! Elles ne sont pas les plus à mêmes de me parler des diktats et injonctions que les hommes subissent parfois (et qui ensuite découlent sur elle dans le merveilleux système délétère qu’est le patriarcat), même en étant déconstruites. On verra bien ce que ça donne !
✨ Les retours (pour nous jouer un mauvais tour)
Que ce soit de la part des bêta, des éditrices ou même du lectorat, la bête noire de l’auteurice, ce sont les retours. Ouverts parfois avec la boule au ventre. Je vous jure qu’en arrivant en enfer, après t’avoir demandé le pitch de ton prochain livre, le diable te force à lire toutes tes reviews négatives.
J’ai de la chance d’être entourées de personnes bienveillantes à ce niveau-là ! Mes éditrices sont professionnelles et réactives (coucou Sirine si tu passes par là !), ma préparatrice de copie est exceptionnelle et est devenue une véritable amie pour moi (coucou Sophie !), les assistantes éditoriales ont toujours été d’une aide secourables et enthousiastes, et le sont toujours aujourd’hui puisqu’elles me suivent sur la suite de Persona et sur mes nouveaux projets (coucou Manon et Chloé !). Même si ça pique d’ouvrir un document bardé de commentaires (on parle en milliers), je sais que c’est pour le mieux. Leur rôle, leur mission, n’est pas de me brosser dans le sens du poil. Bien au contraire. Elles doivent me donner des raisons, des éléments, des outils pour tailler ce fameux diamant brut et lui offrir des facettes afin qu’il étincèle. Elles me poussent à me questionner, elles veulent exploiter à fond le potentiel de l’histoire, alors qu’il serait tellement plus simple de dire “tout est parfait, bisou”. J’ai dû réécrire des chapitres entiers, en insérer de nouveaux, changer le destin de certains personnages même. Mais cela s’est toujours fait dans le respect et la bienveillance. J’ai toujours le dernier mot.
Je sais que ce n’est pas offert à tout le monde. Des ami.e.s auteurices m’ont parlé de leurs déconvenues avec des éditeurices très rudes, qui parlaient de gâchis, de « jeter à la poubelle » des passages, de personnages fades et inintéressants. Des commentaires cassants, méprisants, plutôt que de donner des éléments de progression et des arguments constructifs dans l’intérêt de l’oeuvre et de son auteurice. C’est l’une des premières choses qu’on m’a appris en pédagogie ; plutôt que de dévaloriser, ou de remettre en question une pratique, un geste, il vaut mieux opter pour le « Je me demande si en faisant comme ça, on pourrait… » pour rendre la personne en face actrice de sa réussite grâce à la correction. Je n’ai jamais été partisane de la pédagogie au bâton et à l’humiliation. Surtout dans un domaine comme l’écriture où la confiance en soi des auteurices frise le niveau des pâquerettes (ou de leurs racines). Il y a de quoi détruire des rêves, des carrières. Nous subissons déjà assez de désillusions quotidiennement et nous offrons une partie de notre âme en confiant nos manuscrits ; la moindre des choses serait qu’ils soient respectés.

On ne cessera jamais de répéter qu’il faut abolir cette relation verticale entre éditeurice et auteurice. La publication est une collaboration. Et si vous n’êtes pas à l’aise avec la personne qui vous édite, cela peut nuire à terme à votre roman, ou en tout cas de la vision que vous avez de votre roman, car vous l’aurez sorti dans la douleur. Le contact et le ressenti avec les éditrices sont très importants pour moi ; la patience ; la compréhension ; le partenariat. Et c’est là-dessus que j’ai accepté de signer mon prochain livre, car mes échanges avec ma nouvelle éditrice m’ont laissé une plutôt bonne impression (tandis qu’avec d’autres, j’ai vraiment l’échine qui se hérisse tellement iels me mettent mal à l’aise. C’est rare, heureusement.) Je considère qu’il faut toujours écouter son instinct. De mon côté, il a rarement eu tort. Une personne qui ne me revient pas, je découvrirai forcément le pot aux roses quelques mois/années plus tard.
✨ Côté lectorat
Un.e auteurice ne serait rien sans les personnes qui découvrent et apprécient ses œuvres. Le lectorat a toujours tenu une place importante, dans mon écriture, parfois même en adoptant un rôle participatif (pour LMA, notamment). Je sais que tou.te.s les auteurices ne sont pas à l’aise avec ça, mais je suis personnellement très proche de ma communauté. Je réponds à tous les MP au plus vite (même si j’oublie de répondre aux commentaires de cette newsletter beuheuh, vilaine autrice). Je fais des sondages, je demande des avis. Il me tient à cœur de me déplacer partout pour aller à la rencontre des lecteurices de Belgique, de Bretagne, de Toulouse… Je veux me rendre la plus accessible possible. Car les lecteurices m’apportent, certes, mais aussi pour briser cette impression de carapace dorée, de « supériorité » des auteurices. Montrer que je suis juste une humaine et que mon parcours de madame tout le monde peut inspirer les auteurices en herbe pour se surpasser et suivre mes pas.
