J'ai enterré Harry Potter.
De l'amour à la haine. De l'ombre à la lumière. Bref. Un nom digne d'une fanfiction.
Ce soir, nous sommes le 31 juillet. Pour certains, l’évocation de cette date est synonyme de l’enfer français : le croisement sur les autoroutes de vacances, l’éternel duel des juilletistes et des aoûtistes (ou aoûtiens ?). Pour d’autres, il s’agit d’un anniversaire très particulier : celui d’un célèbre sorcier à lunettes, qui a habité très longtemps nos imaginaires. D’abord sous format papier et qui s’est ensuite accaparé nos écrans, voire nos codes pop culture. Bref. Une DATE. Qui peut revêtir une importance très symbolique. Qui suis-je pour en parler ? Une pauvre meuf qui est allée aux Etats-Unis, pour voir les feux d’artifice au Poudlard des Universal Studios de California, le 31 juillet 2017, accompagnée de ma copine de voyage, rencontrée sur un forum de fanfictions Harry Potter. Qui a pris le fameux train du Jacobite (aka le Poudlard Express) le 31 juillet 2015 en cabine VIP.
Voilà ! Je me pose LÀ.
Maintenant qu’on a ouvert les hostilités avec une petite mise en bouche sur ma Pottermania, un petit rappel de ce que vous pourrez trouver dans cette newsletter ! Toutes les deux semaines, le ✨blabla qui chatoie✨ vous proposera un sujet en rapport avec l’écriture, l’édition, la lecture, et les sphères qui s’y recoupent, notamment les rapports qu’internet et ses réseaux sociaux entretient entre les trois (pour le meilleur et pour le pire).
Je sais que beaucoup d’entre vous ici me connaissent, parmi les 309 abonnés (wouhou ! Un palier de centaine franchi !), mais un petit rappel ne fait pas de mal ! Je suis Ielenna, autrice hybride de l’imaginaire, qui sévit sur le web depuis 2006. Plus que parler, j’aime écrire sur ce que j’écris et ce que j’expérimente au quotidien dans ma vie de petite autrice qui tâtonne dans sa nouvelle voie professionnelle parallèle en mode 👉👈. J’ai publié en auto-édition (les Fleurs d’Opale), sur internet (notamment avec justement Ludo Mentis Aciem, ma fanfiction Harry Potter dont nous allons BEAUCOUP parler aujourd’hui), et puis j’ai été appelée vers l’édition traditionnelle. Tout d’abord avec Persona chez Hachette Romans ; mon prochain roman de cosy fantasy paraîtra fin 2025 chez AH-BAH-NON vous saurez pas tout de suite, na !
Cette newsletter se découpera en trois parties (ça fait très dissertation, annoncé d’emblée !). Une première partie un peu “témoignage” sur mon rapport personnel à Harry Potter, comment j’ai grandi avec. Ensuite, j’aborderai les années 2010, pendant lesquelles j’ai écrit ma fameuse fanfiction. Et l’après. Les années 2020, les déconvenues, les désillusions, et toutes mes réflexions sur notre rapport à Harry Potter, en tant qu’oeuvre et vecteur de son autrice aujourd’hui, notamment de l’espace que l’on accorde à sa parole et à ses actes.
✨ Des débuts tumultueux
L’an 2000. Nouveau millénaire, nouvelle ville, nouvelle vie. L’année de tous les possibles. Je viens de quitter un CE2 “meh” pour un CM1 houleux (première de la classe dans un groupe de gros perturbateurs, ce qui m’a valu un changement d’établissement). Enfin accommodée à ce quotidien assez neuf (puisque j’avais déménagé en cours d’année pendant le CE2), j’ai surtout commencé des activités extra-scolaires. Et notamment le scoutisme. Mon entrée dans les louveteaux !
D’entrée de jeu, le thème de l’année est annoncé : Harry Potter. Je ne connais pas. Contrairement à tout le monde. Ca a l’air très à la mode. Et comme tout ce qui est hype : je fais un blocage. C’est forcément NUL. J’y vais des quatre fers, refusant d’essayer de comprendre l’engouement pour cet univers. La répartition dans des maisons ? Inutile. Préparer des “potions” ? Fantaisiste. Faire des courses en chevauchant des balais ? Ridicule. Bref. J’étais une môme RE-LOU.
Noël 2000, je reçois les trois premiers tomes en poche par ma grand-mère, dans leur joli petit coffret. Je les mets de côté un temps. Puis, mes parents me forcent un peu la main. Je lis le début 3-4 fois, sans accrocher, sans comprendre (qu’est-ce qu’ils sont gonflants les Dursley), puis j’y comprends RIEN ! Et enfin, un jour, le déclic, j’arrive à Poudlard, et là, ça ne s’arrête plus. Même si j’ai bon souvenir de mes lectures, je me souviens surtout des moments, des lieux où je les ai lus. Je me revois assise au milieu de la gare de Neuchâtel en panique à cause d’une alerte à la bombe en train de lire La Chambre des Secrets. Dans mon lit en hauteur à lire Le Prisonnier d’Azkaban à des heures indues de la nuit. Je me revois acheter tout fièrement mon exemplaire de La Coupe de Feu. Guetter les nouvelles pour l’Ordre du Phénix, dont la sortie est repoussée d’année en année. Je me revois entamer Le Prince de Sang-Mêlé dans la voiture sur le retour de la librairie, en sachant que ma baby sitter m’avait lâché le spoil de la mort de Dumbledore, elle qui l’avait lu en anglais, sale traîtresse.
Avant la sortie des films, je m’étais construit mon propre imaginaire. Avec Ron Ouais-az-lé (parce que mince, comment une gamine pas débrouillarde en anglais lit “Weasley” ?). Avec Draco Mal-foah. Et Albus Dume-bleuh-dore (qui ressemblait à un vieil hippie dans ma tête. Et que quand je lisais “lunettes en demi-lune”, j’imaginais des verres de cette forme-là à la verticale, et je me disais que c’était vraiment pas pratique !). D’un Poudlard qui ressemblait à un collège de quartier en meilleur état.
Autant vous dire que quand les films ont commencé à paraître, peu de temps après ma lecture des trois premiers tomes, ma vision a radicalement changé (même si j’ai continué à dire Mal-foah, puisque c’était ainsi qu’ils prononçaient le nom dans les jeux vidéo !).
J’ai poncé le DVD du premier film, l’un de nos premiers DVD d’ailleurs à l’époque. Au point d’en connaître toutes les répliques, d’avoir fouillé tous les bonus du disque, d’avoir écouté les commentaires des réalisateurs. Je suis tous allés les voir au cinéma à la sortie. Parfois même plusieurs fois. Avec de la famille, des amis. Je me souviens particulièrement de l’effervescence de fin d’année pour le 3ème opus, et la fête de Noël entre potes de 3ème pour la sortie du 4ème. Des immenses affiches en Angleterre pour la sortie du 5ème. D’être aller voir le 6ème dans le petit cinéma chez mes grands-parents. Le 7ème avec l’appel qui a changé ma vie professionnelle (voire lettre sur le travail).
