Bon. Ielenna. Vraiment. Tu nous fatigues. Tu nous avais promis une newsletter sur le boycott. Et, étrangement, le titre de cette newsletter ne commence pas par boy et ne finit pas par cott (cot). On peut savoir ce que tu nous fais ?
Je pense que l’une des choses que m’aura appris cette newsletter, c’est qu’il faut que je l’écrive selon mes envies, selon mes inspirations. Depuis quelques semaines, j’étais même un peu bloquée. J’aurai réellement dû rédiger celle sur le boycott début septembre, quand les doigts m’en démangeaient ! Pourtant, aujourd’hui, je ne me sens pas la force de reprendre la voie des recherches initiées. Parce que oui, certains de ces posts me demandent beaucoup de recherches. Big flemme. Je me laisse guider par ce qui me donne envie de raconter ma vision de l’écriture, du monde en général. Et cette semaine, j’avais envie de parler de neurodivergences. Comment on les écrit. Comment on écrit avec. Comment elles influencent notre manière de percevoir ce qui nous entoure et comment on les retranscrit.
Mais avant de débuter, quelques rappels sont toujours utiles ! Salutations, je suis Ielenna, autrice hybride de l’imaginaire et je déteste les gens autant que je les aime (c’est-à-dire beaucoup !). Toutes les deux semaines, je pollue les boîtes mails des 649 malheureux.ses qui ont décidé de subir mes étalages sans queue ni tête avec des GIFs douteux, mais je suis toujours aussi ravie de constater que cela vous plait autant ! Ici, on parle écriture, monde du livre, tout ce qui s’y rapporte.
Je n’ai pas le moindre bagage professionnel dans le monde du livre (enfin si, je commence doucement !), si ce n’est ma casquette d’ergothérapeute qui me servira beaucoup aujourd’hui, et chaque fois, dans ces lettres, je vous dévoile mes pensées, parfois soutenues par des sources. Mais il ne s’agit jamais de vérités absolues. Juste de mes réflexions sur le monde qui nous entoure en ce qui concerne l’écriture. J’aime bien, parfois, les personnes qui ne sont pas d’accord avec moi. On élargit nos visions, on s’enrichit mutuellement, et c’est le but de cette newsletter (pas de ne pas être d’accord, mais de discuter ensemble dans un espace fait pour ça).
Comme d’habitude, cette lettre est bien trop longue pour apparaître entière dans votre mail, de ce fait, n’hésitez pas à l’ouvrir directement dans votre application Substack !
N’oubliez pas de vous inscrire si jamais vous aussi vous aimeriez vous faire harceler toutes les deux semaines par une Ielenna sauvage !
Cela fait quelque temps que cette idée de newsletter a poppé dans mon esprit et qu’elle figure dans cette fameuse liste interminable de toutes les lettres que j’aimerais rédiger (vous en avez pour environ un an de newsletter, j’espère que vous êtes prêt.e.s !). Mais je crois que c’est en discutant avec un lecteur à propos du personnage d’Isidore dans mon roman Persona qui m’a injecté l’envie d’aborder le sujet aujourd’hui. Car notre conversation a relevé des points intéressants.
Mais avant d’en arriver là, un peu de définitions et de contexte, ça ne sera pas du luxe ! De ce fait, je vais prendre un peu de temps pour poser les bases. Pendant une bonne moitié de cette lettre, vous risquez de vous dire “c’est quoi le rapport avec l’écriture ?”, comptez cela comme un long préambule, un demi-tome introductif avec le bon worldbuilding nécessaire pour porter l’intrigue.
✨ La neurodiversité, quoi c’est ?
Le terme neurodiversité est un mot parapluie qui regroupe les fonctionnements neurologiques différents de la norme, c’est-à-dire les différentes formes de TSA (troubles du spectre autistique ; le “syndrome d’Asperger”, on oublie ce terme, s’il vous plaît, mais on en reparlera plus tard), les TDA/H et les troubles des apprentissages de manière plus large (dyslexie, dyspraxie, dyscalculie, dysorthographie, dysphasie, etc.). La différence significative s’établit sur des bilans fiables et normés, où le seuil de -2 D.S. est franchi (retenez, c’est important). C’est-à-dire que la personne présente des différences de deux écarts-types, calculs établis selon des statistiques. Certaines évaluations nécessitent des visions croisées, car des diagnostics peuvent être établis à certains -1D.S. (mais on en reparlera aussi). Rappel : la dysgraphie n’est pas un diagnostic, mais un symptôme. Certains diagnostics peuvent également être établis par EEG (électroencéphalogramme) car c’est là le cœur de la chose : un fonctionnement neuronal différent de la norme attendue.
On parle aussi de neuroatypie et c’est pour cela que vous verrez parfois apparaître la mention neuroA sur le profil de personnes concernées. Certain.e.s y mettent aussi le HPI, MAIS, j’y reviendrai en temps voulu. La limite n’est pas toujours claire si les personnes avec un trouble mental ou psychiatrique sont inclues sous cette détermination.
Parler de neurodiversité permet aux personnes concernées d’exprimer leur situation, leur vécu, sans forcément ramener cela à un “trouble” ou une “condition médicale”, mais plutôt comme une particularité neurologique demandant des adaptations pour viser l’autonomie au quotidien, sans épuisement.
✨ Un bagage professionnel
Comme je l’ai mentionné en introduction, je suis ergothérapeute de profession. J’avais déjà eu l’occasion d’expliquer en large et en travers mon métier dans ma lettre sur le travail. Mon métier, et surtout mon poste en libéral en tant que praticienne spécialisée en pédiatrie et troubles des apprentissages, m’a amené à rencontrer des centaines, des milliers de personnes concernées. Parfois pour les accompagner dans le diagnostic, dans leurs “rééducations”, ou même pour juste les croiser (coucou les parents d’enfants neuroA qui êtes vous-mêmes neuroA sans le savoir, on vous voit !). Mais bref, j’ai un bagage, il me semble, assez solide.
Mon job, c’était vraiment d’établir des pistes diagnostiques. Mes bilans permettaient aux médecins de faire un différentiel. Cet enfant a-t-il un TDAH qui va perturber ses fonctions exécutives ? Y a-t-il des troubles visuo-spatiaux caractéristiques d’une DVS ? (dyspraxie visuo-spatiale, maintenant “TAC”, troubles acquis de la coordination, maaaaaaaaaaais je ne suis pas tout à fait d’accord). En dehors de ses difficultés d’apprentissage, peut-on relier ses difficultés sociales et au quotidien à un autisme non diagnostiqué ? Et, sans vouloir me flatter… j’étais bonne là-dedans. Mes hypothèses diagnostiques se révélaient, le plus souvent, justes.
Après, il y a bien eu aussi les “loupés”, pas dans le sens “mauvais diagnostic”, mais dans le sens “mauvaises interprétations”. Le nombre de parents qui ont entendu “votre enfant est dyspraxique” alors que je leur disais “votre enfant présente des troubles praxiques à ce jour”… VOUI, la différence est mince, mais elle existe. Car un trouble praxique est parfois signe d’un simple retard, d’une dysfonction antérieure sur un système à rééduquer, mais qui peut se rattraper grâce à un suivi méthodologique et rigoureux, tandis qu’on parle de dyspraxie dans une situation durable de troubles persistants malgré rééducations (si au bout de 2 ans, il y a pas ou peu de progrès… mais bizarrement, les familles veulent pas payer 2 ans dans le “vide” !). Des “vrais” dyspraxiques, j’en ai vus passer. Des “faux” aussi. (je me la joue “chasseurs”, c’est ça ?) Qui ont bénéficié de plein d’aménagements plus ou moins utiles (mais bien arrangeants) et qui ont fait des études de dentiste (oui oui. Dyspraxique).
