En avril dernier, gros débat sur Threads. Le départ de cette newsletter, d’ailleurs. Combats de mots, d’arguments relatifs et d’expériences pleines de désillusion. Plaintes sur l’attrition des romans d’une saga, de chiffres de ventes décevants, de la vie raccourcie des livres dans les circuits, le tout gratiné de piques à base de “ptet que ton livre est juste naze, remets-toi en question”. Bref, une ambiance comme on les aime, pleine de tension, de dents qui grincent, de poings serrés, prêts à dégainer les doigts pour qu’ils tapent une réplique plus vite que leur ombre sur le clavier déjà fort maltraité.
Et tout à coup, une connaissance qui s’immisce suite à l’une de mes réactions et qui commente :
“Oui, mais rappelle-toi, Ielenna. Quand toi et moi avons commencé à écrire et à publier, il n’y avait pas autant de monde.”
Sous-entendu : c’est parce qu’il y a trop d’auteurices aujourd’hui sur le marché que “personne ne marche vraiment”.
Cette phrase m’a fait réfléchir et aujourd’hui, mes réflexions ont un peu décanté. J’ai prêté un œil plus attentif aux dynamiques qui s’opéraient sur certaines sphères d’écriture, notamment publique, sur Instagram, sans aller fouiner du côté des Discord. Les temps ont changé depuis 2006, ou même depuis 2012. Mais est-on réellement plus nombreux.ses qu’avant ? Et cela nuit-il vraiment nos chances de réussir en tant qu’auteurices, contraint.e.s par le nombre à s’entretuer comme des requins affamés pour espérer récupérer les miettes d’un système bancal ? 🦈
Ma conclusion, je la donne en introduction (comme ça, VLAM !, au moins, c’est ce qu’on appelle de l’efficacité !) : non, je ne pense pas.
Maintenant que j’ai instauré une ambiance de suspense, en mode TINTIN-TIIIIIIIIN (illustrée par cette célèbre marmotte), c’est mon moment interlude remerciements-état des lieux, et tout le touin-touin.
Vous êtes 265 à recevoir cette lettre dans votre boîte mail, à vous dire “oh non, pas elle, pas encore 😭”. Navrée. Mais ça me rend heureuse ! Merci d’être de plus en plus nombreux.ses à lire mes pérégrinations d’autrice. Merci également à mes collègues de plume qui recommandent le ✨ blabla qui chatoie ✨ auprès de leurs abonnés. La propaganda est multiple ! D’ailleurs, êtes-vous abonné.e ?
Je suis Ielenna, je ne peux désormais plus nier ma trentaine. Je suis autrice hybride ; hybride sur tous les plans (FullMetal Alchemist doesn’t approuve), à mi-chemin entre amatrice et pro, à mi-chemin entre les genres, entre les modes d’édition. Je suis une éternelle indécise parce que j’aime pas la stabilité (c’est pour les faibles). Ici, nous parlons d’écriture, de lecture, de tous les concepts qui peuvent s’y lier autour de leur consommation, de leur manière d’être appréhendées. On a déjà abordé de multiples sujets : comment dealer avec l’introversion quand on est auteurice ; les salons du livre ; les personnages masculins ; gérer vie professionnelle autre que l’écriture à côté de sa passion, voire de sa deuxième activité pro ; les limites de l’internet dans l’expression… Bref, si vous avez loupé un chapitre, n’hésitez pas à checker les lettres précédentes. Elles vous attendent sagement.
D’ailleurs, comme toutes les autres, cette lettre est trop longue pour apparaître en entier dans le mail ; n’hésitez pas à ouvrir le lien Substack en bas de mail pour la lire sur le site.
✨Etat des lieux actuels
Avant de nous fixer sur des pistes, il serait intéressant de faire le point sur ce qu’il en est vraiment. Les ventes sont-elles si catastrophiques que ça. Peut-être. Ou s’agit-il d’un ressenti, seulement. Le fait est que cette situation pèse sur certaines personnes. Et le souci, quand on est lésé, c’est qu’on cherche un coupable. C’est facile, d’accuser les autres auteurices, de son manque de succès. Un peu trop facile, même. On serait tenté de se dire “nous gagnons de moins en moins” + “nous sommes de plus en plus nombreux sur le marché” = “c’est de la faute des autres”. Mais plutôt que de s’évertuer à trouver un coupable coûte que coûte pour l’accuser de tous nos maux, penchons-nous d’abord sur les problématiques pour mieux les décortiquer.
Disclaimer : je ne suis pas une universitaire ou une spécialiste du milieu du livre. Même si je recherche des chiffres sur lesquels m’appuyer, je ne peux négliger le facteur subjectivité et expérience, qui sont inhérents à certaines sciences sociales et humaines (et que j’use notamment dans mon quotidien professionnel, car les données probantes et les méthodologies ne permettent pas toujours de désamorcer le genre humain et toutes ses palettes émotionnelles, ou du moins, peuvent présenter des limites si considérées de manières isolées) ; ces ajouts seront là pour en tirer de possibles interprétations et réfléchir ensemble à des paradigmes plus probables (je suis sûre que tout ça veuille pas dire grand-chose, mais la preuve que sortir des grands mots donnent l’air intelligent. En vrai, j’ai les compétences d’un poulet dans le domaine, mais j’essaie de me dépatouiller). Mais ces ajouts plus subjectif viendra plus tard. D’abord, les chiffres, les purs, les durs, ceux qui font jubiler les matheux, ceux qui ornent les autels des statisticiens (je vous vois. Je sais qu’il y a parmi vous des auteurices qui aiment faire des graphiques. Chacun son kink, on jugera pas. En vrai, je comprends tellement !)
Je vais baser mes données sur trois sites différents : la SNE (Syndicat national de l’Edition) (cette synthèse en complément), GFK et le merveilleux Observatoire de l’Imaginaire pour recentrer le discours sur les gens de la SFFF.
Car oui, nous avons plusieurs biais pas forcément pris en compte dans ces données. La première, c’est qu’en effet, la SNE analyse toutes les parutions en ME (maison d’édition), sans distinction des genres ou de littérature (ça peut compter les livres de cuisine quoi). Or, si on veut analyser le “on est trop d’auteurices” d’un point de vue booksta actuel, il serait assez cocasse que nous sommes actuellement trop nombreux sur booksta/booktok à écrire de la blanche. Ici, le pointage concernait - mais arrêtez-moi si je me trompe - les récits de l’imaginaire (fantasy, dystopie, urban fantasy…) et la romance (qui a fait un bond de +106%, avec 6 millions de ventes d’ouvrages).