Si cela s’en arrêtait là ! J’ai évidemment commencé les collections. A acheter des dragées surprises qu’on ne mangeait jamais par peur de tomber sur des bien dégueus. Des chocogrenouilles qu’on n’osait pas croquer et dont le chocolat blanchissait jusqu’à n’être d’un amas sans goût passé depuis longtemps. Les heures à fureter sur Skyblog pour trouver des fanfictions, histoire de prendre son mal en patience avant la sortie du 5.
Les objets, les habits, tous les goodies qui me passaient sous la main. Les murs et les placards de la chambre, tapissés de posters (je n’ai pas poussé jusqu’à l’agenda du collège. Ce qu’a fait mon fiancé !) Mes Noël en commun avec mon cousin étaient sponsorisés par Harry Potter. Oui oui, nous avions le jeu qui consistait à faire passer une balle dans des anneaux (qui faisait un bruit du démon), on s’amusait à concocter des potions étranges avec des limaces en jelly et nous passions nos soirées à résoudre des parties de Cluedo Harry Potter. C’est bon ? J’ai débloqué des souvenirs sponsorisés par les années 2000 chez vous aussi ? (et là, les GenZ lisent cette newsletter comme ça 👁️👄👁️)
Cette fanattitude aurait pu se tarir avec le lycée, avec les études supérieures, mais que nenni ! Car en 2012, j’ai franchi un cap. Un cap qui a changé ma vie (pour de vrai). Je suis passée « de l’autre côté ». Je suis devenue autrice de fanfictions.
✨ Le fandom
Si j’ai été initié assez tôt aux fanfictions Harry Potter, j’y ai plongé plus largement pendant mes années de fac. Celles et ceux qui s’insurgent des jeunes filles qui lisent de la dark romance n’ont probablement pas conscience des fanfictions horriblement trash qui circulent (qui circulaient déjà) sur internet. Ce n’était personnellement pas mon kiff, même si avec quelques amies, nous nous amusions à trouver les duos les plus improbables (parmi lesquels un Dobby/Hagrid, détrôné par un Snape (le nom anglais de Rogue)/Benoît XVI (oui oui le pape)). Maintenant que j’ai souillé votre esprit à jamais, nous allons entrer dans le côté plus lumineux du fandom, celui que j’ai alimenté et que j’ai aimé voir grandir. Un fandom multicolore, un fandom ouvertement queer, une safe-zone créée par des minorités qui ont trouvé en Harry Potter le refuge dont iels avaient toujours rêvé, et qui leur manquait un peu dans l’œuvre d’origine.
En 2012, j’évoluais déjà sur les internets avec mes écrits, puisque j’avais publié les Fleurs d’Opale sur mon blog entre 2009 et 2011. Retirés en précipitation du fait des plagiats à répétition sur mon histoire subissait, j’ai essayé de trouver un moyen de me réapproprier l’écriture sur le net, sans la crainte de me faire voler mon travail (surtout qu’à l’époque, je nourrissais ces grands espoirs de l’édition tels que je vous les ai décrits dans la dernière newsletter).
Skyrock hébergeait toute une communauté dite littéraire, séparée en plusieurs catégories : on avait les blogs histoires ; les blogs bonus (avec des annexes) ; des blogs graphiques ; des blogs d’aides à l’écriture, de ressources ; et enfin les blogs répertoire. Les blogs répertoire servaient aux auteurices à voir leurs histoires référencées, catégorisées, voire, dans certains cas, recevoir une chronique de la part des gérant.e.s. Certains de ces blogs avaient grande renommée, et recevoir une mention « coup de foudre » de la part de ces mastodontes (utilisons les termes de l’époque !) était synonyme de succès, car assurait derrière une belle visibilité.
Sauf que quelques-uns de ces blogs répertoires énonçaient des conditions spécifiques d’inscription. Entre autres : pas de fanfiction. L’un de ces blogs s’était fendu d’une explication maladroite : les fanfictions, ce sont des « écrits mauvais », « bas de gamme ». Pour les profanes, il faut savoir qu’Harry Potter n’est absolument pas le seul fandom concerné par la rédaction de fanfictions. Des centaines d’univers sont chaque jour renfloués et des célébrités sont également le vecteur de nombreuses histoires croustillantes. C’est ainsi que nous avons connu les fanfictions TokioHotel et, plus tard, One Direction, par exemple. Des aventures généralement rédigées par des personnes jeunes, encore inexpérimentées, qui balbutiaient dans l’écriture. Mais une première porte d’entrée quand même.
Estomaquée par cette discrimination énoncée, je me suis sentie pousser une cape blanche, de sauveuse de la veuve de la veuve, de l’orphelin. Et des fanfictions. D’autant plus qu’aborder l’écriture sur internet sous cet angle m’offrait à la fois une vitrine intéressante et l’absence totale d’ambition éditoriale. Banco. J’allais écrire ma propre fanfiction.
Dans un premier temps, il m’a fallu identifier l’univers qui se prêterait le plus à cela. Mon hésitation s’est donc portée sur mes deux univers préférés de l’époque : Harry Potter et la série Supernatural. Je n’ai pas cherché compliqué : j’ai officieusement fait un crossover des deux à peine camouflé (dans le sens où j’ai introduit tous les personnages de Supernatural dans cet univers Harry Potter à ma sauce, avec des noms différents, et avec une notion de « chasse aux monstres ». À vos loupes pour retrouver Dean (niveau très facile), Sam, Castiel ou encore Crowley et Bobby).
C’est ainsi qu’est né Ludo Mentis Aciem, avec le rêve ambitieux d’écrire 7 tomes à l’image de l’œuvre originelle.
✨ Une communauté de cœur
Dans la lancée de l’écriture du tome 1, j’ai décidé en juillet 2012 de m’inscrire sur un site francophone spécialisé en fanfiction Harry Potter : HarryPotterFanfiction. J’y ai découvert une communauté passionnée, des personnes adorables, encourageantes. Ensemble, nous discutions de l’univers, d’écriture, avant d’apprendre à se connaître plus personnellement.
C’est d’ailleurs en ce lieu que j’ai rencontré virtuellement mon soon-to-be-husband. C’est sur ce forum qu’en 2017, j’ai lancé un appel au voyage, qu’une membre m’a dit « écoute, je cherche quelqu’un pour m’accompagner aux USA cet été ». Je me suis envolée avec elle, et elle m’a proposé d’aller à le rencontre de cet autre membre du forum, présent au même moment au Comic Con de San Diego, pour lequel nous n’avions pas eu de place : toujours mon soon-to-be-husband. La première fois que je l’ai vu IRL (in real life), soit 5 ans après nos premières conversations, c’était donc à San Diego ; il était justement habillé en uniforme de Poudlard (il n’avait que Gryffondor sous la main alors qu’il est un Serdaigle jusqu’au bout des ongles) et il m’a offert un cadeau : une photo de Jensen Ackles (l’acteur de Supernatural qui joue Dean, suivez un peu !) qu’il avait acheté à l’intérieur, puisque je ne pouvais pas entrer. I mean. Mon futur mari m’a offert comme premier cadeau une photo de Jensen Ackles. Je vous mets au défi d’une meilleure première rencontre.