Il m’est également arrivé de faire face à des mauvais professionnels. Des psychomotriciennes (désolée les psychomot, mais j’ai eu certains de vos collègues très incompétentes. D’autres, heureusement, très compétentes !, qui m’ont réconciliée avec la discipline. Je vous “rassure”, y a aussi de très mauvais ergos !), ou même des professions charlatans (les grapho [ne me lancez pas sur le sujet] et tutti quanti) qui déclaraient à des familles que -1 D.S. signifiait qu’il y avait un problème et diagnostiquaient une “dyspraxie” sans avis médical. Or. OR. Hormis les orthophonistes, disposées à diagnostiquer les dyslexies, les dysorthographies et les dysphasies, tout ce qui est du ressort autiste, TDAH, dyspraxie, doivent IMPERATIVEMENT être validés par une autorité médicale en regard de tous les bilans effectués, car il existe de potentiels différentiels ! (troubles psychiatriques, difficultés psycho-sociales, pathologies musculaires… [tiens, une petite anecdote pas très drôle pour vous… un enfant, pour lequel une psychomotricienne avait diagnostiqué une dyspraxie. Je le prends en rééducation, je me dis qu’il y a autre chose. Certes, il a des difficultés, mais… il régresse même. J’ai le sentiment de perdre du temps précieux sans diagnostic plus clair, que je suis à côté de la vérité. Je préviens la maman, qui me sous-entend que je suis juste incompétente et que je ne sais juste pas rééduquer son enfant correctement, qu’elle perd son argent en lui payant des séances avec moi. Elle arrête donc le suivi presque du jour au lendemain. Elle revient au cabinet 2 ans plus tard. En réalité, le pauvre enfant est porteur d’une myopathie, tout juste diagnostiquée, ce qui explique la régression. Je n’aurai, évidemment, jamais d’excuse vis-à-vis de son comportement. Voilà pour les dangers des diagnostics établis à la va-vite sans validation médicale et sans confiance envers TOUS les professionnels de santé.])
Donc. Une personne (je ne précise plus la profession) qui diagnostique une dyspraxie sur des tests à -1D.S. et des parents qui n’en démordent pas pendant tout le reste de la vie de leur enfant (alors que toi, après 1 an de bonne rééduc, quand il refait un bilan… il y a ZERO trace de trouble. Mais non non non, il sera TOUJOURS dyspraxique [et après on s’étonne parfois que les profs pètent un plomb parce qu’ils devraient mettre des aménagements à des enfants pour lesquels la rééducation a réussi et donc n’ont techniquement plus de difficulté scolaire] bref, désolée, je m’énerve, mais j’ai vu tellement de m***e en 10 ans de carrière, je suis énervée pour les “vrais” diagnostics pour lesquels on galère à mettre en place des choses parce qu’on se retrouve en face avec des professionnels fatigués de ces “modes”).
Ce que je veux dire au travers des paragraphes précédents, c’est que les gens, que ce soit les familles ou même les jeunes concerné.e.s, ont très très vite tendance à se mettre des étiquettes et à y rester, bien sagement, sans réfléchir à ce que ça implique. Sans jamais la remettre en question. Des gamins, j’ai du en accompagner des dizaines sur ordinateur plutôt que de rééduquer leur écriture, alors que ça aurait pu être possible. Passer direct à de la compensation de facilité plutôt qu’à la réflexion, qu’au temps de la rééducation. Parce qu’on a plus le luxe du temps, de la réflexion, de la nuance. A l’inverse, proposer directement des adaptations compensatoires pour les cas les plus impactants (les fameux “pas rééducables” pendant 2 ans) et devoir expliquer aux parents que, non, ce n’est pas en le forçant à écrire tous les jours que ton fils écrira mieux avec ses difficultés.
Et ça, des étiquettes, des préconçus, des raccourcis, j’en ai vus, entendus, vécus, beaucoup, BEAUCOUP. Une impression de devoir se balancer entre deux extrêmes des clichés imaginés par le commun des mortels. Entre les merveilleux petits anges handicapés innocents qui n’ont rien mais nous apprennent tout tant iels sont courageux.ses et défient le destin, et les sales garnements intenables aux parents relous, qui ont des diagnostics à la mode, et qui pourraient faire un effort, quand même ! Sans discerner l’immense palette des possibles au milieu. Que oui, il y a des dyslexiques qui vont très loin dans les études supérieures. Qu’il y a des autistes avec énormément d’empathie. Des personnes grises, aussi. Des personnes connes. Pardon ! Mais les cons sont partout, y compris chez les personnes handi et les neuroA ! Certes, certaines situations expliquent des comportements, des réactions, mais n’excusent pas les impacts parfois significatifs chez les autres, car nous restons un espèce qui vit en société. Et puis, si le handicap était la solution de guérison de la connerie, ça ferait longtemps qu’on aurait pété des colonnes vertébrales chez les politiciens.
Mais j’aime. J’aime ce que j’ai fait. Accompagner ces petits, ces jeunes, pendant tout leur parcours. Les voir évoluer et trouver leurs propres voies. Si vous me suivez sur Instagram, vous avez peut-être vu passer l’histoire de “Lily”. D’ailleurs, lors d’un entretien, les dernières semaines, mes recruteurs m’ont demandé de leur raconter un suivi pour lequel j’estimais avoir fait du bon travail ; et j’ai raconté le suivi de Lily. Mais au milieu de tous les déboires propres au milieu du soin, j’ai reçu énormément de gratitude. De mails et de messages très touchants. J’ai même créé des vocations chez certain.e.s. Mais plutôt que de voir des jeunes se “complaire” dans leurs places (même si j’ai aussi malheureusement vu des jeunes au cabinet jouer les victimes et se plaindre de ne rien pouvoir faire parce que leur diagnostic, et donc rester dans ce statu quo confortable), j’ai surtout vu des jeunes surpasser leurs difficultés et surtout, les préconçus (que ce soit les leurs et ceux des autres), pour vivre leurs projets et leurs rêves AVEC leurs diagnostics, sans les négliger. Ca n’a pas toujours été simple, ça demande énormément d’effort, parfois, souvent même. Mais certain.e.s sont allé.e.s si loin… et je suis extrêmement fière d’elleux.
✨ Neurodivergente moi-même ?
C’est une question que je me suis souvent posée. Plus encore quand j’ai commencé à travailler en 2014, car j’ai rencontré des enfants avec des diagnostics solides (de TSA notamment)… qui me renvoyaient très fort à la Ielenna que j’étais quand j’avais 8, 10, 12 ans. Des centres d’intérêt très poussés, des difficultés de sociabilité accrues, un sentiment de décalage, des comportements peu adaptés. Ces difficultés ont amené mes parents, dans un premier temps, à me changer d’établissement scolaire. En dépit de ça, cela a persisté. Alors, on m’a emmenée voir une psychologue pour me faire passer, à l’époque, un WISC-III. Son compte-rendu est honteux (point de vue d’une professionnelle actuelle, mais un.e collègue m’envoie ça, sans chiffres précis dans chaque catégorie, sans observations contextuelles, je râle), mais concluait sur un “HPI” (haut potentiel intellectuel). Et genre… pas qu’un peu. Mais je vais y revenir, car je relativise énormément ce qu’est le HPI aujourd’hui, vous allez comprendre.
Un bilan très homogène, SAUF dans un domaine. Et je m’en souviens extrêmement bien de cette évaluation en particulier. En fait, j’ai paniqué. Parce que j’ai pris la consigne de l’épreuve trop au premier degré et je me suis embrouillée parce que ce n’était pas clair. Je m’en suis voulue, j’ai demandé à recommencer ; évidemment ça m’a été refusé, c’est dans le protocole. J’ai toujours eu ce souci de la consigne. Je me souviens, en 3ème, des étudiants en psychologie sont venus dans notre classe (ah oui, pardon, j’ai loupé une étape chronologique, mais après ce fameux “diagnostic HPI”, je suis donc partie en cursus spécialisés pour enfants EPI (enfants précocement intellectuels) (… voilà), et malgré cela, le décalage social existait toujours et a dégénéré en harcèlement scolaire). Et ces étudiants nous ont pris un à un à part dans une salle pour nous poser des questions de logique. L’une des questions était :
Existe-t-il plus de mots qui finissent par -ent ou par -nt ?