Certain.e.s auteurices sont mis sur un tel piédestal que cela en devient malsain. Jamais remis.es en question, avec des propos discutables voire problématiques, des égos surdimensionnés. Rowling la première. Il m’arrive de dire des conneries, parfois, ou de parler trop vite avant d’avoir laissé reposer les choses, sous le coup des émotions, mais ma communauté sait qu’elle peut venir me voir pour en discuter, sans que je les envoie paître avec un « ta gueule » ou de lâcher un « vu », sans prendre le risque d’être exposé.e en story passive-agressive en mode « regardez ce.tte abruti.e qui n’est pas d’accord avec moi et qui se permet de me faire la leçon ». Cette newsletter est d’ailleurs là pour ça. Comme je l’ai maint fois expliqué, je n’expose ici que mes témoignages, mon point de vue, mais je n’imposerai jamais à personne mon opinion. C’est sain, si vous avez un avis différent du mien, cela prouve que vous avez un esprit critique, et qu’on en discute ne peut que nous faire grandir. Nous avons le droit de ne pas être d’accord et de s’apprécier malgré tout, tant que les opinions ne mettent pas en danger la vie d’autrui par des prises de position actives qui nuisent à des minorités. Si j’étais entourée que de gens qui étaient d’accord avec moi, ma vision du monde serait bien binaire. Mais la société, les réseaux sociaux, n’offrent plus l’espace pour les débats respectueux et nuancés. Enfin, ceci est un autre sujet. Et je pense que je consacrerai un jour une newsletter sur les auteurices que l’on idolâtre, comme cela m’a été suggéré.

Anyway, je m’égare.
Le lectorat est ma raison d’écrire. La publication de Persona a été un succès à ce niveau-là. Ce qui m’a le plus touché, ce sont tous ces remerciements, que je devrais normalement leur dédier. Je savais que je voulais écrire une saga qui panse l’âme, qui fasse du bien à notre humanité, mais je n’aurais jamais pensé tant de répercussions. D’apprendre que c’est une lecture qui vous a fait grandir me fait grandir moi en tant qu’autrice.
Évidemment, cela me met un peu la pression sur mes prochaines œuvres. Que je veux différencier, mais qui vous apprendront tout autant, sur le monde, sur vous-même, je l’espère. C’est le but de l’écriture, pour moi. Offrir un voyage introspectif. Un livre sans morale n’est qu’un divertissement ; un livre avec un message fort est une pierre que l’on chérira toujours sur notre cheminement personnel. Ce n’est que mon point de vue, mais je n’arriverai jamais, je pense, à écrire un livre de pur divertissement, qui répond à tous les tropes en vogue. Le contact que j’ai avec vous et les retours qui ont suivi m’ont prouvé que je ne veux pas écrire des romans qui disparaissent une fois les modes essoufflées ; je veux des livres qui restent gravés dans les cœurs. Et ça, c’est un sacré challenge. Mais votre soutien et enthousiasme me portent vers ce but, alors merci !
✨ Comparaisons et pression (mais pas la bière, hélas)
Écrire en communauté, d’auteurices, de lecteurices, a plein de points positifs que j’ai listés tout au long de cette lettre. Cependant, cette hyperconnectivité est à double-tranchant : la comparaison. Qui n’a pas déprimé en voyant qu’une copine autrice a pu écrire 3000 mots aujourd’hui, alors qu’on se débat comme on peut avec le quotidien ? En voyant le post d’une autre qui a décroché un contrat d’édition alors qu’on ne fait qu’essuyer des échecs depuis des mois ? En regardant les photos d’une longue file de dédicaces alors que la nôtre était vide le week-end dernier ? En apprenant qu’une telle est traduite et pas toi ? En voyant qu’une publication est beaucoup plus mise en avant par ta ME que la tienne, qui est passée à la trappe au moment de sa sortie ?
Nous sommes chaque jour confrontés aux réussites des autres sans prendre connaissances des échecs toujours passés sous silence. Parfois, cela nous inspire ; d’autre fois, et plus généralement je dirais, cela nous déprime. Nous n’avons pas le contrôle de tout. Et si nous pouvons nous bouger le fion à écrire avec plus de discipline, à nous renseigner pour progresser, le monde des contrats est quelque chose de plus obscur, hors de portée, sur lequel nous n’avons aucune maîtrise. Et on passe son temps à se dire « qu’est-ce que je pourrais faire pour changer la donne ? » sans qu’il n’existe de réponse claire.