L’autre biais, qui concerne ces deux champs de données, c’est qu’ils ne prennent pas en compte l’expansion de l’auto-édition. Par exemple, entre 2019 et 2022, entre 38000 et 45000 nouveaux livres sont sortis sur le marché. Or, en 2021, on estimait à 7000 nouvelles parutions francophones, rien qu’en auto-édition, non pris en compte sur les 40000 sortis cette année-là. Soit 15% du marché. C’est ENORME (et encore, il ne s’agit d’estimations. Car comment compter tous les auto-édités ? Tous ne passent pas par AmazonKDP, votre hôte est le meilleur exemple). Et encore, les chiffres de 2021 sont à prendre avec des pincettes. En effet, beaucoup de structures éditoriales ont repoussé des sorties prévues en 2020 l’année suivante, du fait du Covid. Ce Covid a d’ailleurs beaucoup joué ! En effet, les éditeurs ont reçu plus de manuscrits (bond de +40%), sachant que ces mêmes éditeurs affirmaient déjà les années précédentes (2018) battre leurs records de manuscrits reçus (déjà en 2019 paraissaient des articles sur les auteurices trop nombreux.ses). L’immobilisation du Covid a amené certaines personnes à sortir leurs histoires des tiroirs, leur a permis de trouver enfin le temps d’écrire (le temps si précieux dont on parlait dans la précédente lettre). L’écriture étant désormais à la portée de tous, puisqu’il suffit d’avoir un ordinateur (et internet pour les recherches ! On ne répétera jamais assez que les recherches sont essentielles !), c’est une réalité aussi incroyable qu’elle ne fait claquer des dents pour les frileux de la concurrence : tout le monde peut écrire un livre ! (mais tout le monde peut-il écrire un livre publiable ? Autre débat… on y reviendra)
Le marché du livre traditionnel est stable, dans son ensemble. Les structures éditoriales font un meilleur chiffre d’affaires, et cela s’explique notamment, d’après les analyses, à la hausse du prix du livre, elle-même indexée sur la hausse du prix du papier entre 2020 et 2022.
MAIS intéressons-nous à l’imaginaire, car LA, il y a du changement.
L’Observatoire de l’Imaginaire explique que “entre 2018 et 2022, l'imaginaire est passé d'un CA de 48 millions d'euros à 60 millions d'euros. […] En terme de production, on est passé de 800-900 nouveautés en 2000 à quasiment 1400 en 2022.” Là-dessus, il faut compter 50% de traductions (eh oui… c’est du moit-moit entre traductions et littérature francophone dans l’imaginaire). Donc arrondissons à 700 parutions éditoriales traditionnelles dans l’imaginaire francophone en 2023. JE PENSE, mais je m’avance peut-être en estimant… qu'il y a eu plus de 700 livres auto-édités en SFFF en 2023. Je me trompe possiblement, mais ce qui est certain, c’est que la part n’est pas négligeable (vu le nombre d’auteurices AE ou hybrides que je fréquente et suivant leurs parutions, je me vois mal affirmer qu’il y a eu seulement 100 sorties… ce qui représenterait en soi 12.5% déjà… !) ! Malheureusement, aucun chiffre clair n’est trouvable pour appuyer mon propos. Les plateformes d’autoédition sont de plus en plus nombreuses et il est impossible de répertorier tous les auto-édités, selon leur mode de distribution.
Donc oui, c’est vrai. Dans les faits, il y a de plus en plus de livres de l’imaginaire et de romance qui paraissent chaque année. Oui, nous sommes de plus en plus nombreux sur le marché du livre, notamment grâce à l’expansion, à la professionnalisation et la rédemption réputationnelle de l’auto-édition.
On pourrait même pousser l’analyse plus loin, en étudiant l’évolution des tirages traditionnels (de plus en plus bas), avec le croisement des rééditions de titres plus ou moins anciens qui créent un fond de commerce ou un nouveau souffle pour des auteurices non contemporain.e.s, mais ça serait un travail à part entière ! On publie plus de livres, à plus petits tirages, pour se raccorder aux anciens chiffres. D’où le côté catalogue, “rentabilité” à tout prix, dont on parlait dans la lettre précédente, et dont nous allons reparler aujourd’hui.
Et au milieu de tout ça, les auteurices sont de plus en plus précaires. Je vais nuancer. Les auteurices FRANCOPHONES sont de plus en plus précaires. Contrairement à leurs homologues anglosaxons, qui décrochent parfois des contrats à 5 ou 6 chiffres. Oui oui. (après je me doute que c’est loin d’être une moyenne)
Faudrait-il donc se tirer les uns sur les autres pour éliminer la concurrence ? Et là, je vous parle seulement des auteurices édité.e.s. On n’imagine pas la piscine des auteurices en herbe qui aspirent à tenir un jour leur livre dans leurs mimines.
✨ La visibilité, c’est le nerf de la guerre !
Comment se démarquer au milieu de tout ça ? Car le seul livre ne fait pas le taf. Tout est histoire de paraître, de marketing, de personal branding… BREF. On voudrait tou.te.s que les projecteurs soient braqués sur nous.
Considérer la littérature fournie par nos collègues les plus proches comme des cibles à abattre serait une erreur très grossière. Ca serait nous entretuer sans régler le “problème”.
Et là, je vais ouvrir des guillemets, mettre mes gants, ma combinaison ignifuge, ce que vous voulez, on va parler un peu des traductions. Et rappel utile avant que vous ne sortiez contre moi lance-flammes et autres sulfateuses : les traductions ont du bon ; je lis des traductions ; certaines traductions sont mes livres préférés.
MAIS nous ne sommes clairement pas au même pied d’égalité. Je vous avais dit déjà un peu plus tôt qu’un livre paru sur deux dans l’imaginaire est une traduction (peu importe la langue d’origine). Maintenant, nous allons faire une expérience ; allez en librairie, et regardez les livres mis en avant sur les tables imaginaire / young adult, mis en tête de gondole. Et comptez le nombre de traductions VS le nombre de livres francophones. Je suis persuadée que dans tous les cas, vous aurez PLUS d’un livre sur deux traduits. On en est même au point où certain.e.s auteurices francophones se cherchent des pseudonymes qui sonnent anglo-saxons pour que, sur un malentendu, des lecteurices, qui ne les connaissent pas, pensent que leur oeuvre est une traduction. Parce qu’un pseudonyme anglosaxon, ça fait vendre. Plus que “Jacqueline Martin” (désolée pour toutes les Jacqueline Martin qui passeront par-là).
Il n’y a pas photo : les traductions bénéficient d’une bien meilleure mise en avant quantitative que les parutions francophones (je nuancerai plus tard). Pourquoi ? Parce que les traductions ont déjà eu leur public, leur sélection en amont. Seuls des titres qui fonctionnent sur le marché ont été traduits. Les lecteurices les attendent parfois de pied ferme après l’avoir lu en VO, peuvent en faire la pub, ainsi que les libraires. Et comme c’est ce qui rapporte des sous, les libraires continuent de les mettre en avant, ce qui est normal, mais à la fois un cercle vicieux.