Alors j’ai fait un gros calcul rapide dans ma tête. En -nt, on va avoir tous les verbes conjugués à la 1ère personne du pluriel au présent. Les participes présents, aussi. Tandis qu’en -ent, on va avoir tous les verbes conjugués à la 3ème personne du pluriel, et ça dans plein de temps. Sans compter tous les adverbes. Donc je leur réponds, sûre de moi “bah les mots en -ent”. Les étudiants se sont concertés d’un regard, ont pris des notes. A la sortie, mes camarades m’ont demandé, et quand je leur ai expliqué mon raisonnement, se sont moqués de moi et m’ont dit que “j’étais en fait trop stupide pour être dans cette classe”. Puis que oui, en effet. En fait, dans le groupe -nt, il y a les -ent. -nt = -ent + -ont + -ant. Donc, logiquement, -nt > -ent.
Bah non, je ne l’avais pas compris ainsi. J’avais compris :
Existe-t-il plus de mots qui finissent par -ent ou par -nt excluant les -ent ?
Donc oui, sur le moment, je me suis sentie extrêmement stupide et illégitime, sans compter que ça a donné de l’eau au moulin de mes harceleuses.
Est-ce que j’en veux d’ailleurs à mes harceleuses aujourd’hui ? Je ne sais pas. J’avais conscience de ce que je traversais, et d’autres personnes de ma classe le voyait (j’ai revu l’un de mes camarades de cette fameuse classe, qui a été identique de la 6ème à la 3ème, en 2014, par hasard sur un événement à Paris, qui s’est excusé de ne pas être intervenu à l’époque, c’est dire !). Mais j’étais une gamine “bizarre”. Je tournais autour des poteaux pour m’en donner le vertige (je comptais le tour de fois nécessaire et je recommençais l’expérience pour vérifier que le seuil était le même). J’inventais des chants religieux… d’une religion elle-même inventée, dans la cour de récré. J’écrivais des poèmes (ça m’a permis de gagner des concours à l’époque). Je calculais et chronométrais le nombre de pas, le temps exact pour rejoindre la distance entre deux marronniers de la cour de récré. Je jetais des cailloux sur les murs pour tester les angles et les vitesses grâce auxquels ils pourraient se casser. Je déjeunais toujours seule à la cantine, et c’était OK. J’étais même de celles qui couraient pour arriver le plus vite, et ainsi profiter du reste du temps à mes “expériences scientifiques”. D’ailleurs, pendant ma 6ème-5ème, je portais mes livres scolaires dans les bras partout, plutôt que de les mettre dans mon sac, car je voulais être comme Hermione Granger, mon modèle à l’époque.
Les modes de l’époque m’ont donné des excuses pour essayer de me fondre parmi mes pairs. Les billes, les élastiques, les cartes Pokémon, les papiers Diddl. Jouer au foot et au ping-pong (avec les garçons donc. Mais je me suis faite ensuite rejeter vers 12 ans, car “j’étais une fille” / là où les groupes de filles trouvaient que j’étais une “pick me”. D’un côté, je ne voulais pas être “comme les autres filles”, comportement que je trouve, avec le recul, complètement abruti, et en effet digne d’une “pick me”). Avec plus ou moins de succès. Cela ne changeait rien au sentiment de rejet, exacerbé pendant les cours de sport, quand je n’étais jamais choisie en binôme (et donc j’étais avec les profs, quand un autre duo existant ne devait pas m’accueillir en soufflant et en levant les yeux au ciel), quand je n’étais pas choisie en dernière dans les équipes. Aujourd’hui encore, je suis très mal à l’aise quand me submerge l’odeur très caractéristique des vestiaires sportifs.
Puis, socialement, les choses se sont beaucoup améliorées, surtout au lycée. J’ai trouvé une super bande d’amis… aussi bizarres que moi ! Nous sommes restés soudés pendant 3 ans, même si aucun n’était dans la même classe que les autres (c’était par petits duos ou trios). Pour la petite histoire drôle, j’ai appris par la suite que notre groupe d’amis a eu une réputation particulière dans le lycée, même après notre départ ! Le petit frère de l’un d’entre nous rapportait que des gens disaient que “ceux qui étaient là-bas (parce qu’on avait un endroit bien particulier dans la cour du lycée) c’était des weirdos”. Mais c’est à cette époque que j’ai commencé à écrire. Avec mes amis, on s’échangeait des fics imprimées en caractère 8 sur des feuilles à marge explosées qu’on lisait en douce en cours. Je faisais la même chose avec la première version des Fleurs d’Opale à l’époque.
Par la suite, je suis partie en études sup. Je m’y suis faite quelques amis précieux, mais pas nombreux.ses. Je sortais rarement en soirées, en groupes. Les fêtes de médecine, tout ça, ce n’était pas pour moi. Je préférais largement rester chez moi à mater Anges & Démons pour la 10ème fois (I mean. Rome. Vatican. Religion. Complot. 4 éléments. Hans Zimmer. Ewan McGregor. EWAN MCGREGOR.) ou écrire. Pour autant, je ne restais pas enfermée sur moi-même. Je me suis adaptée à la vie adulte et indépendante. Ca m’a beaucoup appris. Et puis, c’est à cette époque que j’ai commencé à rencontrer toutes les personnes que je fréquentais sur internet. Des communautés comme Eragon Shurtugal, Histoires de Romans ou ce qui allait devenir Génération Ecriture. Puis plus tard HarryPotterFanfiction alias HPF. Là où j’ai rencontré mon futur mari (voir lettre sur mon mariage).
La passion commune de l’écriture et du monde du livre m’a permis de rencontrer énormément de personnes, de me tisser un premier réseau, de faire un premier pas dans le milieu, que j’ai vu beaucoup évoluer en 15 ans. C’est resté. L’écriture, mais surtout l’investissement dans cette double-vie internet, a toujours été une passion dévorante pour moi. Malheureusement, je pense, jusqu’au stade de l’addiction. Car j’avais enfin une identité, un rôle, une place. Je n’étais plus la bizarre parmi les gens. J’étais quelqu’un parmi les gens bizarres qui écrivent.
Comme je l’ai dit plus tôt, rejoindre le marché du travail et ouvrir mon cabinet, et surtout recevoir de jeunes patients diagnostiqués TSA ou TDA/H m’a fait prendre conscience de certaines similitudes. Au départ, cela ne m’a pas interrogé plus que ça, dans le sens où je me suis dit “chouette ! Comme je comprends ce qu’iels vivent, je pourrais encore mieux les aider !”. Et c’était vrai ! Mais sur le moment, je ne me suis jamais dit “il faudrait que je passe le cap du diagnostic”.
Vous vous souvenez du “HPI” mentionné tout à l’heure ? Ma carrière professionnelle, ma veille scientifique et mes recherches m’ont amené à constater qu’on parle assez peu de “HIP” dans le monde anglo-saxon, bien plus en avance par rapport à la France, encore sclérosée par ses modèles psychodynamiques. Et qu’en somme, beaucoup de ces enfants surdoués et peu adaptés à la vie seraient en réalité… des enfants TSA, qui finissent par décompenser un jour. Le niveau de fonctionnement n’est pas le même et, on ne cessera de le rappeler, que le TSA est un spectre, et qu’aucune personne TSA n’est identique à une autre. Et que cela est d’autant plus vrai chez les femmes, où l’apprentissage social culturel nous vise à apprendre des valeurs tels que la douceur, la discrétion et l’empathie, et où les troubles de l’autisme s’expriment alors autrement.
Et surtout, qu’il y a des gens pour se faire un tas de blé sur le dos du HPI (la personne mentionnée dans cet article, j’ai lu certains de ses livres et articles. Jamais vu un tel condensé de bullshit version astrologue de wish chez les psys). Sans compter l’invention d’autres termes, comme HPE, multi-potentiel… (on sait plus quoi inventer pour pigeonner les gens). Et pour peu qu’il y ait des personnes TSA parmi ces personnes dites “HPI”, c’est plus facile encore de les embrigader, car ce sont généralement des personnes qui se cherchent, qui veulent donner un sens à leur différence. (funfact : j’ai essayé de (re)trouver des sources sur le risque plus accru pour les personnes autistes adultes de se faire happer par des mouvements sectaires ; je n’ai trouvé que des articles vers des dénonciations de thérapies alternatives suivies par les parents d’enfants autistes… Toujours fatiguée de constater que dans l’imaginaire collectif et du net, les enfants autistes ne grandissent pas, et qu’en prime, même leurs parents neurotypiques tombent dedans !).