La réussite, somme toute relative, de base, se base sur de nombreux facteurs. Le travail, l’expérience, le réseau, les opportunités, la résilience, la persévérance, mais aussi un facteur chance qui, s’il ne fait pas tout, n’est pas négligeable. Qu’est-ce que la réussite, d’ailleurs, en écriture ? En édition ? Cela pourrait faire l’objet d’une lettre à part. Mais reste à constater que nous zieutons tous sur la réussite enjolivée d’autrui pour nous faire mousser en songeant y parvenir à notre tour.
Nous avons le droit d’être heureux.ses pour les autres et nous devrions l’être. Comme je l’avais dit dans une précédente newsletter (je sais plus laquelle, sorry), les succès des uns permettront de propulser les autres. Croire que nous sommes une pierre solitaire, un objet à part, indépendant de tout ce qu’il se passe autour, concentré uniquement sur son écriture, est illusoire. L’écho donné à notre travail par la publication dépend du succès de précédents avant nous, de stratégies qui ont été essayées. Sans être un numéro pour autant, nous ne sommes que l’individu d’un panel. Dans le monde de l’écriture, de l’édition, tel qu’il est conçu aujourd’hui, il est difficile de jouer lae pick-me, l’auteurice « pas comme les autres », qui n’a pas besoin des autres pour réussir. On peut avoir à cœur de se détacher de toutes ces histoires, notamment sur les réseaux sociaux. Ne pas participer aux « dramas », ne pas parler de politique sur son compte, ne partager que de la promotion de ses œuvres pour n’être rien d’autre que lae créateurice de ses livres, tout ce qu’il se passe autour va influencer la réception de nos romans. En n’ayant aucun autre rôle que celui d’auteurice, on ne peut pas se donner une place en tant qu’acteurice sociale. Ça arrangerait d’ailleurs bien certaines instances que les auteurices ferment leurs gueules, arrêtent de réclamer des droits et se contentent d’écrire dans leur coin pour faire chier personne. Vous imaginez, le nombre d’abus qui continueraient d’avoir lieu en toute impunité, si les auteurices ne discutaient pas entre eux ? S’ils n’en parlaient pas en public et que personne ne leur expliquait cette situation est tout sauf normale ? À mes yeux, se mettre des œillères pour remplir le cahier des charges de ce mythe de l’écrivain solitaire ressemble tant à un fantasme qu’à un déni de réalité.
L’écrivain solitaire est un écrivain déconnecté du monde dans lequel il évolue. Au même titre que les bureaucrates qui décident comment les profs devraient enseigner, comment les soignants devraient soigner, sans connaître la réalité du terrain, l’écrivain qui écrit sur des expériences de vie, qui cherche à porter des messages qui résonnent quant à notre manière d’appréhender la société et ce qu’on pourrait en faire pour bâtir un avenir meilleur, sans jamais poser les yeux dessus est un peu à côté de la plaque. C’est expérimental, à ce stade, why not. Ou à destination de personnes qui vivent ce même isolement, qui partage cette bulle culturelle privilégiée. Certains appelleraient même ça de la branlette intellectuelle.
✨ Auteurices ou community manager ?
Chacun.e est tout à fait en droit d’écrire de son côté, sans chercher absolument à appartenir à une communauté d’écriture. Mais les attentes changent, les pratiques évoluent. Il y a quelques jours, on a vu passer une dinguerie ; une maison d’édition expliquant qu’elle se refusait de lire le manuscrit d’une autrice qui ne les suivait pas sur les réseaux sociaux. Beaucoup de points ont été soulevés, mais à ce stade donc, vous imaginez bien que l’auteurice ermite grille toutes ces chances. On croise parfois ce genre de constatation. Les ME qui regardent le nombre d’abonnés. Les gens qui sont révoltés et accusent les ME de vouloir publier des personnes uniquement pour leur célébrité, leur rayonnement, plus que pour la qualité du texte. Moi-même, j’ai été démarchée par Hachette Romans (alors c’était certainement pas mon nombre d’abonnés, qui s’élevait à 500 clampins [mais clampins chatoyants ! ✨] sur Instagram en 2021), grâce au succès de mon livre en auto-édition et de mes campagnes Ulule. Évidemment, le texte devrait TOUJOURS primer. Et les auteurices ne devraient pas se métamorphoser en chargés de communication pour économiser du budget aux ME.