Là où les livres francophones ont tout à prouver. Personne ne les attend spécialement, sauf les fans, le noyau dur de la communauté de l’auteurice en question, pour peu qu’iel se soit fait connaître par d’autres projets par le passé. Ces livres doivent convaincre. Quand les gens les cherchent sur Booknode, ils ont 3 pauvres notes qui se battent en duel, et préfèrent passer à autre chose, car les client.e.s ont besoin d’être conforté.e.s ; iels ne veulent pas acheter une déception 20€ (gratuitement, pour ça, on a les hommes. Oups, balle perdue).
Pourquoi s’embêter à faire une campagne de communication cheros sur un livre qui se vendra moins bien qu’une énième traduction qui bénéficie d’ores et déjà d’une belle visibilité grâce aux réseaux sociaux ? Les maisons d’édition ne sont pas vertueuses. Elles restent des entreprises qui cherchent à faire du profit. Mais dans ces cercles, à la fois vertueux et néfastes, entre producteurices et consommateurices (à comprendre éditeurices et lecteurices), les oeuvres francophones peinent à trouver leur place. Un succès tient parfois du miracle, de pas grand-chose, où d’un gros coup de pouce d’une ME pour la mise en avant. Mon amie et collègue Nell Pfeiffer (l’Engrange-Temps chez Hachette Romans) m’a raconté que pour le lancement de son livre, le libraire qui l’interviewait lui a demandé “et pourquoi ce magnifique relié alors que vous êtes primautrice et qu’il s’agit de votre premier roman ?”. Comme si, en francophonie, nous devions d’abord faire nos preuves à la dure, avec des brochés quelconques, une com’ basique, les auteurices en mode begging (please, lisez mon livre, pleaaaase) et qu’à partir du moment où ces livres là avaient du succès, oui, les suivants bénéficieraient d’une reconnaissance ?

Et que dire des réseaux sociaux ? Depuis que je fréquente Booktok, il n’y a pas un jour où je ne suis pas déçue. Combien de vidéos d’influenceuses défilent chaque jour, alors qu’elles proposent leurs coups de coeur, leur liste “si tu veux commencer la fantasy”, les sorties du mois. Et qu’au mieux, parmi les 10, il y a un livre francophone esseulé (et souvent toujours le même selon la période). Je dis bien au mieux. Généralement, les livres francophones passent à la trappe. Dans ces moments-là, il me vient l’envie de commenter “et les livre Fr ?”, mais je passerai (encore et toujours) pour l’autrice aigrie et jalouse. Mais j’aimerais bien que les consommateurices de contenu y soient sensibilisé.e.s et demandent, elleux, une évolution des consciences.
Ce qui me rend la plus folle ? Les vidéos “Ce livre sous-côté de Booktok / dont on ne parle pas assez”. J’ai toujours l’espoir de voir apparaître un livre Fr. Je me heurte TOUJOURS à l’énorme déception de voir apparaître une énième traduction, déjà croisée des dizaines et des dizaines de fois sur les réseaux (point bonus à celle qui avait mis Le Prince Cruel dans cette catégorie).
Les influenceuses se plaignent que lorsqu’elles partagent des livres Fr ou des livres AE, elles ont moins de visibilité, donc elle cesse de produire ce genre de contenu. Sommes-nous dans ce cas condamnés à l’oubli ? Heureusement non. Certaines influenceuses gardent encore des valeurs de partage, d’honnêteté, partagent autant traductions que livres Fr, sans distinction, se fiant davantage à leurs expériences de lecture, qu’elles soient bonnes ou mauvaises d’ailleurs. Et ce sont ces influenceuses que je suis avec ferveur. Je les remercie d’ailleurs pour tout leur travail. Mais non ; celles (et ceux, je me rends compte que je suis très binaire sur ce coup, mais la majorité étant féminine, je me suis permis ce raccourci jusqu’à présent !) qui ne partagent que les gros succès traduits surfant sur la hype ne m’apportent rien. A part de l’hypertension. Je crains même que cela ne provoque, à terme, un essoufflement du genre. Toujours plus de traductions approximatives, de livres toujours plus jaspés, toujours plus dorés, toujours plus illustrés, pour un contenu sculpté sur des tropes répétées, des narrations sans surprise, sans prise de risque, sans saveur, et des personnages décalqués d’une œuvre à l’autre (le retour de la Ielenna cynique, on adore !).
Si vous voulez en savoir plus sur mon positionnement, j’avais posté un thread en stories sur mon instagram en septembre dernier ; vous pouvez le retrouver dans mes stories à la une sur mon profil. Le thread en question avait buzzé, et je suis heureuse d’avoir sensibilisé certaines personnes à cette réalité. Des lecteurices qui aujourd’hui adoptent une consommation plus “responsable”, en essayant de mixer traductions et oeuvres francophones, tout en mettant l’accent sur ces dernières, car conscient.e.s qu’elles galèrent davantage sur le marché.
✨ Une qualité francophone ?
Même en tant que fervente défenseuse de la littérature francophone, je sais que je ne trouverai pas les mêmes choses entre une oeuvre traduite et une autre provenant d’un.e collègue. Je sais que dans certains livres francophones, je savourerai une plume que je ne trouverai jamais dans une traduction, car le style francophone offre une palette incroyable, tant au niveau des syntaxes que du vocabulaire employé. Là où je trouve les traductions (surtout anglosaxonnes) plus directes, plus incisives (je ne veux pas dire “plus pauvre”, ça serait péjoratif et classiste). On va plus vite au but, à l’intrigue. Mais ce n’est pas toujours ce que je désire. Un jour, je veux voguer sur la beauté du phrasé, d’autres je veux vivre des aventures effrénées. Peut-être moins prises de tête, aussi.
De là à dire que toutes les œuvres francophones sont incroyablement travaillées : non. L’autoédition s’est professionnalisée ; les jeunes auteurices se forment de plus en plus grâce au contenu en ligne ; cela ne change rien au fait que nous sommes confrontés à une large hétérogénéité dans le corpus produit par la francophonie. Du très bon comme… du très pas bon (navrée). Le système de traduction permet un écumage de cette qualité. Les œuvres qui ne marchent pas dans leurs pays d’origine, qu’elles que soient les raisons, ne bénéficieront pas de cette visibilité à l’étranger. Au final, l’arrivage est composé de livres du moins vendables et marketable (MAR-KÉ-TEU-BEUL), même si certains sont de qualité “meh”. Ils ont en tout cas du potentiel et on sait d’avance qu’ils bénéficient d’une visibilité plus importantes que la plupart des œuvres francophones.
Et donc, si on prend les œuvres Fr, malgré le premier écrémage créé généralement par les décisions éditoriales, on retrouve de tout. Un ensemble d’œuvres, vierge de toute notation, de toute opinion. Et pour peu qu’on tombe sur quelques romans qui ne nous transcenderaient pas, malgré la chance qu’on leur a laissé, on serait tenté de généraliser “les livres Fr sont meh”. Peut-être. Sûrement. Une majorité d’entre eux ? On ne peut pas juger, il n’existe pas de critère objectif. Surtout quand les goûts se construisent à partir d’habitudes de lectures et d’attentes basées sur les expériences vécues sur des œuvres traduites. Quand je vois des commentaires “le style est trop complexe” sur certaines oeuvres Fr à la prose soignée et léchée (les livres de madame Dabos en tête), de la part de personnes qui ont mis 5 étoiles/diamant/trophée sur un livre traduit hype que j’estime basique dans sa narration, très meh (oui, ici on fait les vaches, y a beaucoup de “meh”) sur son style, cela me fait un peu hausser des épaules. Tant pis.