Avec le temps, je me connais. Je connais mon hypersensibilité émotionnelle, qui me fait tout prendre au premier degré, de plein fouet, sans prendre la distance, me faisant parfois fondre en larmes quand il ne faudrait pas. Mon hypersensibilité auditive, qui fait que je shut-down dès qu’il y a un seuil de franchi (quand j’étais petite, ma mère m’endormait en passant l’aspirateur près de mon lit. Et quand j’étais étudiante, les rares soirées où j’ai été, j’ai déjà réussi à m’endormir en boîte ou au milieu d’une mariage). Pourtant, j’aime écouter du gros son dans ma voiture, au volume max, car j’aime les graves qui me font vibrer (et quand je découvre une musique que j’aime, je l’écoute en boucle, des heures, des jours, sur des centaines d’écoute). Je suis parfois psychologiquement bloquée par la tâche insurmontable de trier quelques vêtements, mais je peux rester 5-6h à préparer des visuels, des maquettes, monter des campagnes Ulule, à apprendre à me servir d’AfterEffects en autodidacte. Je suis parfois “malpolie”, car j’ai peur de dire “bonjour/au revoir” au mauvais moment (alors je dis rien plutôt que d’éviter de paraître con), ou je regarde pas dans les yeux, ou trop longtemps, ou mon stress me fait avoir des comportements étranges. Quand je suis joyeuse, je peux beaucoup déborder (disons que je peux rarement cacher ma joie !), quand je suis en colère, je parle très fort et on me demande de baisser d’un ton car je m’en rends pas compte (ce qui est embêtant quand je suis au resto, par exemple, parce que ça me fait honte). J’ai tendance à très vite prendre les accents, les expressions d’autrui (et j’ai déjà eu des gens qui pensaient que je me foutais de leur gueule ou que je le faisais exprès), parce que je me calque beaucoup sur ce que j’observe (et j’observe beaucoup. J’écoute, surtout. Mais bon. Fichus neurones miroir). Et j’ai énormément de mal à maintenir des amitiés dans le temps (les personnes qui restent sont persévérantes ! Ou sont neurodivergentes !).
Des tests et des questionnaires, comme le RAADS, le CAT-Q, je les ai passés. Et tous avec des résultats sans trop d’équivoque avec tous les marqueurs au rouge vif. Pourtant, je n’ai jamais été plus loin et je ne pense pas que j’irai plus loin. Paradoxalement, je sais que cela pourrait me “décharger”, ou du moins me déculpabiliser. Il y a 4 ans, j’ai été diagnostiquée d’une maladie chronique hormonale. Ca, c’est médical, pur et dur. Pas de différentiel, c’est attesté. Une pathologie qui explique mes douleurs chroniques, ma fatigue chronique, mon impossibilité à perdre du poids malgré les efforts, mes épisodes à tendance dépressive (un bonheur de savoir que cette maladie sans traitement médicamenteux multiplie les risques de suicide par sept). Connaître ce diagnostic m’a fait du bien (même si la résultante est absolument pas cool !). En serait-il de même pour d’autres neurodivergences ?
J’ai mes particularités, MAIS, à ma plus grande chance, je suis fonctionnelle. Je suis indépendante, autonome, je peux faire mes courses seule, avoir un travail (même si j’ai du mal avec le travail en équipe parce qu’il faut composer avec l’incompétence des uns des autres), faire globalement ce que je veux même si c’est pas parfait, et je peux m’adapter si nécessaire. Je ne veux pas remettre mes petits tracas sur le dos d’une différence neurologique ; je veux trouver les solutions pour faire autrement (c’est mon côté ergo !). Je sais que beaucoup d’autres personnes n’ont pas autant de chances, que ce soit par le masking, les capacités d’adaptation, les ressources d’énergie. De ce fait, je ne veux pas, par mon identité de personne “fonctionnelle” donner une image plus rose des réelles difficultés des personnes qui enchaînent melt-down sur melt-down, par exemple. Quand je vois des personnes autistes exploser à cause de la petite goutte, quand je vois comment la rigidité peut conditionner des journées, des semaines entières. Au final, je m’en sors “pas si mal”… Je fonctionne comme je suis. Je me connais ; mon mari me connaît ; ma famille me connaît, et c’est amplement suffisant, je n’ai pas besoin de davantage, même si un diagnostic pourrait expliquer certains comportements et m’en déculpabiliser. Mais je ne veux pas me reposer dessus, tout comme je ne veux pas me reposer sur mon diagnostic médical pour me laisser aller et penser que, foutu pour foutu, j’ai rien à faire. Je reste maîtresse de ma vie et de ma destinée (ceci est une phrase qui sonne très héroïc fantasy).
D’autant plus que, si je le passais, ce fameux test, il est certain que je garderai ça pour moi, comme je l’ai gardé pour le “HPI” jusqu’à présent. J’ai déjà écopé de suffisamment de réflexions par le passé, comme quoi je faisais tourner le monde autour de mon nombril. Ma soi-disant propension à vouloir être la “main character” (mais ne suis-je pas la main character de ma propre vie ?). Et cela ne ferait, je pense, qu’empirer les choses. Vouloir me rendre “intéressante” à tout prix. Et ce n’est pas mon but. Au final, grâce à mon bagage professionnel, j’ai réussi à m’étudier, dans mes comportements, à trouver des solutions, et c’est tout ce que je voulais, pas de plus. Je pourrais vous parler de mes expériences avec mes proches neurodivergents aussi, mais dans le cadre de cette lettre, je préfère, par souci de confidentialité, ne m’en tenir qu’à mes propos personnels, et tant pis si je passe encore pour la main character de service.
✨ Diagnostics à la mode ?
Juste avant d’en arriver au coeur du sujet, il me semblait important d’aborder néanmoins le côté “tendance” de la neurodiversité. Si vous traînez sur TikTok ou sur Instagram, il est probable que vous soyez déjà tombé sur des posts ou des vidéos “je suis TDA/H / TSA, évidemment que”, énonçant une liste de comportements que vous reconnaissez. Oui. Parce que ce sont des comportements humains.
Le manque de savoirs précis tels que l’étiologie ou les critères diagnostics qui sont encore à approfondir, le retard immense des neurosciences vis-à-vis de la population féminine et la paupérisation de certaines connaissances, vulgarisées au point d’en être détournées de leur signification première, ont contribué à l’essor de certaines dérives sur les réseaux sociaux, notamment en jouant sur le mal-être des jeunes générations en leur apportant une solution miracle : vous êtes ✨neurodivergent✨. Alors oui, certaines personnes vont effectivement être amenées sur la piste d’un réel diagnostic, et ça c’est génial !, mais vous êtes-vous posés la question de pourquoi on en parle autant en ce moment ? Léo Duff a monté une excellente vidéo pour montrer que, derrière, il y a des intérêts pour certaines entreprises pharmaceutiques… Rappelez-vous. Certaines personnes malhonnêtes seront toujours là pour vous dire que vous avez un problème, quel qu’il soit, pour vous vendre des solutions miracles. Et ça, pour beaucoup de sujets différents.
Ca nous conforte, ça nous rassure, de nous dire que non, si cette relation s’est brisée, c’est pas parce qu’on s’est comporté comme un connard fini, mais parce qu’on est neurodivergent et incompris. C’est comme les gars qui, à la suite de l’épisode du Coeur sur la table, ont justifié leurs tromperies envers leur partenaire en expliquant qu’en réalité, ils prônaient le polyamour pour déconstruire les schémas hétéro-normés partriarcaux (le culot à son paroxysme).
Et dans un monde où tout va à toute vitesse, où on scrolle, où on est obligés d’avoir une vidéo splittée avec quelqu’un qui joue ou fait de la cuisine pour écouter une storytime, où on veut tout tout de suite, oui, on ne peut que avoir des difficultés à se concentrer sur quelque chose au-delà d’une minute. Mais ça, c’est dû à l’utilisation excessive des écrans, aux addictions aux petits shots de dopamine qui nous demandent à multiplier les occasions de créer des pastilles rouges sur notre écran d’accueil. Après, je n’entrerai pas dans le sujet de l’autisme et des écrans, qui est clairement une fake news (l’article wikipédia sur le sujet est assez complet). Mais il est certain que les écrans influent notre neuropsychologie et qu’il est sain de les utiliser de manière équilibrée (depuis que j’ai vu la vidéo de Léo Duff, dont je vous ai parlé plus haut, j’ai mis mon smartphone en noir et blanc et l’effet est bluffant).