Mais je digresse. Tout ça pour dire que cette communauté que j’ai rencontrée était composée de personnes de tous horizons, de tous genres, de tous âges. Rarement, dans ma vie d’internaute friande de forums, j’ai rencontré une communauté aussi disparate et globalement bienveillante. Des gens qui sont devenus des amis, parfois même plus. Et la fondatrice du site internet est demoiselle d’honneur pour mon mariage, pour vous donner le niveau.
Je place là ce contexte, sur lequel je reviendrai plus tard, vous comprendrez pourquoi.
✨ Entre adoration et premiers doutes
Plus qu’une fan d’Harry Potter, j’étais, à cette époque, une fan inconditionnelle de son autrice : J.K. Rowling. Une success story qui fait rêver tout jeune auteurice en herbe. Une femme qui n’avait plus rien, qui a tout perdu, qui s’est retrouvé à écrire à propos d’un petit sorcier à lunettes, qui a été refusé par de nombreuses maisons d’édition, avant de décrocher le pactole. De voir ses livres édités, dérivés, ses personnages prendre vie avec des acteurices. Devenir l’une des femmes les plus riches de Grande-Bretagne. J’écoutais tous ses discours qui délivraient de beaux messages d’empowerment. Je me félicitais de suivre une autrice active, qui faisait des dons pour des œuvres de charité. En tous points de vue : une bonne personne, en première impression. Elle m’a inspirée, plus que quiconque.
Après la fin de sa saga, qu’elle soit en livres ou en films, l’univers d’Harry Potter s’est étayé. D’abord, avec Pottermore, un site aujourd’hui disparu, qui nous a révélé de nombreux détails restés dans l’ombre, que ce soit au niveau des personnages (comme le fait que MacGonagall ait été mariée), de l’univers, des sorts, des créatures, etc. Puis, ensuite, avec l’extension des Animaux Fantastiques. À partir de là, Rowling et moi, on a commencé à plus beaucoup s’entendre…
Il faut savoir que, quand on se lance dans une fanfiction Harry Potter, notamment quand on se décide de la rédiger en 7 tomes, on passe généralement autant de temps de recherches que de rédaction. Effectuer des recherches approfondies sur l’univers (vraiment, du déminage jusqu’au centre de la terre) m’a appris deux choses : l’univers d’Harry Potter contient énormément de zones d’ombre (c’est-à-dire de points inexpliqués) et il y a de nombreuses incohérences. Vous avez besoin d’exemples ? OK. Comment voulez-vous faire fonctionner l’économie d’un pays si vous ne sortez que 40 élèves par année de l’école (puisqu’il s’agit apparemment de la seule école officielle du pays), à moins que tout le monde ne bosse au Ministère, et encore ? Pourquoi les élèves qui habitent en Écosse ou au Pré-au-Lard devraient descendre jusqu’à Londres, à King Cross… pour remonter ensuite en train à Poudlard ? Et Hedwige est un hibou, pas une chouette, bordel ! (les harfangs ont des aigrettes cachées et font partie de la famille des hiboux) Et je ne vais même pas aborder le sujet du Retourneur de Temps…
Ce genre de questions, on peut en dresser une liste très, très longue. En écrivant LMA (j’abrège, ne m’en voulez pas), il m’a donc fallu trouver des stratagèmes. Soit contourner avec une explication logique issue de l’univers de l’autrice, soit combler les trous moi-même avec des inventions. Et pour cela, il a fallu que je la joue très fine, afin que personne ne distingue l’invention de l’exactitude. J’ai inventé des sorts, des potions, des concepts, des créatures, des réformes, des échanges internationaux, des décrets ministériels, tout ce que vous voulez !
Et puis, avec son univers étendu, Rowling y est allée de son grain de sel. On ne peut pas en vouloir à l’autrice originelle de combler les trous elle-même. Mais il faut savoir une chose : dans l’univers de la fanfiction, les fans les plus hardcore ne laissent aucun répit ! Une erreur, un truc de travers, il est CERTAIN que vous recevrez un commentaire en ce sens. J’avais par exemple créé, pour le tome IV, une école de sorcellerie aux États-Unis, à Salem. Sauf que Rowling a décidé de créer sa propre école aux États-Unis, un an plus tard, pour introduire ses personnages des Animaux Fantastiques. Vous n’imaginez pas le nombre de commentaires que j’ai reçu à partir de là : « ce n’est pas Salem, l’école des USA, c’est Ilvermorny (insert here emoji condescendant 🙄🤷♀️) ».
Il y avait, chez Rowling, ce besoin soudain de tout compléter, de tout expliquer, et qui a foutu en l’air un certain nombre de fanfictions. Il faut savoir qu’entre fans, nous construisons des headcanon. C’est-à-dire des légendes que l’on entre-confirme. Qui, à la fin, sont tellement implantés dans nos imaginaires collectifs que, oui, ça fait mal au cœur quand l’auteurice te dit, plusieurs années plus tard que, non, c’est faux. C’est l’autrice, c’est la cheffe. Et il a fallu apprendre, en parallèle, à se détacher de l’œuvre originelle pour apprendre à nous approprier nous-mêmes l’univers de l’œuvre, telle que nous la concevions, et d’assumer qu’elle ne soit pas à 100% canon.
Dans ces années ont émergé les premières polémiques à propos de Rowling, notamment autour de l’appropriation culturelle faite sur des rites toujours pratiqués par des natifs américains. Les films des Animaux Fantastiques sont sortis : le premier sympathique, puis de plus en plus discutables, entachés par l’affaire Depp. On a senti, ces années-là, un flottement. Ceci en parallèle de la sortie de l’Enfant Maudit, la fameuse pièce de théâtre que de nombreux fans d’Harry Potter renient, car ressentie comme l’éclat d’une énorme bouse au milieu d’un jardin zen entretenu depuis quinze ans. Ou comment foutre en l’air les lois de son propre univers et exploser, par la même occasion, tous les headcanons liés à la next-gen (c’est-à-dire la génération des enfants de Harry et des autres). I’m sorry but ; la vendeuse de confiseries du Poudlard Express ne sera jamais un monstre-robot. Jamais. Dans aucun headcanon. Qu’est-ce qu’elle a fumé ce jour-là.