D’ailleurs, je vous invite fortement à visionner le film “Fiction à l’américaine”. Le film aborde très justement le sujet de l’écriture et de la publication par des personnes racisées, du contenu “vendable” de leurs œuvres, basées sur le trauma des communautés (ce qui peut devenir le sujet à lui seul d’une newsletter, mais je ne suis pas assez équipée pour me lancer dans une entreprise aussi ambitieuse ; je préfère partager des articles et des lettres rédigées par des personnes concernées qui engloberont bien mieux la thématique) ; mais il présente une scène intéressante, comparant la qualité d’un livre à celle d’un whisky.
Arthur: Check this out.
[picks up 3 bottles of whiskey]
Thelonious 'Monk' Ellison: I don't care how drunk we get. I'm not selling it.
Arthur: That's not what I'm doing. Johnnie Walker Red. 24 bucks. johnnie Walker Black. 50 bucks. Johnnie Walker Blue. One hundred and sixty dollars. See the metaphor?
Arthur: These are all made by the same company. The red is shit. The black is less shit. The blue is good. But fewer people buy the blue because it's expensive. And at the end of the day, most people just want to get drunk. For most of your career, your books have been blue. They're good, complex. But they're not popular because most people wnat something easy. Now, for the first time, ever, you've written a red book. It's simple, prurient... it's not great literature, but it satisfies an urge. And that's valuable. What I'm trying to illustrate is that... just because you do red, doesn't mean you can't also do blue. You can do it all. Like Johnnie Walker. In fact, you got Johnnie Walker beat because, you don't even have to put your real name on it.
Thelonious 'Monk' Ellison: [takes off glasses, head in his hands] Shesus. Do we drink now?
Oui, je sais. Tout ce que je vous raconte est paradoxal. Il faudrait vendre des livres bons… mais pas trop bons… Sur quel pied danser, en francophonie, à partir de ce statement ? Le débat reste ouvert…
Maintenant, je vais briser un rêve avec une affirmation : “tou.te.s les auteurices méritent d’être édité.e.s ; tous les livres ne sont pas publiables”. Tous les livres sont utiles dans le parcours d’un.e auteurice ; mais tous les livres ne devraient pas se retrouver sur les étals d’une librairie. Dur à entendre, je sais. Pourtant, c’est une vérité, que je découvre avec le recul et l’expérience.
✨ Éditer à tout prix
Quand j’ai commencé à fréquenter les communautés d’auteurices sur le net, dans la deuxième moitié des années 2000, l’édition était un doux rêve. Quelque chose d’inatteignable. On voyait les plus petites maisons d’édition comme le St Graal, on tremblait des genoux à l’idée de discuter avec un.e éditeurice. Envoyer nos manuscrits à Hachette, à Gallimard ? C’était impensable, voyons ! Nous n’étions que des jeunes auteurices, nous devions d’abord faire nos armes, faire nos preuves. Ecrire trois romans partagés sur les forums, décortiqués par nos frères et soeurs de plume, reprendre sans relâche, demander conseils (car les ressources manquaient terriblement), les compiler pour s’entraider. Mais l’édition… C’était vraiment un fantasme inespéré ; et chaque fois que l’un d’entre nous réussissait à obtenir un contrat, c’était le succès, la folie. Une joie que l’on partageait tou.te.s, ensemble.
Aujourd’hui, j’ai l’impression que le paradigme a changé. Les jeunes auteurices envoient leurs premiers romans sitôt finis à Bragelonne, à Nathan, à Hachette. Il n’y a pas un jour où mon Instagram ou mon fil Thread, Tiktok, ne m’annonce pas qu’un.e auteurice a reçu un contrat (cela est sûrement influencé par le fait que mon cercle d’auteurices est composé aujourd’hui majoritairement d’auteurices confirmé.e.s, parfois même professionnel.le.s). Tout se passe à une vitesse vertigineuse, une course au contrat, à celui qui l’obtiendra le plus vite. Et à chaque annonce, même si les gens s’encouragent, se félicitent, on voit fleurir souvent derrière des posts en mode “je culpabilise, j’ai la pression, pourquoi moi, je n’ai que des refus ?”. Au final, nous sommes-nous imposés des comparaisons ?
Je sais que nous avons tou.te.s envie de donner une belle vie à nos premiers bébés. J’ai souhaité le meilleur aussi pour mes Fleurs d’Opale. Mais aujourd’hui, 7 ans après leur parution, que je suis heureuse de l’avoir sorti en auto-édition ! Déjà, car j’en ai gardé le contrôle, et parce que jamais ce livre n’aurait eu une durée de vie aussi longue en parcours classique (nous y reviendrons), mais parce que… sans me faire honte non plus, je n’assume peut-être plus autant ce livre que par le passé. C’était une brique nécessaire à la fondation de ma carrière d’autrice, mais peut-être pas non plus celle dont je suis la plus fière, en termes de messages passés, de morales, de style, ou même de clichés véhiculés. Car c’était mon premier vrai roman. Même si le livre a bénéficié d’un réel succès, je suis heureuse également qu’il soit resté “intime”, sous mon regard, là où les livres envoyés en librairie nous échappent, passent parfois dans des mains peu appropriées. Je suis soulagée d’avoir pu être présente, derrière mes stands, pour dire aux jeunes filles de 14 ans “ce livre n’est pas pour toi, peut-être dans 3-4 ans”.
Tout ça pour dire ; je vous assure que vous ne voulez pas d’un roman que vous regretterez comme vos premières preuves d’auteurice public.que ! Parfois, il est bon de laisser mûrir les choses. De partager ses textes sur internet et de les y laisser. Ou juste de les garder pour soi. Ce n’est pas une faiblesse de ne pas faire éditer un roman.
Et vous savez quoi ? Parfois, je regrette de ne plus publier sur internet. Même si je suis très heureuse de voir Persona apparaître dans les rayonnages de librairies, de le dédicacer dans des salons où je suis invitée, je n’ai pas cette même adrénaline que les soirs où je publiais un nouveau chapitre de LMA (Ludo Mentis Aciem, ma fanfiction Harry Potter, publiée sur de multiples plateformes, entre 2012 et 2020). La joie de voir les gens au rendez-vous, au taquet, qui commentaient tous les paragraphes, qui réagissaient spontanément, entendre mon téléphone sonner toute la soirée pour chaque notification reçue, répondre et échanger. Il me manque ce lien… Certes, je reçois des chroniques sur Persona, beaucoup, et des positives en prime, donc je m’estime très chanceuse. Mais gosh… que j’adorais voir les lecteurices s’exciter, réagir à chaque plotwist, chaque retournement de situation. Insulter des personnages, interpréter les actions d’autres, construire leurs hypothèses. Comme si j’étais à leurs côtés pendant leur lecture. J’ai composé mon histoire avec mes lecteurices, car en connaissant leurs attentes précises, je me suis adaptée. Et LMA restera toujours l’histoire la mieux construite que j’ai créée, les intrigues imbriquées d’une manière que je ne pourrai jamais reproduire. C’est un monument ; 8 tomes, 1.5 millions de mots, avec tellement de fusils de Tchekov qu’on se croirait dans un magasin d’armes.