Comme expliqué plus tôt sur mes expériences professionnels, ces horoscopes neurodivergents font du mal, font des dégâts réels. Surtout aux personnes réellement concerné.e.s, dont les difficultés sont minimisées, moquées, réduites à un effet de mode. J’ai croisé des jeunes avec des TDA/H impressionnants, qui finissent par s’énerver contre eux-mêmes, parfois de manière psychologiquement violente, parce qu’ils sont incapables de se concentrer, en dépit des traitements médicamenteux. J’ai vu des jeunes dyspraxiques devoir abandonner leurs rêves ; l’une d’entre elle voulait devenir infirmière, mais sa maladresse était telle que cela en devenait dangereux pour le patient, elle a dû se réorienter. On réduit les impacts et on minimise les expériences traumatisantes de certaines personnes qui finissent par faire des melt-down en public. Les MDPH sont saturées de demandes, heureusement, pour la plupart complètement justifiées (mais pas toutes, j’en ai vues passer au cabinet…), rallongeant les délais de prises en charge pour les personnes réellement dans un besoin urgent.
On pourrait me pointer pour un biais potentiellement classiste qu’est l’accès au diagnostic, du fait du prix d’un tel parcours (très onéreux, surtout si on veut faire le parcours complet neuropsy-ergo (formé. J’ai aussi des confrères et consoeurs très incompétentes, je le rappelle ! On n’est pas à l’abri)-éventuellement orthophoniste-neurologue spécialisé ou médecin formé dans ces troubles), des distances géographiques parfois très importantes pour s’y rendre, des délais extrêmement longs. Bref, une inaccessibilité certaine. Et donc que parfois, un autodiagnostic est suffisant. Là-dessus, il y a débat, et je ne me positionnerai pas dessus. Il y a des pour, des contre. Des personnes concernées vous diront que c’est valide du fait du manque d’accessibilité ; d’autres que ça “dessert la cause” des diagnostics avérés médicalement. A mon sens, un autodiagnostic ne doit pas se faire à la va-vite, demande énormément de recherches basées sur les preuves scientifiques, réclame une analyse dans le temps, éventuellement même en demandant à ses proches de répondre à des questions concernant nos habitudes de vie dans l’enfance. Je ne le considère pas comme “invalide”, car il permet de se rendre compte de ses difficultés au quotidien, comme je le fais moi-même ; néanmoins, il est important de prendre conscience de l’importance qu’on donne à cet auto-diagnostic dans la sphère publique et de comment on l’amène en justification au sein d’une vie en société.
BREF.
Ce très très long contexte posé, je vais pouvoir enfin transiter vers les sujets de l’écriture et du monde du livre.
✨ Construire des mondes
Dans les prochains paragraphes, nous allons donc émettre l’hypothèse que je suis neurodivergente, même si, techniquement, ce DIAGNOSTIIIIIC (mot prononcé de manière hyper sarcastique) de “HPI” me range dans la catégorie. Mais je vais surtout expliquer mon rapport entre ce décalage que je ressens au quotidien et ma manière d’appréhender mes écrits.
Depuis toute petite, j’ai créé des mondes. Les jeux imaginaires, c’était mon dada (et par exemple, sur ce détail, les critères diagnostiques ne sont pas d’accord. L’autisme infantile va pointer l’absence de capacité d’abstraction et d’imaginaire dans le jeu ; en revanche, l’autisme chez les femmes se caractérisent par une imagination extrême pour s’extraire de la réalité).
Quand m’est venue l’envie, voire le besoin, de créer des histoires, l’une des premières choses que j’ai aimé faire, c’est le worldbuilding. Construire des mondes, de A à Z, et c’est probablement pour ça que je serai à jamais une fantasy girl, plutôt qu’une SF-girl, ou même en contemporain. J’ai besoin d’établir mes propres règles au sein d’un nouvel univers. Pour TOUT CONTRÔLER. Aujourd’hui, cela m’est presque automatique et il serait intéressant que je décortique comment je procède. Sur Persona, j’ai pu voir passer des commentaires :
Le worldbuilding est incroyable, complexe, on voit que ça a pris du temps à l’autrice de penser à tout !
Ca m’a pris 5 mois. A écrire. Mais le reste de l’univers, j’avais déjà ses règles depuis quasiment le début. Donc je m’en sens un peu coupable. Je ne sais pas si mes univers sont complexes. Honnêtement, je ne pense pas. Ils sont riches, oui, mais je ne les crée pas en me prenant la tête comme mon mari le fait, lui, en bon architecte, et j’en suis très admirative (sauf les Fleurs d’Opale, mais là, on tombe dans les travers de tous ces auteurices qui se prennent pour Tolkien à vouloir inventer des mondes pendant plus d’une décennie, en inventant des langues, un système monétaire, des cycles lunaires et des calendriers spéciaux). Je… mets deux-trois éléments qui concordent bien, et basta ?
Pareil pour les petits dragons, j’ai eu ce commentaire, mais en fait, de manière générale, ce n’est pas une histoire de complexité, mais de cohérence. Tout me paraît logique et normal, presque naturel. Ce que m’a appris ma fanfiction, avec l’univers de Rowling, c’est qu’il faut être capable de répondre à toutes les questions sur l’univers. Ce que Rowling ne sait pas faire, du moins, au sein de ses propres livres. Tant que chaque question a sa réponse, pas besoin d’aller chercher compliqué ! Notre propre monde est bien assez complexe comme ça.
Mais j’ai toujours cherché à repousser les frontières, sortir des moules. Proposer quelque chose d’atypique, d’original, qu’on ne retrouve pas partout. D’autres époques, d’autres lieux, d’autres magies.
Et puis, il a fallu habiter ces mondes. Avec des gens…
✨ Des personnages aux psychologies complexes
J’adore les gens autant que je les déteste. Ils me fascinent et me terrifient. Je déteste discuter avec eux, pourtant, il m’arrive d’apprécier les temps d’inclusion en leur présence (ça fait très antisociale dis comme ça !). J’ai surtout envie de les aider, de les comprendre.
Mes difficultés sociales m’ont toujours poussée à m’interroger sur la dynamique de nos relations, dès la première interaction. Quand je rencontre quelqu’un, je ne vis pas l’instant présent. Je me demande ce que signifie ce regard ; pourquoi cache-t-elle sa main ? ; ce tic de visage montre-t-il un dégoût ? ; suis-je trop proche, trop loin ? ; est-ce que je parle trop fort ; est-ce que je pense à sourire ?. Je cherche à tout interpréter. Car la gestuelle, la prosodie (les intonations dans la voix), le langage non-verbal me permet de capter une infinité de détails. Parfois, je passe aussi complètement à côté quand je suis fatiguée, même le plus évident, car je n’ai plus l’énergie à analyser ce qui, moi, me demande des efforts, tandis que c’est naturel et intégré pour d’autres.
Dans mes amitiés ou dans mes contacts de la vie de tous les jours, je préfère toujours écouter ce que les gens ont à raconter. Leur vie, leurs problèmes, qui iels sont. J’en dévoile, finalement, très peu sur moi, sauf quand je déverse mes déboires émotionnels chez quelqu’un quand je suis en trop-plein, ce qui peut vite submerger la personne en face si iel ne me connaît pas. Mais je préfère écouter. J’écoute leurs peurs, leurs espoirs. Je me fais la souris dans les conversations de groupe (car au-delà de 4 personnes, vous êtes certain.e.s que je ne parlerai pas). Je me nourris de tout ce festin psychologique, qui est banal pour énormément de personnes.
Quand j’étais étudiante à Lyon, je m’amusais dans le métro. Je prenais une personne au hasard. Je m’amusais à la décrire dans ma tête. Un col de chemise froissé, une montre beaucoup consultée, un sac neuf serré dans les bras, un regard levé sur la lumière pour s’éblouir, une manie de se tripoter les ongles, des cheveux serrés à en faire mal, une casquette vissée jusqu’aux yeux, des lacets usés jusqu’à la moelle. Et puis, une fois le portrait dressé, avec autant de vocabulaire et de métaphores que possible, je leur imaginais une vie. C’était rigolo. C’était formateur. Ca ne faisait de mal à personne.