✨ Le craquage complet
On est début des années 2020. Le compte Twitter de Rowling est de plus en plus surveillé du fait de certaines prises de paroles ambiguës. Beaucoup essaient de la défendre, de trouver d’autres interprétations. Pourtant, au fil des échanges, il paraît de plus en plus clair : Rowling est transphobe. Ou, pour être plus précise, TERF (c’est-à-dire une féministe excluant les femmes trans des luttes féministes). Cela est passé par du soutien envers des personnes accusées de transphobie, parfois jusqu’au niveau des tribunaux, jusqu’à des prises de position de plus en plus tranchées. Affirmer que seules les personnes qui ont des règles sont des femmes, signer une pétition pour changer des définitions dans le dictionnaire écossais, mais surtout : donner son argent. À des associations, des collectifs, des actions, qui entravent l’accès aux droits des personnes trans.
Je n’ai jamais essayé de donner d’excuse à Rowling, d’atténuer ses propos ou de dire tout simplement que cela ne me concernait pas pour me débarrasser de tout problème. Je connais des personnes trans ; des personnes trans me suivent, me lisent. Ses paroles me sont parvenues comme un poing dans le ventre. J’ai vécu une trahison, dans un sens viscéral. La femme qui m’avait inspirée en tant qu’autrice pendant quinze ans, la créatrice de l’univers sur lequel j’écrivais depuis des années et des années, enlevait son masque et révélait en elle toute cette haine que nous n’aurions même pas pu concevoir.
Par chance, à l’été 2020, je posais le point final de mon tome 8 (oui, parce que j’ai écrit un 8ème tome en scred, prévu depuis le début. Je ne vous raconte pas… La fin du tome 7 avait été écrite comme une vraie fin… jusqu’à la dernière page qui envoie tout valdinguer en l’air, avec des morts violentes et tout. Un plotwist gigantesque que personne n’a vu venir. J’ai laissé les gens mariner 24h avant de leur dire « ah que coucou, en fait, y a un tome 8, bisou sur la glabelle ! »). J’ai donc pu dire adieu à cet univers sans trop de regrets, malgré tout l’attachement envers l’œuvre la plus longue de ma biographie et qui le restera probablement pour le restant de mes jours (1.5 millions de mots. C’est comme si j’avais écrit 14 tomes pour Persona. Voilà, ça se pose là.) J’avais bien l’idée (et l’envie) d’écrire une suite à LMA, mais j’y reviendrai.
Mais à partir de ce moment-là, c’est comme si tout le voile magique et lumineux s’était levé. Je voyais avec des yeux neufs. Harry Potter ne me paraissait tout à coup plus aussi merveilleux. J’ai commencé à voir l’œuvre banale, affligeante de clichés, de biais classiques, de facilités scénaristiques, marqué par une hétéronormativité de laquelle les fanfictions m’avaient détournée (les couples sont hétéro, formés dès l’adolescence, ça finit en mariage avec son premier amour et hophop des enfants, on niaise pas !). Je me suis rendue compte à quel point Rogue était un sale type, qui a harcelé et maltraité le gosse de la fille sur laquelle il a entretenu un crush malsain pendant des décennies sans jamais se remettre en question ou essayer de passer à autre chose (le changement, c’est pas maintenant, pour Rogue). Les personnages d’origines étrangères sont des stéréotypes sur pattes, jusqu’à leur nom (je ne me remettrai jamais de Cho Chang. Qui sont des noms qui n’existent pas en Chine ! Comme si on appelait un personnage français Omelette DuFromage ou un américain Hellyeah Murica). Ce n’était qu’une histoire manichéenne pour enfants comme il en existait tant d’autres, et mieux écrites. J’avais envie de continuer le rêve, de garder mon innocence, mais ça m’a été impossible.
Dernièrement, ma plus grande désillusion a été de voir tout bêtement un TikTok d’un mariage sur le thème d’Harry Potter (parce que je suis tombée dans le BrideTok ! Le side spécialisé mariage de l’application) et… j’ai trouvé ça cringe et malaisant. De voir un couple s’unir avec un serment inviolable, de faire des potions, de passer par un portail 9 ¾. Peut-être que je mûris et que je vois le mariage comme autre chose qu’une convention geek (dit celle qui a les livres et les mondes imaginaires comme thème de mariage !), dans le sens où, à 80 ans, j’aurai envie de garder le souvenir de mon union avec l’homme de ma vie au milieu d’intemporels, au milieu de cette passion pour la littérature qui nous a liés… mais je n’ai pas envie que notre alliance soit associée à une seule œuvre aujourd’hui si décriée, comme si notre union reposait dessus. Je veux donner une identité singulière à notre relation, sans forcément l’associer à un livre en particulier. J’ai presque fait un blackout de ma propre fête de fiançailles, organisée avec nos amis dans un bar Harry Potter justement, c’est vous dire. Je n’ai pas réussi à nous construire des souvenirs À NOUS, juste de NOUS, pour NOUS. La seule chose dont je me souviens, c’est Harry Potter. Et avec le rejet profond, j’ai juste mis de côté dans ma mémoire cet événement qui aurait dû être l’un des plus beaux de ma vie.
(Ajout J+1 : ce passage mérite d’être nuancé de par certaines discussions échangées. Je ne critique pas les mariages à thèmes, loin de là. Certains, même concentrés autour d’un univers, peuvent être très beaux, car en récupèrent les codes esthétiques et créent quelque chose d’unique qui ressemble aux marié.e.s. Dans cette vidéo-là en particulier, rien ne semblait « singulier », propre au couple. Tout était Harry Potter. Et les invités en cape de Poudlard, ça faisait très réunion de fans en convention ou fête d’anniversaire, mais pas mariage. Je pense aussi qu’il s’agit d’une réaction de rejet de ma part. J’aurai pu être cette mariée et je l’aurai profondément regretté. Mais bon ; haters still be haters ! Le principal, c’est que ce couple soit heureux ! ♥️)
J’ai vu de nombreux fans s’insurger des paroles de l’actrice qui jouait Chourave, expliquant qu’Harry Potter était une œuvre pour enfants, que ça allait trop loin et qu’on devait la laisser partir. Au départ, j’ai été un peu choquée de la rudesse de ses propos, peut-être pincée dans mes sentiments profonds de fan inconditionnelle qui a vécu tellement de choses avec cette saga ; aujourd’hui, je ne pourrais pas être plus d’accord. Harry Potter est un beau souvenir de mon enfance, de mon adolescence, de ma vie de jeune adulte. Je la considérerai avec nostalgie, car je garde au moins cette affection. Mais elle n’appartient plus au présent et je ne veux pas m’acharner à la garder en vie. Elle restera lumineuse, mais dans mon passé.
À mon sens, il s’agit d’un véritable deuil. L’histoire d’Harry Potter est morte en moi dès que Rowling a conforté ses prises de position. Et plutôt que de lui faire du bouche-à-bouche, de la zombéifier, j’ai décidé de la laisser partir. Je suis passée par toutes les phases, de colère, d’incompréhension, de tristesse, de bargening (c’est-à-dire de marchandage. Et ça, on l’a vu notamment avec la sortie du jeu vidéo Hogwarts Legacy, avec toutes les personnes qui se sont justifiées « non mais si je l’achète d’occasion, je donne pas mon argent ! »). Puis d’acceptation.