Aussi, parfois, je ne comprends pas pourquoi cette course frénétique à l’édition. Enfin. Je la comprends et n’arrive pas toujours à saisir la raison de chaque auteurice. Ce que l’édition m’a apporté, c’est une légitimité, une reconnaissance dans le milieu (ce n’était pas en publiant ma fanfiction que j’allais être invitée en événements) comme dans un cercle plus personnel (je vous avais déjà raconté ma grand-mère ? Quand j’étais jeune et que je passais mes étés à écrire chez elle, elle se plaignait du fait que je passais trop de temps dans ma chambre sur mon ordinateur. Aujourd’hui, elle n’a plus du tout le même discours ! Elle dira à qui voudra l’entendre que “déjà toute jeune, sa petite-fille, autrice dont les livres sont en tête de gondole en librairie [ça a vraiment été sa grande fierté], était déjà si studieuse et appliquée à l’écriture, et qu’elle passait toutes ses journées à écrire sur son ordinateur”). L’accomplissement de quinze ans d’écriture, une sorte de consécration après tout ce travail, après tous ces romans écrits. Et du flouz, accessoirement. Mais en termes de progression dans l’écriture, de confiance en moi et en mon écriture, de lien profond avec la communauté, d’expérimentations, j’ai BEAUCOUP plus appris en publiant sur le net. Les deux expériences sont très différentes. Et tout dépend de ce qu’on attend.
Mais à mon sens, ce que l’on recherche dans l’écriture, à part ce qu’elle nous procure en termes d’exorcisation, c’est le partage, le fait d’être lu.e. Et parfois, on oublie qu’internet nous offre cette possibilité. Alors, certes, Wattpad est moribond. Certes, ce sont des habitudes générationnelles, et ce seront généralement les jeunes, qui n’ont pas toujours les moyens de s’acheter plein de livres, qui se dirigeront vers les lectures gratuites sur les plateformes. Et encore, j’ai vraiment eu de tous âges sur LMA, comme quoi. Mais ne dévalorisons pas l’écriture sur internet ; elle est formatrice, elle est porteuse, et elle nous accompagne tout au long du processus de création, du premier chapitre jusqu’à la fin.

J’en avais déjà parlé dans une lettre précédente, mais la durée de vie d’un livre édité est extrêmement courte. Entre 2 et 6 mois (dans le meilleur des cas), sur les tables de librairie (sauf si le libraire vous aime beaucoup et vous défendra à la vie à la mort, big up sur vous), car il faut faire un roulement, laisser de la place aux nouvelles parutions en retirant les livres qui se vendent moins bien (et à votre avis, qu’est-ce qui se vend moins bien ? Les traductions ou les livres Fr ?). Tout se passe à un rythme effréné ; les gens n’ont plus le temps d’attendre. On voit des sagas entières être publiées en moins d’un ou deux ans, là où avant, on attendait sans souci 2 ou 3 ans entre chaque tome. Désormais, plus le temps de niaiser ! Le temps, c’est de l’argent ! Et on cherche la PRODUCTIVITE. De la rentabilité ! Vendre plus dans un temps de plus en plus limité. Le temps est essoré, contraint à des mesures insensées ; la moindre goutte compte, chaque jour est millimétré.
J’en parlais déjà dans ma précédente lettre, mais on demande aujourd’hui aux auteurices professionnels d’être productif.ves. Un.e auteurice qui écrit un roman tous les cinq ans n’est pas un.e auteurice rentable, à quelques exceptions, parce qu’on sait que le temps sera rentabilisé avec des ventes à la hauteur de l’attente.
Donc je vous pose la question : est-ce que ça vaut le coup de vous battre à tout prix pour que le roman que vous avez mis 10 ans à écrire soit publié et disparaisse avant un an d’existence de vie ? Je ne dis pas qu’il faille renoncer, ABSOLUMENT PAS, mais qu’il est nécessaire d’en être conscient.e des réalités. Que vous aurez les épaules pour porter le poids des possibles désillusions, mais continuer d’écrire malgré tout, de continuer à rêver, à vous inspirer. De recommencer, encore et encore, de plus en plus vite, petits Davids contre les Goliaths d’une industrie qui nous matraque et nous presse pour toujours plus de petits cailloux qui, on l’espère, dissimule en réalité une pépite d’or aux yeux de la ME, alors que, paradoxalement, certaines ne sont pas prêtes à investir sur nous, parce que nous ne vaudrions pas le coup.
Un livre ne s’arrête pas à son existence papier. Ce n’est pas l’accomplissement de toute chose. Ce n’est qu’un “sommet”, duquel on redescend. Je ne sais plus quel champion olympique de canoë kayak expliquait dans une interview qu’il s’était entraîné toute sa vie, qu’il avait réussi à décrocher la médaille… et après quoi ? Le succès était tellement éphémère, il était tellement obsédé par cette réussite qu’il n’a pas profité du moment. Il avait fait le plus grand, il avait accompli le meilleur. Il n’avait aucun autre objectif au-delà. C’était fini. Il a fait une dépression ensuite.
Ce n’est pas ce que je vous souhaite. J’apparais comme une autrice très pessimiste dans cette lettre, mais je ne vous souhaite qu’une chose : votre épanouissement dans l’écriture. Votre bonheur. Oui, ça fait discours de Portia Featherigton dans la saison 3 des Bridgerton : “la sécurité avant l’amour dans un mariage”. Evidemment que je vous souhaite la passion, le succès, quelque chose de fou, d’incroyable. Mais on ne parle jamais de l’après, dans les histoires de princesses qui épousent leur bien-aimé dans les trois jours de leur rencontre. Et grandir, vieillir, c’est comprendre les deux portants de ces discours. C’est prendre conscience des réalités sans être aveuglé.e.s par le rêve, par toutes ces success stories (obtenues souvent à la sueur du front, ne l’oublions pas) qui ne sont en réalité que des paillettes d’anecdotes miraculeuses au milieu d’un océan de désillusions.
✨ Entraide et concurrence
Dans cette course à l’édition, de auteurices dénoncent le comportement des un.e.s et des autres. Du recel d’informations, garder pour soi ses ressources, ses astuces, ses contacts, car on les considérerait comme des atouts précieux, cartes en main jamais révélées. Justement pour se donner un avantage par rapport aux collègues.