Et ensuite, je les retranscris dans mes personnages. Leurs rêves, leurs enjeux, leurs vécus. Ce qu’iels disent, ce qu’iels veulent dire, ce qu’iels ne disent pas mais révèlent par la gestuelle.
Finalement, c’est pareil que les univers ! Tout n’est pas question de complexité, mais de cohérence ! Un personnage qui est cohérent sur ses points principaux + quelques détails donne l’air d’être complet. Pas besoin d’établir un arbre généalogique sur 5 générations et de raconter son enfance en détails pour expliquer ses traumas. Tout doit pouvoir s’expliquer très simplement.
✨ Auteurices : tou.te.s neurodivergent.e.s ?
Je pense qu’on ne se met pas à écrire par hasard. Surtout dans le domaine des littératures de l’imaginaire. Un trop plein, le besoin d’exorciser, d’être le.a messager.e, une envie de raconter ce qui nous trotte dans la tête et qu’on n’arrive plus à garder rien que pour soi. Les neurodivergents sont, à mon sens, beaucoup plus nombreux dans l’univers des livres que dans d’autres. Car, la lecture comme l’écriture, sont des passions “calmes” et qui ne demandent pas une énergie énorme (sauf quand on se lance dans l’autoédition, autre sujet !). Donc accessible. Même pour les personnes dyslexiques, qui peuvent aussi trouver des alternatives dans les livres audio (pour le coup, moins conseillées pour les personnes TDA/H).
Je trouve, de manière générale, un respect plus accru pour la neurodiversité dans ce monde. Des salons qui font de plus en plus d’efforts d’inclusivité, comme Ouest Hurlant (contrairement au SLPJ de Montreuil, qui est tout sauf neuroAfriendly !). Ou même au sein de l’autorat. D’ailleurs, certains collègues ont reçu des diagnostics “officiels”. Des collègues avec lesquels on partage parfois de grosses similitudes. Et ensemble, nous nous comprenons, tout comme je me sentais déjà incluse quand je fréquentais des communautés d’écriture sur internet entre 2006 et 2016. Nous partageons les mêmes codes, des humours semblables, tout en établissant nos limites, et ceci, sans jugement.
Est-ce que c’est parce que l’écriture, quand elle franchit des stades de professionnalisation, devient de moins en moins accessible pour les neurotypiques ? Je me pose sérieusement la question. Il faut quand même avoir des sacrés centres d’intérêts spécifiques pour écrire un roman d’imaginaire pendant 6 mois, mais surtout d’en écrire, encore et encore, sans relâche, d’aimer en parler, et de préférer parfois la présence de ses personnages à celle des personnes réelles ! Quand je pensais à m’orienter vers l’illustration après le bac, on me disait “oui, mais dessiner des bonshommes, ça t’amusera 3 ans. Là, tu dois te trouver un travail pour les 40 prochaines années”. Et en fait… moi ça m’allait très bien de dessiner des bonshommes pendant 40 ans ! Au contraire, je trouvais ça super rassurant ! (même si dans ma “fonctionnalité”, je bascule entre rituels répétés et rassurés et besoin obsédant de challenges très hauts pour me stimuler).
✨ Des représentations parfois biaisées
Quand on parle représentation de la neurodiversité dans les médias, on fait souvent grincer beaucoup de dents, surtout celles des concerné.e.s. Et la “pathologie” se place assez souvent au centre du devenir du personnage, quand elle n’est pas détournée en pouvoir magique, le fameux don extraordinaire du handicap pour se sortir de sa situation. Dans un premier temps, il est très rare que les personnages annoncent des diagnostics clairs et précis et, parfois, quand ils le sont, cela fait surtout office de “running gag”. Au final, on ne peut faire que des interprétations, des personnages autist-coded, TDAH-coded, mais je n’ai jamais vu, par exemple, de personnage ouvertement dyspraxique. Cela peut s’expliquer aussi, surtout via la fantasy, par une difficulté à énoncer des termes diagnostics anachroniques. En dyslexique (et TDAH), il y a éventuellement Percy Jackson, mais pareil, le handicap est tourné en super-habilité.
Je voulais aussi revenir sur un thread que j’avais fait en story l’année dernière, plus orienté sur la question de l’autisme, et j’aimerais vous en remettre ici le contenu, un peu brut. J’étais tombée, à l’époque, sur un Threads qui disait que :
Les personnages TSA représentés dans les romans étaient systématiquement des hommes et qu’il fallait arrêter ça, ainsi que les clichés qui allaient avec. Arrêter aussi de romantiser le TSA dans les livres.
Un statement avec lequel j’étais à la fois d’accord et pas d’accord. Oui, les femmes et personnes AFAB (assignées femmes à la naissance) sont sous-représentées en tant que personnes dans le spectre au sein de la littérature. Oui, c’est un peu relou de voir sans cesse les TSA relegués aux rangs de génies asociaux et antipathiques. Cependant, j’avais besoin de remettre un peu les choses en contexte pour faire le lien entre réalité et représentations de neurodiversité.
Le TSA ne s’exprime pas de la même manière chez les personnes AMAB (assignées hommes à la naissance) ou AFAB, du moins, selon les critères établis par le DSM-V. Du moins, tout ne colle pas forcément. Car, comme expliqué plus haut, de par l’éducation liée aux injonctions genrées, la plupart des personnes AFAB avec TSA apprennent à masquer leurs différences, qu’elles soient dans le traitement des informations sensorielles ou dans leur vécu émotionnel et social. De ce fait, les diagnostics sont malheureusement tardifs, car passés sous le radar, chez des personnes ayant compensé toute leur vie, jusqu’à l’épuisement.
Il n’en reste pas moins d’autres réalités au-delà des situations propres aux personnes AFAB diagnostiquées comme étant porteuses de TSA (plus ou moins les comorbidités neurologiques).
Oui, à l’enfance, les garçons sont proportionnellement beaucoup plus diagnostiqués que les filles (5x plus ; ce chiffre commence doucement à varier avec l’augmentation des diagnostics chez les femmes adultes). Ils sont beaucoup plus nombreux et représentés dans nos cabinets, car présentent davantage de difficultés fonctionnelles et occupationnelles, du moins plus prégnantes (communication, troubles du comportement…), et qui demandent des accompagnements prioritaires.
Oui, il y a des personnes autistes qui répondent à des stéréotypes. Oui, il y a des personnes autistes qui évitent le contact visuel, qui parlent de manière monocorde, qui ont du mal à identifier leurs émotions. Oui, il y a des personnes autistes non-verbales ou avec un mutisme sélectif. Oui, il y a des personnes autistes qui font preuve d’agressivité, envers les autres ou envers elleux-mêmes.
CERTES, pas tous. Mais certain.e.s. C’est une réalité qui ne peut pas être effacée.
Le monde multimédia manque encore cruellement de représentations plurielles de l’autisme. Quand je parlais de potentiel diagnostic d’autisme à des familles que j’ai reçues en bilan, il m’est arrivé que les parents me répondent :
Mais… ma fille ne se comporte pas comme Sheldon Cooper !
Parce que nous n’avons, aujourd’hui, que peu de représentations, dans lesquelles toutes les personnes autistes ne se reconnaissent pas. Ou parce qu’elles sont péjoratives. Au lieu de les cloisonner, il nous faudrait les multiplier. Offrir au public les 1001 facettes de l’autisme. Car l’autisme est un spectre.
Dire qu’il faille arrêter de représenter les garçons autistes n’est, selon moi, pas la solution. Aucun personnage autiste ne mérite d’être mis au placard parce qu’il ne correspond pas à certaines attentes personnelles.
Ce n’est pas parce qu’une représentation autistique ne vous correspond pas à 100% qu’elle n’est pas valide. Il ne s’agit pas de LA représentation, mais d’UNE représentation. Qu’on se le dise, il n’y a pas d’individu témoin dans l’autisme.