Mon soutien envers la communauté trans, envers mes proches qui le sont, qui le seraient, est bien plus important à mes yeux que mon confort individuel qui consiste à chérir une œuvre en boucle sans jamais la remettre en question. Je ne veux pas devenir un fantôme, une image du passé immuable, imprimée pour toujours et condamnée à rester identique, qui vit en constant décalage. Je suis encore en vie, et cela implique d’évoluer, de douter, de faire mieux.
Cela ne changera rien au fait que j’en chérirai le souvenir et tout ce que cet univers m’a apporté, en termes d’expériences, de rencontres humaines et virtuelles, de fantaisies au sens premier du terme. Je lui en suis reconnaissante. Je ne la regrette pas ; elle m’a beaucoup apporté ; elle ne m’apportera plus rien. Place à d’autres souvenirs. Je veux m’en créer de nouveaux, qui me font vivre des émotions aussi fortes. Mais pour cela, je dois m’autoriser à laisser partir Harry Potter pour donner de l’espace à la suite.
✨ Ai-je aussi enterré LMA ?
Depuis ces déclarations, il est évident que je ne considère plus mes propres écrits d’un même œil. Cependant, je peux me réjouir d’une chose : j’ai écrit une fanfiction composée quasi exclusivement d’OC (d’Originals Characters, c’est-à-dire de personnages inventés par mes soins). Les personnages de la saga d’origine ne font office que de figurants, offrant des caméos appréciés du lectorat, rien de plus.
Quand je travaille mes histoires, quand j’en apprécie d’autres, j’analyse toujours les trois sphères qui sont les suivantes : les personnages, l’intrigue et l’univers. Les trois sont concomitantes, évoluent ensemble, et c’est l’équilibre de leur dynamique qui permet à l’œuvre d’être impactante. Dans mes propres œuvres, j’ai souvent mis en avant les personnages, plus que les deux autres sphères ; des personnages avec des identités propres, des enjeux personnels, des constructions complexes, et des dynamiques qui s’adaptent en fonction du contexte, de leur interlocuteurice.
Dans Harry Potter, je n’ai concrètement que peu d’attachement envers les personnages. Hermione sort du lot et elle résout 80% des problèmes à elle seule, mais toujours reléguée à la gamine relou (franchement, quelle idée de vouloir sortir les elfes de maison de l’esclavagisme moderne). L’intrigue est aussi basique qu’un riz nature froid, avec un méchant très méchant qui attend toujours sagement que l’élu finisse son année scolaire pour en découdre (on ne le dit jamais assez, mais Voldemort est le premier supporter de la scolarité d’Harry). En fait, ce qui nous transporte, dans Harry Potter, d’après mon point de vue, c’est l’univers. Son atmosphère unique, avec cette ambiance magico-britannique très reconnaissable, avec cette foule de détails inventifs (avec lesquels Rowling s’est d’ailleurs souvent emmêlé les pinceaux quand on analyse bien). Celle que l’on imite dans des conventions, dans des bars, dans des Escape Game, et c’est ÇA qui nous fait rêver. Le jeu Hogwarts Legacy et nos propres parcours l’ont bien montré : on veut se créer NOS PROPRES identités dans cet univers. S’imaginer une maison, un Patronus, notre baguette… S’insérer dans ce monde magique, en tant que nous-mêmes. Le reste n’a finalement que peu d’importance maintenant que la saga a son point final.
Avec LMA, j’ai repris l’univers et l’ai tourné à ma sauce, en y insérant mon péché mignon, à savoir des personnages complets. Un tour de force qui me donne le vertige, avec le recul, puisque j’ai accompagné Kate, Maggie et Terry depuis leurs 11 ans, jusqu’à leurs 18 ans, sans jamais faire d’ellipse. Plus que de faire évoluer leurs comportements au fil de l’intrigue, comme beaucoup de romans, il a fallu m’adapter à ce que chaque âge représentait, en termes de caractérisations, d’expériences propres à chaque période, et de garder tout ça raccord. De les accompagner petit à petit, graduellement. On se souviendra tou.te.s du caractère de merde bien rebelle de Kate dans le tome III, en pleine crise d’ado, qui a envie de s’opposer à son père, pour des raisons qu’elle estime tout à fait légitimes. Des paris pas toujours matures entre Maggie et Terry, mais qui dépeins les idioties du collège et du lycée qui ne faisaient rire que nous. Les hormones qui travaillent beaucoup (parce que vraiment, personne ne comprend pas comment Harry n’en est pas venu à espionner le vestiaire des filles à l’aide de sa cape d’invisibilité. Même si c’est un comportement très répréhensible ; ne le faites jamais !). Les doutes, les relations qui durent 3 semaines mais qui symbolisent toutes nos vies, les hypersensibilités, les nons-dits et les proportions gigantesques d’un pauvre examen ou d’un silence de la part de sa meilleure amie.
En parallèle de ça, je me suis beaucoup amusée à justement critiquer les failles de l’univers de Rowling. De remettre en question certains points problématiques qui montrent que son monde n’est pas si inclusif que ça si on s’en tient à sa seule version. J’ai cherché à créer un monde magique à mon image, avec des réflexions autour de nombreux sujets : comment font les sorciers sourds dans la société sorcière ? Et celles et ceux qui sont équipés d’appareillages puisqu’ils n’ont normalement pas accès à la technologie ? Sur quoi se base la médecine sorcière ? Où est la représentation du handicap ? Les sorciers peuvent-ils pratiquer une religion moldue et comment cela est-il perçu ? Quelles sont les relations internationales entre les différentes cultures sorcières ? Est-ce que la magie doit se pratiquer uniquement avec une baguette ? Existe-t-il d’autres types de magie ? Pourquoi le choixpeau détermine-t-il nos valeurs à l’âge de 11 ans alors que nous sommes encore en pleine construction ? De ce fait, peut-on changer de maison ? Comment se déterminent les Patronus, et peuvent-ils changer aussi ?
Le concept de LMA repose sur une nouveauté très simple : l’ouverture fortuite d’une cinquième maison à Poudlard. Une maison qui a tout à construire, dont les élèves doivent exhumer le passé mystérieux. Une maison qui répond au nom de Papillombre, représentée par un papillon violet, et qui incarne les valeurs de la différence et du rêve. Au sein de Papillombre, c’est une sorte de Persona avant l’heure. Une réunion de tous les outsiders du système. Celles et ceux qui sont « de trop », qui ne rentrent pas dans les cases. Et qui vont apprendre à faire famille, ensemble. Et dans LMA, on va tacler allègrement les positions de Rowling sur les autres maisons. Découvrir que les Serpentards peuvent être de chouettes personnes et que les Gryffondors peuvent être de vrais trous de balle (quels crâneurs ceux-là…).