Oui, ces comportements existent. Est-ce que c’est une stratégie qui fonctionne vraiment ? A court terme, pour obtenir le St Graal de la publication, peut-être. Au long terme, c’est un suicide réputationnel. Dans le milieu de l’écriture professionnelle, tout se sait… même si vous ne le voudriez pas ! Et un.e auteurice qui reste dans son coin, pas par personnalité ou timidité, mais par volonté de surpasser les autres, car dans la concurrence… eh bien, à l’inverse, on n’aura pas envie de l’aider.
Beaucoup d’accès se font par réseau dans le milieu du livre. On va recommander un.e auteurice à un.e amie organisateurice de salon, on va présenter les collègues à nos éditeurices, on s’envoie les derniers avis rendus sur les bourses CNL pour comprendre les critères d’éligibilité.
De mon côté, ça ne me serait jamais venu à l’esprit de faire du recel ! Bien au contraire, je raffole du partage d’informations ! J’adore compiler mon savoir, dans des fiches et des masterclass pour ce qui est du savoir purement lié à la compétence d’écriture, dans des interviews et dans ces newsletters pour ce qui est de ma petite expérience à mon humble échelle. J’ai déjà accompagné des jeunes auteurices ou ami.e.s correcteurices pour les introduire auprès de mes éditrices sur des salons. Je reçois les appels téléphoniques de collègues auteurices, pour qu’on entre-coache sur la manière de négocier les contrats (y en a une qui se reconnaîtra ici, héhé. D’ailleurs, donne-moi des nouvelles de ta négociation par MP !) Je donne le nom des gens avec lesquels j’ai travaillés, pour leur permettre d’avoir plus de client.e.s, et parce que je m’engage quant à la qualité des prestations qu’iels fournissent, que ce soit en termes d’illustrations, de corrections, de bêta, de maquettage… Je n’hésite pas à communiquer mes chiffres et les clauses de contrat que j’ai négociées auprès des auteurices qui sont en recherche de comparatifs par rapport à leurs propres contrats, pour pouvoir réclamer leur dû (on en parlait dans une précédente lettre, mais garder nos chiffres tabou est une connerie. C’est se tirer une balle dans le pied entre auteurices. Sans en faire l’étalage publiquement [et encore certain.e.s le font et c’est très bien !], il n’y a pas de mal à les communiquer entre nous pour se donner une chance de demander un meilleur traitement de la part des structures éditoriales).
Oui, ça peut faire peur à nos éditeurices. J’ai déjà entendu “vous vous dites tout entre vous ! Donc on n’a plus le choix que de faire preuve de transparence”. Encore heureux.ses ! Même s’il y a encore beaucoup de chemin pour que la vitre qui sépare auteurices et éditeurices ne soit plus aussi opaque… Mais tant mieux que ça fasse “peur”. On veut travailler en équipe, en partenariat, en confiance, et cela demande de la communication, de l’honnêteté, l’envie de travailler ensemble pour fournir le plus beau livre, le meilleur travail marketing. Avec de l’accord, de l’harmonie, un respect des engagements, de ses paroles, d’un côté comme de l’autre. Mais, encore, et j’insiste, de la confiance. Comme un couple sain ! Je rêve d’une horizontalité des rapports entre éditeurices et auteurices, d’une amitié professionnelle dans l’intérêt de la production. Certaines ME le mettent en place, et tant mieux. Dans un monde hyper-connecté, où tout se partage, où tout se sait, je ne suis pas certaine de l’intérêt de conserver le schéma d’une relation verticale, où les éditeurices garderaient le monopole et l’autorité de la situation, où les auteurices devraient se plier à toutes les exigences et deadlines, se contenter de silences, de magouilles dissimulées et de non-dits (j’ai assisté à de ces histoires scandaleuses et particulièrement abusives dernièrement [et ça ne concerne absolument pas ma ME, hein, qu’on soit clairs !]… vous n’imaginez pas !). En tout cas, je n’en verrai pas le bénéfice sur le long-terme et sur la réputation de la structure. Certaines d’ailleurs sont en train de couler à cause de ça. Et c’est dommage pour tout le monde. Chacun son expertise, partageons nos savoirs faires, nos compétences, nos doutes. Bref, je digresse (et comme d’hab, big up aux éditeurices qui fonctionnent main dans la main avec les auteurices, on vous kiffe, vous n’imaginez pas à quel point !)
Mon prochain roman, j’en ai obtenu le contrat car une amie auteurice m’a donné le contact de son éditrice, intéressée par mes futurs romans, et je me suis directement entretenue avec elle pour construire ensemble le projet qui lui plaisait le plus à partir du book de synopsis que je lui avais envoyée. Alors oui, publier sur synopsis, dans des arrangements en intra, c’est beaucoup plus facile quand on est déjà édité.e.s. Et on ne manquera pas de nous faire remarquer que ça alimente le côté “inaccessible” de l’édition, puisqu’on “reste entre nous”. C’est comme proposer un job seulement avec de l’expérience… mais comment obtenir l’expérience si le job nous est interdit d’accès par nature ? La porte de l’édition est très petite. C’est une brèche. Qui ne s’ouvre que les nuits de pleine lune les années bisextiles. Mais une fois le pied dedans, tout devient plus simple, car la première publication devient gage de sûreté, d’expérience, preuve de notre professionnalisme, et de l’envie de poursuivre en tant que “travail”.
Je tendrai toujours la main aux auteurices qui me le demandent. Si je peux donner un coup de pouce, je le ferai avec plaisir, sans atténuer la réalité non plus. Je veux vous indiquer la brèche, vous donner toutes les chances de l’atteindre, de rentrer dedans (titre), mais c’est également de mon devoir de lister les dangers que cela présente (un peu comme les moniteurs de canyoning. Je suis la relou qui rappelle les consignes de sécurité avant le grand saut). Et moi-même je continue à apprendre sur le milieu. Tous les jours. Et tant mieux.
✨ Entraide invisible et visible
Tout ce dont je vous ai parlé, c’est de l’entraide “invisible”. Des MP, des mails, des appels téléphoniques, des Discord. J’achète les livres des copaines pour soutenir les ventes. Mais ça ne se voit pas. Personnellement, c’est ce qui me “convient”.
Parfois, ce qui marche, c’est de s’aider, de manière visible. Partager le cover reveal d’une collègue, montrer son dernier bookhaul, faire un selfie avec un.e voisin.e auteurice en salon. Je l’ai fait, beaucoup, par le passé. Beaucoup moins aujourd’hui. Pour plusieurs raisons.