Je me suis longtemps questionnée moi-même sur ce que je pensais de certaines représentations, comme Shaun, le protagoniste de The Good Doctor, qui est chirurgien et autiste. Mon expérience personnelle et professionnelle a du mal à croire qu’avec les troubles praxiques généralement associés à l’autisme, on puisse atteindre ce niveau de chirurgie, mais c’est un biais qui ne m’empêche pas de voir que cette représentation a apporté beaucoup de bien et de réconfort à certaines personnes dans le spectre qui se sont reconnues dans les rituels et les problématiques du personnage.
J’entends et, croyez-moi, je comprends la colère et la souffrance des personnes AFAB diagnostiquées sur le tard, qui ont trimé toute leur vie, et qui aujourd’hui réclament davantage de représentations qui leur ressemblent. Cependant, parce qu’il correspond à une certaine réalité dans le cadre de votre situation personnelle, parce que vous cherchez à vous approprier ce mot qui enfin pose le doigt sur tout ça et dont on vous a privé longtemps, pour autant, l’autisme n’appartient à personne.
Personne ne peut affirmer ce qu’il conviendrait de représenter ou non dans l’autisme, car cela revient encore à cacher, à mettre de côté des populations qui n’ont pas toujours les moyens de s’exprimer, de communiquer, et qui sont déjà assez marginalisées.
Chaque personnes autiste reste experte de SA situation. Mais à moins de travailler dans le domaine et d’avoir les compétences médicales et psychologiques pour, il est peu probable que ces personnes soient expertes de l’autisme sous toutes ses formes. D’ailleurs, là-dessus… Il n’existe pas de TSA de “haut niveau” ou de “bas niveau”… Juste un spectre. Il m’est arrivé de voir des personnes autistes devenir validistes ou jugeantes envers d’autres autistes. Ou rejetantes, car ne voulant pas être associées à “cet autisme” (“je suis autiste, mais pas comme les autres”). C’est pour cette raison que je rejette, comme beaucoup, le terme d’Asperger, ou d’Aspie (horreur… c’est comme les gens qui parlent de leur gygy, oskour), car, en dehors du fait que c’est le nom d’un médecin nazi qui a torturé des gens, ça sous-tend l’idée d’un autisme “pas comme les autres”, supérieur, noble. Vous ne pouvez pas dire qu’il faille arrêter de représenter des autistes qui ne vous ressemblent pas, des autistes qui vous “dévalorisent”. Comme celleux qui mangent du liquide hydroalcoolique, parce que oui, iels existent quand même, que vous le vouliez ou non. Nous ne devrions pas effacer l’existence des autres personnes dans le spectre sous prétexte qu’elles ne collent pas à certains symptômes propres. L’autisme d’une seule personne n’est pas le seul valable.
L’autisme est une particularité neurologique qui apporte des explications à certains comportements, mais il ne régit pas votre personnalité ; dans le sens où chaque personne autiste a ses passions qui lui sont propres, ses centres d’intérêt, ses ambitions, ses qualités, ses défauts, ce qui lui plaît, lui déplaît, dans l’idée que chaque personne évolue dans sa vie et que tout n’est que constante dynamique, aussi angoissant cela puisse-t-il parfois paraître.
Et justement. Ce qui prime, selon moi, dans un personnage de fiction, c’est sa personnalité. Pas son diagnostic.
Je comprends que pour certaines personnes, il est essentiel de s’emparer de ce terme diagnostic pour faire valoir leurs difficultés et leurs particularités, montrer que c’est autre chose que l’image clichée que le grand public s’en fait, hélas. Pour faciliter l’accès au diagnostic à d’autres, aussi. Mais il faut comprendre, qu’à l’inverse, certains enfants, certains jeunes, ont été poursuivis par ce terme toute la vie, et aimeraient qu’on arrête de les associer systématiquement à cet autisme qui leur colle à la peau car iels cherchent pas vivre “normalement”, avec plus de difficultés que d’autres, peut-être, mais que cela n’enlève rien à leur existence. Iels peuvent exister dans nos romans, sans pour autant se positionner en porte-étendard de l’autisme, mais juste en tant que personnages humains qui vivent des aventures. Iels ont besoin tout autant que vous de ces personnages.
La différence, c’est que, dans tous les cas, il est du devoir des auteurices de fournir des représentation de la neurodiversité bienveillantes, respectueuses, et avec toutes les recherches nécessaires pour offrir un personnage réaliste. Parce que oui, réduire l’autisme à un gamin qui mange de la pâte à modeler ou à un génie polyglotte x10 qui récite le dico par coeur, ça reste une représentation, mais elle est à nuancer, à contextualiser. Une personne ne s’arrête pas à un comportement précis !
Bref. Il faut créer ces représentations, une à une, pour qu’elles deviennent un jour centaines, milliers… A chacun.e, au final, de piocher dans chaque personnage les caractéristiques ou les expériences qui vous font penser à votre propre vécu. Et cela vaut pour tous les types de neurodiversités !
Je ne milite pas seulement pour des représentations de femmes ou de personnes AFAB neuroA. Je milite pour des représentations de TOUTES les personnes neuroA. Peu importe l’âge, le genre, le parcours, le milieu socio-économique, la culture, les origines… Je milite pour une représentation juste des partenaires de vie des personnes neuroA, des parents, des adelphes, des ami.e.s, qui ont aussi leurs propres vécus. Et j’espère qu’un jour, toutes ces représentations permettront aux lecteurices neurotypiques de comprendre nos différences pour mieux vivre ensemble, pour qu’une société ayant inclus ses membres neuroA devienne une norme.
✨ Quelques personnages de mes romans
Il est grand temps de vous présenter et de vous expliquer “les coulisses” des personnages neuroatypiques qui peuplent mes romans. Je ne les mettrai pas tous (comme Yûni qui est autistic-coded, mais que je n’ai pas écrite ainsi, tout comme Kate qui est très maladroite sans être dyspraxique, ou Emeric qui est très analytique et socialement décalé, sans qu’il y ait de diagnostic de TSA non plus), et, même si j’expliquerai leurs particularités, gardez à l’esprit que je ne veux pas que mes personnages soient vus uniquement sous le prisme de leur neuroatypie.
🎭 Andrea
Normalement, là, vous me regardez avec des gros yeux en me disant “what ?”. Alors, laissez-moi le temps de vous expliquer. Persona est une saga qui est très bien accompagnée, et j’ai notamment la chance d’être soutenue par une préparatrice de copie en or, qui se trouve être diagnostiquée AuDHD (TSA + TDAH). Et un jour, lors de l’une de nos réunions Zoom qui durent généralement trois heures, elle me dit :
Mais, on est bien d’accord que si Andrea comprend aussi bien Isidore, c’est parce qu’Andrea est autiste également ?
Un peu d’étonnement de ma part, puis ensuite, vient la discussion et l’analyse. Selon elle, Andrea est un personnage avec TSA dont, justement, la problématique principale réside en son masking permanent. Et on parle d’un personnage dont le Don est LITTERALEMENT de pouvoir changer d’apparence avec des masques. Mais attention, ses masques ne lui font pas changer de personnalité. Iel doit composer, comme avec du théâtre. Andrea sur-analyse les personnes qui l’entourent. Comme iel l’explique dans le tome 1, iel saisit toutes les subtilités de la gestuelle, de la manière de parler, avec une aisance remarquable (d’où sa difficulté à créer le masque d’Isidore, qu’iel n’a jamais rencontré, sachant qu’Isidore présente des comportements autistiques. Comment devenir un sosie parfait d’une personne autiste que l’on n’a jamais vu en vrai ?)
Andrea se questionne sur son identité, sur son genre, mais surtout sur son absence d’attirance romantique ou sexuelle. Alors attention, qu’on ne me fasse pas dire ce que je ne dis pas, l’autisme n’est pas une cause de la genderfluidité ou de l’asexualité. L’un est une cause neurologique, l’autre une construction sociale. Néanmoins, un groupe de personnes TSA comportera statistiquement plus de personnes ace/aro qu’un groupe de personnes neurotypiques, avec moins de conformités de genres également. J’aimerais trouver davantage d’études qui mettent en lumière ces corrélations, qui pourraient s’expliquer par le recul pris sur les conventions sociales. Attention à tomber dans le préconçu inverse qui consisterait à désexualiser les personnes autistes, et donc à les infantiliser, en les pensant “pures et innocentes”, ce qui est complètement faux également. Disons que, je pense que, certaines personnes autistes ayant plus de recul sur leurs propres différences de manière générales sont plus à même d’identifier leurs différences dans d’autres domaines et à les assumer publiquement, tandis que des personnes neuroT, qui se conforment davantage aux normes sociales établies, essaient, justement, de ne pas sortir de ces fameuses normes bien sécuritaires, avec donc, potentiellement, de beaux refoulements. Mais ce n’est que PURE HYPOTHESE.