LMA est cependant loin d’être exempte de défauts. Commencée en 2012, elle souffre de nombreux biais et de dialogues parfois discutables, au niveau grossophobie et validisme sous couvert de la « blagounette » (Phil et Maggie sont vraiment affreux, des fois !). Les personnages racisés ne sont pas légion. La représentation LGBTQIA+ est assez limitée, puisqu’on dénombre seulement trois personnages gays (Dumbledore ne compte pas), un personnage bi (Vilma is the best ; et je ne peux pas vraiment compter Kate comme bi malgré certains éléments. Je pense qu’elle se cherchait), un personnage lesbien + un couple de mères lesbiennes, un personnage ace et un personnage aro/ace (même si ce n’est pas explicitement dit, mais on se doute que Tetsuya et Will sont sur le spectre !). Sur des dizaines de personnages. De ce fait, il me paraît évident qu’une réécriture de l’œuvre est nécessaire, pour rectifier ces aspects, avant d’offrir la version imprimée que je promets depuis si longtemps. Je ne vais pas insérer de nouveaux personnages ou en réécrire pour correspondre davantage à ma vision de l’écriture aujourd’hui ; cela reste et restera un écrit de 2012. Au contraire, je suis heureuse de voir le chemin parcouru depuis et LMA restera ainsi un excellent traceur, un témoin de l’époque des années 2010. Je n’en ai pas honte, au contraire ; je suis fière de mes progrès, de mon évolution.
Comme vous vous doutez, le travail est colossal. Débusquer les phrases qui aujourd’hui font grincer des dents, les réécrire sans dénaturer le sens ou la personnalité des protagonistes. Heureusement, je suis entourée de deux fans de la première heure, qui pointe comme des snipers ; néanmoins, le plus gros du travail doit venir de moi. Et comment vous dire qu’aujourd’hui, je préfère consacrer mon temps libre à de nouvelles œuvres, qui reflètent davantage mon état d’esprit de la Ielenna de 2024, avec des travaux publiables qui me permettent d’étayer ma carrière d’autrice professionnelle, plutôt que de m’acharner sur une fanfiction monstrueuse basée sur un univers que j’essaie d’enterrer aujourd’hui.
Je ne renonce pas à l’idée, mais j’avoue traîner un peu des pieds. Ma seule motivation, c’est de savoir que cette fanfiction est le refuge de beaucoup de lecteurices d’Harry Potter qui, comme moi, se sont sentis trahis par Rowling. LMA a compté pour beaucoup de personnes. Elle représente une histoire parfois plus importante que l’œuvre originelle. J’ai reçu des messages des plus touchants, des anecdotes incroyables. De deux amies de lycée qui se donnaient RDV les vendredis soirs chez l’une ou l’autre, pour lire en même temps le nouveau chapitre qui venait de sortir et que cela est devenu un souvenir précieux de cette période. D’un père de famille qui lisait LMA au chevet de ses filles le soir, pendant des années, et qu’il les a vu grandir, comme Kate, que cela a créé un lien spécial entre elles et lui. Des collégiens qui ont passé des moments difficiles dans leur vie, des situations de harcèlement, le divorce de parents, qui se sont réfugiés dans LMA. Des étudiants qui s’offraient une lecture de LMA pour se récompenser de leurs partiels. Et je ne peux pas leur enlever ça.
LMA reste une fanfiction, mais elle reste ma plus grosse histoire (plus longue même que la saga originelle !) et celle qui a été la plus lue (elle avait dépassé le million de lectures toutes plateformes confondues en 2022, je ne sais pas où ça en est aujourd’hui). Il y a eu des fanfictions, des fanarts, des personnes qui se sont même tatouées en l’honneur de LMA. Bref, une histoire qui compte à leurs yeux. Pour certain.e.s, LMA est devenue aussi importante qu’Harry Potter l’a été à mes yeux.
Et je ne veux pas trahir à mon tour les lecteurices qui l’attendent pour l’immortaliser en version papier. Ça aussi, d’ailleurs, ça avait été tout un branle-bas de combat dans ma tête ! Pendant longtemps, je me suis refusée à imprimer ma fanfiction Harry Potter par respect pour l’autrice, même si je ne faisais aucun bénéfice dessus. Aujourd’hui, j’ai plus de race. Je m’en cogne. Les fichiers imprimables seront mis en libre accès et n’importe qui pourra imprimer ses propres exemplaires uniques pour sa bibliothèque. Et limite ouvrir une cagnotte pour celleux qui aimeraient donner un petit pécule de remerciement ; on reversera le tour à des assos LBGTQIA+. Au final, LMA reste une bonne vitrine pour moi. Un échantillon monstrueux de ce dont je suis capable en termes d’autrice. Et au final, si des personnes sont intéressées par mes écrits, mais ne sont pas en capacité de payer pour les Fleurs d’Opale ou pour Persona, LMA peut être une bonne alternative. On peut les lire en ligne ou télécharger gratuitement les ebooks de chaque tome.
On m’a demandé pourquoi je ne la réécrivais pas pour faire en sorte de la détacher d’Harry Potter (un peu comme ce qui avait été fait pour 50 Shades of Grey, qui est au départ une fanfiction Twilight), hélas, c’est impossible. Tout est trop intriqué. J’ai trop joué le jeu du camouflage, de qu’est-ce qui est du ressort de l’œuvre de base ou de mon imagination. Le fil est emberlificoté en une énorme pelote et je vous laisse imaginer le travail titanesque que cela demanderait. Et je pense, malheureusement, que LMA perdrait en substance. Car ce qui fait sa force, c’est qu’elle sublime un univers imparfait.
Et la suite ? Oui, parce que j’avais parlé d’une suite potentielle. J’avais même posté le premier chapitre. Qui parlerait de l’après scolarité de Kate, avec ses études en tant que nettoyeuse (chasseuse de monstres) et tous ses voyages autour du monde avec Emeric. J’ai tout en tête. Mais ai-je vraiment l’envie de l’écrire ? Je ne sais plus… Même si on se détache de l’univers Poudlard, etc., on garde l’idée de la communauté sorcière, des sortilèges et du vocabulaire propre à l’œuvre originelle. Non… je n’ai absolument aucune motivation. C’est dommage, y avait de quoi raconter, mais peut-être mieux vaut-il s’en arrêter là. Les personnages ont déjà bien vécu. Disons que je ne suis pas triste. Peut-être que LMA s’est terminée trop tard. Que j’aurai dû la clore vers 2017-2018, pour écrire le séquel jusqu’en 2020 et là c’était OK. Cela ne change pas le « problème » principal : LMA mériterait des dizaines de spin-off, c’est-à-dire d’histoires parallèles. On m’a réclamé la scolarité d’Abby, la petite sœur sourde de l’héroïne, à Poudlard, à titre d’exemple. Mais chaque personnage mériterait son arc. Ça serait interminable…
Donc non. Pour l’instant, c’est un non. Définitif, pas forcément. Ne jamais dire jamais. Peut-être que dans cinq ans, prise de nostalgie, ou parce qu’un immense producteur décidera d’adapter LMA à l’écran pour contrer la série Harry Potter et en faire quelque chose de plus inclusif (laissez-moi rêver, please), je me déciderai à poursuivre l’aventure de la petite sorcière aux papillons violets.