La première, c’est que mes stories Instagram ressembleraient vite à un mur publicitaire. J’aimerais partager les cover reveal et les sorties de TOUT le monde (et ça fait beaucoup de monde !), de tou.te.s mes collègues que j’apprécie. Mais ça ferait TROP. Et surtout, je suis terrifiée à l’idée d’en manquer, de passer à côté. Qu’on m’accuse de faire du favoritisme. De préférer partager le contenu de tel.le auteurice plutôt qu’un.e autre. Ou à l’inverse, que je partage un post d’un.e auteurice, dont on me dira plus tard par MP “oui, mais ellui, iel est problématique pour tel.le ou tel.le raison ! Pourquoi tu lae soutiens ?”, et que ça crée un scandale alors que je voulais juste partager le contenu d’une pote à la base, loin d’autres considérations, desquelles je n’avais parfois pas conscience ou connaissance.
Alors je ne fais plus rien. Yes. Ca aide, hein ?
Ca m’arrive régulièrement de recevoir des MP de collègues auteurices “tu pourrais partager le lien de ma campagne Ulule ? / de mon cover reveal ?, tu as de la visibilité, ça m’aiderait !”. Parfois, avec la petite pointe de service rendu “j’avais partagé ta sortie !” (oui oui, ça m’est arrivé). Je veux bien. Mais pourquoi vous partagez, vous, et pas toutes les autres campagnes qui galèrent et qui méritent également de l’attention ? Ou même celles que je suis avec attention et qui cartonnent ? Je vis avec la science de l’équilibre ; c’est parfois cool, c’est souvent chiant. Ca me vient sûrement de mon éducation au sein d’une famille nombreuse, ou tout devait être partagé à part égale.
Pourtant, je n’étais pas destinée à ça, au départ. Ma mère ne cessera de me raconter le jour où je lui ai mordu la fesse jusqu’au sang, du haut de mes deux ans, car j’étais jalouse de l’attention dont bénéficiait mon petit frère, alors bébé. Plus tard, deux autres petites soeurs se sont ajoutées à la joyeuse bande. Pour nous apprendre le partage (surtout de la nourriture), mes parents procédaient de la manière suivante : l’un.e est chargé.e de la découpe, du service des assiettes, les autres choisissent en premier. Ce qui nous a appris à TOUJOURS être le plus équitable possible, à calculer au millimètre près pour avoir les parts les plus identiques possibles, à compter le nombre exact de morceaux de viandes dans l’assiette, de raisins, au risque de se retrouver avec la plus petite part après la razzia des autres sur les plus généreuses.
C’est un précepte qui guide toujours ma vie. J’aimerais partager le contenu de certain.e.s, mais il faudrait que je sois en capacité d’en faire de même avec tou.te.s mes collègues auteurices. Je ne peux plus aider tout le monde à égalité, ami.e.s auteurices comme débutant.e.s qu’on voudrait chouchouter et soutenir dans leurs balbutiements. Et oui, à ce stade, mon feed Instagram deviendrait une plateforme d’actualité littéraire, qu’il faudrait alimenter 7/7, et j’arriverais peut-être DE TEMPS EN TEMPS à rajouter une info concernant mes propres projets et avancées. Ca serait invivable… je me suis piégée seule et au final, je n’aide plus de manière visible comme j’ai pu le faire avant. Parce qu’en partageant des profils, des campagnes, j’en suis venue à culpabiliser, à m’en vouloir de ne pas le faire à pied d’égalité. Et ce n’est pas normal.
Donc oui, pardonnez-moi si je ne donne pas suite à vos demandes de partage. Ca m’est devenu impossible. Parfois, je le fais, avec des livres qui me font vraiment envie, à titre personnel, loin de toute considération amicale avec l’auteurice. Comme je l’aurais fait naturellement si je ne l’avais pas été moi-même. C’est un partage de contenu qui me paraît plus sincère. Ou parce que je suis très fière des succès accomplis par certain.e.s ami.e.s, que j’ai accompagné.e.s en privé. Je suis beaucoup plus encline à lâcher un like ou un commentaire pour soutenir !
Ou noter mes lectures, écrit.e.s par mes collègues et ami.e.s ? Alors, mauvaise pratiquante de la paroisse que je prêche tout le temps, je ne suis pas sur les plateformes de lecture (j’en suis même terrifiée, à l’idée de croiser les pages de mes romans. Je préfère rester ignorante de mes notes et commentaires). Mais surtout, j’ai conscience qu’une note qui n’est pas 5/5, ça peut influencer… pas en bien. C’est là tout le paradoxe encore. J’ai CONSCIENCE qu’on devrait mettre 5/5 si on est satisfait de notre lecture, même si ce n’est pas le livre parfait, parce qu’à ce stade, on noterait tous nos livres 4/5 et le 5/5 serait le fameux 20/20 en français qu’on nous aurait rabattu toutes notre vie, celui qui est impossible par nature à atteindre (mais je compte rédiger une lettre autour de la communication des livres sur les réseaux sociaux et sur les chroniques, alors je ne m’étendrai pas trop). Mais je n’y arrive pas encore. Peut-être un objectif pour cet été ? Me créer des comptes et mettre des 5/5 aux livres que j’ai appréciés. Peut-être que je manquerai d’honnêteté personnelle, basée sur mes seuls goûts, mais on doit s’entraider… A ce stade, il le faut.
Bref. Même moi, j’ai beaucoup de progrès à faire pour perfectionner l’aide que j’apporte.
✨ Se réjouir ou jalouser ? Telle est la question.
L’autrice Sacha Morage a posté un thread le mois dernier :
Quand un livre a du succès, les lecteurs, en général, vont vouloir lire quelque chose de similaire : ils ne s’arrêtent pas là ! Écrire une romance vampire à l’époque de Twilight, ça n’est pas être écrasé par la concurrence de Meyer, c’est profiter qu’elle ait rendu le genre si populaire que tout ce qui gravite autour se vend si bien. C’est pour ça aussi qu’il est contre-productif (à mon avis) de penser en terme de concurrence entre autrices : le succès de l’une rayonne sur les autres ☀️
Et je suis bien d’accord avec ses propos ! Éprouver de la jalousie ou de la frustration, face au succès d’un.e collègue, face à la différence de traitement éditorial.e, c’est normal, c’est humain. C’est une première réaction totalement logique. “Pourquoi ellui et pas moi ?”. Mais sur le long-terme, cette différence, ce succès, peut nous être bénéfique. Pour plusieurs raisons.
La première, c’est que, comme dit Sacha, il peut y avoir un système de vases communicants. Un livre qui fonctionne du feu de Dieu aidera à une meilleure visibilité de toute la collection. Un livre qui bénéficie de plein de traductions facilitera les contrats pour les suivants, ou pour d’autres de la ME. Un livre qui cartonne sur un thème aidera les lecteurices à en trouver d’autres du même style. Un auteurice invité.e pour la première fois à un gros salon, ça permettra au chargé com et relations d’avoir des contacts pour placer les autres auteurices sur la prochaine édition. C’est un cercle vertueux, dont on n’a pas toujours conscience au début, cantonné.e.s à nos oeillères de “gneu-gneu, pourquoi moi j’ai pas eu ça ?”.