Les maisons d’édition devraient justement présenter cette force de défendre un roman sur le marché, comme plus-value par rapport à une auto-édition qui a la côte. Par contre, ne nous leurrons pas non plus… L’édition transforme le rapport à l’écriture. Des mots se comptent en euro. L’œuvre devient un produit sitôt imprimé. Et oui, plus le public de base sera large, plus les chances de rentabilité seront élevées. C’est le nerf de la guerre aujourd’hui : la rentabilité. Les maisons d’édition restent des entreprises qui cherchent à faire des bénéfices, et certaines œuvres ne sont pas même rentables, car elles arrivent à peine à financer les coûts de productions, de distributions, etc. qui ont été mis en place pour concrétiser leur existence.
Si les maisons d’édition actuelles ne publiaient en 2024 QUE des écrivains solitaires, des écrivains fantômes, qui n’ont aucune présence en ligne, qui ne font ni dédicaces ni interview, qui ne communiquent pas sur leurs livres, elles mettraient la clé sous la porte. Le tout étant donc, selon moi, de trouver le bon équilibre. De discuter clairement des objectifs, de discuter des moyens pouvant être mis en place, d’établir une stratégie de communication en partenariat si on est à l’aise avec ça. D’y mettre sa patte si c’est notre kiff. Sans qu’on devienne CM par procuration pour sauver les meubles des manques d’une ME qui préfère économiser son temps et son argent. Et cela demande de la communication ! Un partenariat de confiance.
Chacun ses devoirs. Tant les auteurices qui doivent répondre aux leurs, en laissant leurs ego de côté, en respectant leurs délais, en acceptant les compromis, que les ME qui doivent respecter leurs paroles et leurs engagements.
Être auteurice en 2024 n’a rien à voir avec les beaux portraits torturés ou flamboyants que l’on a pu nous vendre, ou qu’on continue à nous faire miroiter. La réalité est tout autre et ne cesse d’évoluer. Une course qui donne le vertige. Parfois, oui, il devient nécessaire de prendre du recul, de s’isoler, pour nous préserver, pour prendre soin de notre santé mentale. Mais n’oublions jamais qu’entre auteurices, nous ne sommes pas rivaux ou concurrents ; nous sommes des collègues qui aspirons au même but. Nous épanouir dans l’écriture. Grappiller de la reconnaissance. Faire voyager nos lecteurices.
Parmi mes contacts, j’ai trouvé de l’amour, beaucoup d’amour. Du respect. De l’écoute. Du partage. Portons-nous les uns les autres pour aller plus loin car internet nous offre cette incroyable chance, dont ne bénéficiaient pas nos ancêtres. Nous rassembler. Construire ensemble, rêver ensemble. Internet n’est ni notre bénédiction ni notre malédiction, mais notre providence. Arrivant à point nommé pour nous extraire de nos marasmes quand ils prennent le contrôle ; ou nous offrant la possibilité de la couper pour savourer le silence. On en dépeint souvent le côté négatif ; le harcèlement, le plagiat, les badbuzz. Mais ce n’est qu’une partie émergée de l’iceberg à mon niveau, à côté de tout le bien que les réseaux sociaux m’ont apportée, tant de manière personnelle qu’à mon écriture. Je me sens chanceuse, très chanceuse d’être autrice en 2024.
Je ne serai jamais une écrivaine solitaire, et c’est peut-être mon plus grand privilège.
très intéressant, comme d'habitude.
de mon côté, je suis plutôt de la team (très) solitaire. je ne partage quasiment plus rien sur les RS parce que je m'imposais trop de conditions pour le faire, je n'ai jamais fait de retraite d'écriture ou même de session d'écriture entre copines de quelques heures et moins j'en parle, mieux je me porte.
j'ai aussi arrêté d'interagir par message etc, et d'être accessible (je le suis, mais beaucoup moins) car c'était la porte ouverte à bcp de messages que je trouvais complètement déplacés et mal venus (les gens se sentent parfois un peu trop à l'aise dans leur manière d'interagir derrière un écran et je ne jette la pierre à personne, ça m'est très certainement arrivé aussi) qui me créaient bcp d'anxiété.
je me sens bcp mieux maintenant et j'arrive bien plus à écrire !
comme quoi, ça dépend vraiment des gens (ce qui est fascinant)
Réflexions très intéressantes. J'ai réussi à trouver l'équilibre : j'écris souvent seule, mais je suis entourée pour les brainstorming, les alpha-lecture et bêta-lecture... J'essaye de faire des retraites et je participe souvent à des sessions de coworking (sprint) sur Discord avec des copines et des communautés. Pour les réseaux, je partage de moins en moins en cours d'écriture pour m'éviter cette pression. Et je m'épanouis très bien ainsi !