✨ Harry Potter et les réseaux sociaux en 2024
Maintenant que j’ai expliqué le passif, il est temps pour moi de raccorder les wagons. Et d’en revenir au sujet, peut-être, qui résonnera le plus en vous. Être fan d’Harry Potter en 2024, est-ce encore possible ?
Disons que la thématique peut se rattacher à tous les débats que l’on a vu fleurir autour des auteurices dit.e.s problématiques, c’est-à-dire qui ont (eu) des propos discutables, qui ont (eu) des prises de position en désaccord avec certaines valeurs. Qui font la promotion de la guerre, de la pédophilie (ou en tout cas, qui ne la remettent pas en cause), qui ne questionnent pas le racisme, la ségrégation, de la culture du viol, de la domination patriarcale, l’homophobie, whatever. Que ce soit dans leurs prises de paroles ou au sein de leurs œuvres.
Et on en revient à l’éternelle question : faut-il séparer l’œuvre de l’artiste ? Je me prononce en tant qu’artiste : ne me séparez JAMAIS de mon œuvre. Mon œuvre reflète les valeurs que je nourrissais à un instant T. Elles sont les témoins de mon évolution, des messages qui me sont chers. Sans écrire des œuvres militantes (quoi que, à en croire certaines chroniques, Persona serait trop « propagande LBGTQIA+ » !), elles sont le reflet de mes engagements. Un monde qui se remet en question, qui ne cesse de changer dans l’intérêt de chacun, des sociétés que l’on casse, que l’on perfectionne. Des dénonciations, des odes à la différence, à l’amour sous toutes ses formes, au pardon, à commencer par celui que l’on se dédie.
Ne vous privez pas de me rappeler à l’ordre si je manque à mes principes. Si je fais un pas de travers. De m’expliquer mes erreurs. Mon égo s’en remettra. Je veux devenir une meilleure personne, mais surtout, une meilleure citoyenne au sein d’une société multicolore.
L’écriture est politique. Et si certain.e.s auteurices prônent des espaces apolitiques en drapeau blanc, grand bien leur fasse, de mon côté, je ne cesserai jamais de croire que nos positionnements sont le reflet de nos espoirs pour notre société commune. Et que cela passe par l’écriture. Je peux râler toute ma vie sur les injustices dont je suis témoin, mais si je laisse ma plume dans le tiroir par peur d’être politiquement positionnée et de froisser quelques avis tranchés, alors que signifie que j’ai renoncé d’avance à agir en tant que citoyenne, en tant qu’humaine. Je n’ai aucune compétence dans le débat oral ; mes mots d’encre, réelle comme virtuelle, s’expriment pour moi. Nos opinions ont des conséquences réelles. Et souvenez-vous de l’une des morales de LMA : le seul battement d’un petit papillon peut provoquer une tempête (d’ailleurs, quelle est la morale de Harry Potter, au final ? « L’amitié, c’est bien ? Les méchants seront toujours des méchants ? »)
Aussi, je ne séparerai pas Rowling d’Harry Potter. Pas quand on sait que l’argent qu’elle gagne sur son œuvre sert à financer des entreprises et des actions qui privent les personnes LGBTQIA+ de leurs droits. Qui leur met des bâtons dans les roues. Quand la place qu’on lui donne, ce mégaphone, ce piédestal, lui sert à cracher sa haine, à diffuser ses idées néfastes. Celles qu’elles dénonçaient dans sa propre saga. Il est important de rappeler que des personnes trans sont agressées tous les jours pour ce qu’iels sont. Meurent pour leur identité. Sont plus concerné.e.s par les tentatives de suicide (8 fois plus que le reste de la population). Rowling est la preuve qu’on peut toujours faire mieux ; elle est devenue l’antagoniste qu’elle a tenté d’écrire.
Alors oui, quand vous consommez Harry Potter en donnant de nouveaux sous, vous êtes « complices » de cela, même si ce n’était pas votre intention première. Au même titre que vous êtes « complices » du réchauffement climatique en conduisant tous les jours votre voiture. À savoir si vous êtes OK avec ça, si vous pouvez vivre avec cette idée. Certes, ce n’est qu’une petite goutte. Mais à nous convaincre que nous ne sommes que des gouttes, nous ne nous apercevons pas qu’ensemble, nous sommes océan (ou le battement d’ailes de papillon, tout ça tout ça). Nous avons chacun notre part de responsabilité dans le système.
Personne ne fera la police, à vérifier que vous n’achetez rien de la franchise Harry Potter. Je ne jugerai personne, tout le monde a ses raisons. Si ça vous permet de vous sentir mieux, qui suis-je pour vous dire que votre santé mentale vaut moins que celles des personnes trans ? Néanmoins, cela devient, d’après moi, plus questionnable quand on en vient à en continuer la promotion.
Quand je vois des stories « cet aprem, je joue à Hogwarts Legacy ! » ; « j’ai acheté mon énième livre collector Harry Potter ! » ; « devinez où je suis ? Oui, ce sont les studios Harry Potter ! », je crisse. Cela me fait le même effet que « hé, regarde mon RangeRover super polluant ! La classe, non ? ». Tu peux avoir ton RangeRover si tu veux, si ça te fait kiffer, mais de là à croire que ça sera du meilleur effet général ?
L’utilisation des réseaux sociaux, telle qu’elle est conçue aujourd’hui, nous entraîne à partager nos succès. Ce qui nous rend fiers. On met en avant ce qui inspire, ce qui rend jaloux, les marques de réussite sociale. En quoi cela rend-il fier, en 2024, de partager des choses sur Harry Potter ? Quand on sait, quand on a conscience, des implications derrière ? Cela se ressent non pas comme une ignorance, mais comme une indifférence. À mes yeux, les personnes qui continuent à partager du contenu Harry Potter en 2024 et à mettre en avant ces œuvres sont obligatoirement conscientes de tout ça, et décident de cautionner malgré tout. N’en ont peut-être rien à cirer des conditions de vie des personnes trans qui naviguent entre remarques, gêne dans l’accès aux droits élémentaires et agressions. Peut-être qu’en lisant cette newsletter, vous me direz « ah mais non, ce n’est pas ça que je voulais dire ! », mais je vais vous l’affirmer : c’est ainsi que nous l’interprétons. Que vous le vouliez ou non. Car entre le message que vous souhaitez faire passer et ce qu’il en ressort, il existe en général tout un monde, influencé par nos prises de position personnelles. Des vies sont en jeu derrière ces ressorts militants et politiques. À moi donc, plutôt, de vous demander : qu’attendiez-vous comme réaction à la suite de vos partages, en 2024 ? Des emojis flammes ? 🔥 Applaudissements ? 👏
« Oui, mais c’est l’œuvre de mon enfance ! Elle est si importante à mes yeux ! ». Écoute, Jean-Mi, si la nana que je suis, qui avait Harry Potter en centre d’intérêt principal, qui a rencontré son futur mari grâce à cette œuvre, qui a écrit une fanfiction d’1.5 millions de mots qui lui a pris 8 ans de sa vie, a réussi à laisser cette œuvre de côté, je suis certaine que tu peux, non ? Des personnes se sont faites retirées leurs tatouages Harry Potter également, on est pas mal en termes d’investissement de soi. Et comme je l’ai expliqué, personne n’interdira jamais rien. Les librairies mettraient les clés sous la porte si on leur refusait de vendre Harry Potter du jour au lendemain. Mais nous devrions peut-être réfléchir ensemble à notre manière de consommer cette œuvre et à la place que nous lui donnons en tant que société. D’ailleurs, cela vaut pour Harry Potter, mais pour plein d’autres œuvres ; nous devrions, chacun.e, être responsable de notre consommation littéraire, en termes de messages, en termes d’impacts culturels et sociétaux.