La deuxième, c’est que cela devrait nous inspirer à fournir le meilleur de nous même pour “surpasser à la loyale”, faire toujours mieux, devenir, au final, notre propre rival. La compétitivité a parfois le pouvoir de nous challenger ; sinon, on ne ferait pas les NanoWrimo ! Personnellement, je sais que la compétition a toujours été un moteur pour moi. Descendre les autres en ascension, non merci. Je vais plutôt m’en inspirer pour fournir le meilleur de moi-même et dépoter ! Ca, c’est de la compétition saine, car elle est productive, elle nous force à avoir confiance en soi, à croire en nous. L’inspiration que peut nous insuffler le succès des autres.
Se réjouir du bonheur des autres n’est pas toujours simple. Je suis très bien placée pour le savoir. Il y a le facteur chance, injustice. Plein de choses qui ne sont pas de l’ordre du contrôle, et qu’on ne peut pas challenger dans ce cas. Mais le principal, c’est de faire de son mieux. Ca devrait être notre plus grande fierté, avant celle de tenir notre livre entre nos mains.
✨ Bon, Ienny, t’es gentille, t’as pas répondu à la question de base
Sommes-nous trop nombreux en tant qu’auteurices de l’imaginaire sur le net aujourd’hui ?
Je pense la question se rapproche de celle “Pourquoi y a-t-il tant de personnes sur le spectre autistique aujourd’hui ?”. Parce qu’on les diagnostique mieux. Parce que les critères ont un peu différé.
Eh bien c’est pareil.
Dans les années 2000, nous avons investi un internet encore vierge. Nous étions les pionniers de l’écriture, nous étions seul.e.s au monde. Du moins c’était notre impression (biaisée). Dans les années 2010, nous avons été à l’origine de l’émergence des réseaux sociaux, des pages auteurices, sur Facebook, puis sur Instagram, Twitter, Tiktok… Alors évidemment, ces espaces ont été investis depuis. Notre petit nombre est devenu milliers. Parce que nos générations, et celles d’avant, n’avaient pas les mêmes accès. Ne se réunissaient pas. En 2024, jamais les auteurices n’ont été aussi uni.e.s, quel que soit le niveau, débutant.e.s, confirmé.e.s, comme professionnel.le.s. Nous partageons les mêmes salons, les mêmes réseaux sociaux.
Il serait illusoire de penser qu’il y a significativement plus d’auteurices aujourd’hui ; nous sommes plus visibles, plus assumés dans nos passions, de plus en plus professionnels et notre voix a plus de portée, alors qu’avant, nous la gardions discrète voire muette, cachée, honteuse. Petit.e.s auteurices craintif.ves du monde de l’édition si intimidant, sommes devenus des militant.e.s chevronnés, se refilant entre elleux des munitions dans les tranchées, dans l’espoir que cette “drôle de gue-guerre” s’apaise et qu’autorat et éditorat entretiennent des liens sains, respectueux, basés sur l’échange et la confiance.
Et plutôt que de nous tirer dans les pattes, entre auteurices, pour espérer choper le meilleur bout de gras, nous devrions nous entraider, nous porter vers le haut, nous dire aussi honnêtement quand on merde (oui oui, ça aussi c’est très utile !). Il y a tellement de talent, au sein de l’autorat francophone. Je suis émue d’accueillir chaque année de nouvelles générations. Des auteurices qui apprennaient à lire quand moi je publiais mon premier roman, et pourtant déjà si doué.e.s. Cela me donne beaucoup d’espoir pour l’avenir de la littérature francophone, tant que nous accordons nos violons, et que nous arrivons à créer un lien fort et solidaire, à la fois avec nos éditeurices et avec nos lecteurices, avec les influenceureuses du milieu qui, parfois, tiennent le destin de nos livres entre leurs mains.
Plutôt que de faire nos vieux.illes grincheux.ses conservateurices “moi, à mon époque, on n’avait pas de formation en ligne ! On apprenait à la dure !”, nous devrions nous réjouir de constater que tout est plus simple, que le rêve de l’édition est plus accessible que fut un temps. Parce que ce monde de l’écriture, c’est nous qui l’avons construit ainsi pour qu’il soit agréable et enchanteur pour les suivants. Parce que nous avons donné à l’autoédition sa légitimité, ses lettres de noblesse. Et que ceux qui nous suivent veulent en faire de même pour celleux qui nous succèderont. Oui, ça nous demande sans cesse de nous adapter aux nouveautés, d’évoluer avec notre temps, ses technologies, ses codes, d’apprendre à maîtriser notre personal branding là où on aurait préféré perfectionner nos textes tout en restant authentiques, parce que les exigences changent et varient.
Nous ne serons jamais assez nombreux.ses. Comme dit l’expression, “plus on est de fous, plus on rit”. Et on pourrait la décliner “plus on est d’auteurices, plus on écrit”.
✨ Avancées personnelles
Rien de neuf sous le soleil : je poursuis l’écriture effrénée de Rosaces & Dragons, dans le cadre du CampNano. C’est très déséquilibré. Parfois, j’écris pas pendant 3 jours (trop de vie sociale !), d’autres jours, c’est un bond de 3000 mots en un soir. L’écriture de cette cosy fantasy est très dépaysante. Et comme mon éditrice m’a demandé d’ajouter une romance, je l’ai fait… eh bien, meilleure décision ever. L’alchimie est incroyable entre les personnages. Je suis et resterai ma première fan (voir première lettre de la newsletter sur la fausse modestie qui nous bouffe).
✨ Côté lecture
On parlait des vases communicants, en fonction des envies, de ce qui nous avait plu. On est en plein dedans ! Après mon visionnage de la saison 3 des Bridgerton, j’avais envie d’un livre sur cette période, et j’ai plongé avec délice dans Sous les étoiles de Bloomstone Manor, de Mary Orchard. On y suit Agathe, passionnée d’astronomie et férue de recherches scientifiques de l’époque, contrairement à ce que voudrait l’étiquette des jeunes filles nubiles des bonnes familles. Elle va faire la connaissance de son intrigant voisin, Lord Nathanaël Stone, qui va la pousser à embrasser cette vocation, en lui proposant de concourir parmi les grands avec la rédaction d’un article scientifique, envers et contre toutes les attentes, à la fois familiales et sociétales…
C’est un roman intelligent, qui ne fait l’impasse sur aucun détail pour nous plonger avec doigté dans cette ambiance victorienne, à la fois décalée et dévorante, au milieu de toutes ces découvertes scientifiques fondamentales qui ont contribué à l’essor de cette période où tout s’accélère au point d’en donner le vertige, tout en les opposant à des concepts philosophiques et littéraires. L’héroïne nous paraît presque anachronique, pourtant si pertinente pour délivrer ses messages féministes, dans un roman qui interroge sur les normes sociales et la sincérité envers les autres… mais surtout envers soi-même, dans nos propres anticonformismes. Une ode à la différence comme je les aime !
Tellement riche ce post, c'état super intéressant, merci !
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