Et vous vous souvenez de la communauté de fanfictions Harry Potter dont je faisais partie ? Composée de fans hardcore qui comme moi a passé des heures et des heures de bénévolat à organiser des événements Harry Potter, à écrire des fanfictions ? Elle s’est ouvertement positionnée contre les propos de Rowling et a même créé un partenariat avec la maison d’édition YBY, spécialisée dans les écrits queer. Un beau pied de nez, comme je les aime. Je suis fière de ma communauté HPF. Bravo à elle !
Comment faire, dans ce cas ? Personne ne parle de jeter vos livres au feu et de balancer votre collection d’objets, loin de là (je garde les miens, mais je ne les mets plus en avant dans ma déco ; d’ailleurs, on a choisi d’imprimer un exemplaire relié de LMA qui servira de porte-alliance pour notre mariage. Parce qu’on se refusait d’utiliser un Harry Potter, mais qu’on ne peut pas nier notre histoire). Voici quelques idées en vrac : commencer par enlever sa maison de sa bio Instagram (même si on la garde précieusement dans le cœur) ; si on veut acheter des goodies Harry Potter, se tourner vers des petits artisans sur Etsy, en salons ; acheter d’occasion les livres, les jeux vidéos ; se poser la question, chaque fois qu’on veut partager un post, une story faisant référence à Harry Potter « qu’est-ce que cela va m’apporter ? Est-ce que cela peut potentiellement blesser des personnes de ma communauté ? » ; trouver d’autres univers qui nous tiennent à cœur pour mettre en avant des pépites moins connues. Continuez à lire Harry Potter si ça vous fait du bien. À faire des marathons des films chez vous avec les DVDs achetés par le passé ou prêtés (on évite de montrer à TF1 que ça rassemble les masses autour de Noël, please, ça ne fait pas passer le bon message). Kiffer de son côté ne fait de mal à personne, en soi.
Et ces réflexions me concernent également. Ça serait mentir d’affirmer que je ne ferai jamais lire Harry Potter à mes enfants s’iels le souhaitent ; par contre, je le leur proposerai au même titre plein d’autres œuvres jeunesse, comme Magic Charly, d’Audrey Alwett, comme Ewilan de Pierre Bottero. Je leur laisserai choisir parmi les œuvres qui sortiront à ce moment et se créer à leur tour ce qu’Harry Potter a été à mes yeux. Mais je n’ai aucune légitimité à leur imposer cela, et sûrement pas en sachant tout ce que cela implique. Plus qu’un goût pour la lecture, j’espère leur inculquer le respect d’autrui, l’empathie, la liberté d’être et d’aimer. Des valeurs inverses à celles que prône Mme Rowling aujourd’hui.
Je comprends votre attachement. Je comprends votre douleur. Je comprends votre refuge. Tout ça, je l’ai vécu. Mais si mon témoignage peut servir à quelque chose, c’est d’affirmer que j’ai survécu et que je le vis bien. En accord avec moi-même, et c’est le plus important.
Je suis heureuse de découvrir d’autres œuvres, de composer les miennes, avec des protagonistes qui feraient friser la coiffe de Rowling. Et parce que je deviens lionne si on touche un cheveu de mes personnages, parce que je tiens à ce que mes ami.e.s, mes proches, se sentent en sécurité dans mes sphères publiques ou privées, je suis prête mille fois à délaisser les histoires qui m’ont, un temps seulement, fait rêver à titre personnel, sur de la magie, sur de la poudre à paillettes qui cachaient un décor sombre et bancal. Un doux mirage que l’on aurait voulu éternel. Mais qui ne reste qu’une illusion.
Alors, aujourd’hui, je le proclame : not always.
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Pas de recommandation ou de date aujourd’hui, ce sont les vacances ! Mais comme disait un grand philosophe nommé Terminator : I will be back.
Comme à chaque fois, ta newsletter donne de quoi réfléchir et elle a fortement résonné dans ma tête depuis ma lecture hier.
Comme beaucoup, j'ai grandi avec l'univers et les personnages. Mais c'est sur le tard que j'y suis véritablement revenue. Pendant ce qui doit être la période la plus compliquée de ma vie, j'ai eu besoin d'un refuge et ça a été la littérature, notamment le monde du sorcier pour tout ce qu'il pouvait m'apporter de réconfortant. C'était clairement ma safe place quand les idées noires m'innondaient.
Alors quand JKR a commencé à ouvrir sa bouche pour sortir ses inepties, je me suis sentie trahie. J'ai conscience d'avoir pris du recul par rapport à son œuvre mais j'avoue ne pas réussir à m'en détacher complètement à cause de ce qu'elle signifie pour moi. - et je culpabilise assez pour ça.
Le seul point où j'apporterai une nuance concernant les bouquins, c'est que oui avec notre regard de 2024 c'est plein de facilités, de tropes usés jusqu'à la corde mais une œuvre se regarde toujours dans son contexte. Et à l'époque, c'était clairement lui qui a ouvert la voie à tout ce que l'on peut lire et écrire aujourd'hui. Certes, d'autres romans du style existaient mais l'impact de HP est indéniable dans le monde littéraire et de l'imaginaire en général.
Hello ! Je suis vraiment fan de tes newsletters ! Je les lis chaque mois avec beaucoup d'attention, alors je laisse enfin un message pour te dire qu'elles sont toujours extrêmement intéressantes, bien construites et passionnantes ! J'avoue que je ne savais pas du tout que tu avais écrit une fanfiction Harry Potter et en lisant la manière dont tu en parles, ça me donne envie de la lire car elle a l'air dix mille fois mieux que l'œuvre originale haha 🤣 Tu as l'air d'avoir vraiment fait un travail exceptionnel ! Bref, c'était vraiment intéressant ! Merci pour ton témoignage :))