L’autisme d’Andrea m’est apparu de plus en plus clair au fur et à mesure que j’avançais dans la saga, pourtant, cela ne m’a pas paru important de le souligner comme une énième différence ou particularité. Je pense que les lecteurices qui saisissent les subtilités ou qui se reconnaissent dans ses comportements pourront le distinguer ; au mieux, ça montrera que oui, c’est bien une différence invisible. Que l’autisme, ça peut être aussi une hyper-empathie, parfois envahissante. Mais c’est cette empathie qui a permis au lien entre Andrea et Isidore de se créer aussi vite, aussi fort. Et le dernier point, c’est que (et là, c’était prévu depuis le début ! Et clair dans ma tête) Mona, la mère d’Andrea, que vous rencontrerez dans le tome 3 est, justement, AuDHD. D’où la familiarité d’Andrea avec ce genre de fonctionnements.
🎭 Isidore
Je ne vais clairement pas entrer dans tous les détails des particularités sensorielles et comportementales du personnage : le tome 1 tout entier fait beaucoup mieux le travail que moi ! Oui, le personnage d’Isidore est TSA. C’est assez obvious, mais visiblement pas assez non plus pour que certain.e.s le notifient ainsi. Et c’est là le “coeur” du problème. J’ai déjà reçu des chroniques reprochant le fait pour Isidore d’être “caricatural”. Le souci… c’est qu’Isidore est identique à certains de mes patients ! Je me suis inspiré d’eux pour écrire, car justement, je voulais leur donner un personnage à leur image ! Oui, des personnes comme Isidore existent, et désolée pour elles si elles sont caricaturales. J’ai été assez stricte, dans l’écriture du personnage, et ai refusé quasiment toutes les corrections syntaxiques sur ses dialogues, qui sont construits d’une manière extrêmement logique. Certes, il présente énormément de traits très caractéristiques. Parfois poussés. Avec ce centre d’intérêt spécifique pour les oiseaux.
Pourtant, je n’avais “pas le choix”. Pourquoi ? Parce que si je partais sur un personnage plus subtil, comme Andrea, ça serait passé inaperçu. Voici ce que je voulais faire : présenter un personnage identifiable facilement comme TSA, même par les personnes qui n’y connaissent “pas grand chose” (parce que rappelez-vous, univers de fantasy antique, diagnostics anachroniques tout ça tout ça) > que les lecteurices se fassent une idée un peu préconçue du personnage > briser justement ces préconçus > expliquer qu’il faut arrêter de penser et de décider à la place des personnes TSA, qui peuvent faire leurs propres choix. C’était le message que je souhaitais faire passer, et, des retours que j’en ai eus, ça a plutôt bien fonctionné.
N’oublions pas non plus que les comportements d’Isidore sont conditionnés par sa situation. Il est enfermé depuis toujours dans sa villa, surprotégé par sa grande sœur qui le croit incapable de survivre seul à l’extérieur (et qui redoute surtout que quelqu’un mette le grappin sur le Don d’Aura d’Isidore, qui, entre les mains de quelqu’un d’autre, pourrait être dévastateur). Dans le tome 2, Isidore commence doucement à apprendre grâce à Andrea et au groupe, à s’adapter, à comprendre autrui. Pour finalement prendre son envol (bonne image pour un passionné des oiseaux !) avec les macareux cendrés. Même si on peut faire un reproche à Andrea, pour le coup, en influençant les décisions d’Isidore (certes, pour le protéger, mais il n’empêche qu’Andrea l’a éloigné de Pyxis sans lui montrer toutes ses cartes et lui expliquer les raisons de cet éloignement, comme si Isidore était incapable de comprendre les tenants et les aboutissants de cette situation).
On m’a BEAUCOUP réclamé Isidore et des lecteurices ont regretté qu’il ne soit pas plus présent dans le tome 2 (d’un côté, c’était le tome 1, son tome !). Il ne revient pas dans le tome 3. Dans le tome 4, en revanche… (on va se la jouer trope : “Isidore a beaucoup changé pendant l’été”)
🎭 Evander
On part sur un autre pendant de la neurodiversité, cette fois avec la dyslexie. Dès le tome 1, il est expliqué, très clairement, qu’Evander est en très grosse difficulté pour lire. Pour lui, les “lettres s’emmêlent”. Aujourd’hui, on parlerait de dyslexie sévère. Cela a évidemment miné sa confiance en lui, déjà très amochée, car se pensant stupide. Evander a heureusement trouvé ses ressources ailleurs, surtout avec le langage oral. Il n’a d’ailleurs pas le pendant dysphasique, ce qui lui permet de redoubler d’inventivité pour ses jeux de mots. Et c’est finalement une belle victoire, un dyslexique reconnu pour ses jeux de mots, non ?
Mais j’ai vraiment eu à coeur d’intégrer ses difficultés sans les confronter aux jugements de ses amis. Sa rencontre avec Amandine va aussi soigner beaucoup de choses ; lors de leurs premiers moments ensemble et qu’elle lui demande de rapporter un pot d’épices, elle lui montre à quoi il ressemble plutôt que de devoir lui faire lire l’étiquette. Des petits détails touchants. Ou le fait qu’elle lui lise des histoires auxquelles il n’a pas accès d’habitude.
Dans le tome 3, Evander va d’ailleurs, à un moment, devoir laisser un mot. Ca a été une expérience d’écrire “comme un dyslexique sévère”, et j’espère que la correctrice n’y touchera pas ! Je veux garder toutes les fautes originelles !
J’ai également eu des retours suggérant qu’Evander soit TDAH. Je ne l’ai pas écrit ainsi. Je mets plutôt tout cela sur le compte de son extraversion, même s’il manque clairement parfois d’inhibition.
🐲 Carl
J’avais déjà eu l’occasion de vous parler un peu de Carl dans d’autres lettres. Il s’agit du protagoniste principal de mon prochain roman avec les petits dragons mignons. Le rêve de Carl, c’est de devenir vitrailliste comme son père, comme son père avant lui, etc. Sauf que Carl est dyspraxique. Et comme vous vous doutez, verre et maladresse ne sont pas très compatibles ! Petites propensions aux accidents et aux blessures en tous genres !
Comme pour dans Persona, je n’ai pas pu employer le terme diagnostic précis, mais les descriptions et les dialogues autour des troubles de Carl me semblent assez clairs pour qu’on comprenne que ce n’est pas juste une petite maladresse, mais véritablement pathologique ! Et pas qu’un peu. Si Carl peut casser quelque chose, peut se cogner dans quelque chose, peut trébucher sur quelque chose, il le fera.
J’avais besoin d’un personnage dyspraxique. J’ai rencontré tellement de jeunes dyspraxiques, et en faisant l’état des lieux de la littérature jeunesse… je m’en suis rendue compte qu’il y en avait très très peu. C’était donc l’occasion parfaite. D’autant plus que ses difficultés au quotidien ont un réel impact sur ses ambitions et sur l’intrigue ! Les enjeux sont posés.
🐲 Brodeverre
En revanche, elle, je l’ai clairement écrite avec un TDAH ! Brodeverre est la dragonne de compagnie de Carl. Dans ce monde-là, chaque humain est relié à un dragon. Un lien d’âme. Les dragons communiquent avec le flambelangue. Ils se comprennent entre eux, mais seul leur humain spécifiquement peut aussi les déchiffrer. Les autres autour entendent du charabia. Et donc, pas de bol pour Carl, il n’y a que lui qui entend Brodeverre. Et Brodeverre est très, très, TRES bavarde.
Elle dit vraiment tout ce qui lui passe par la tête. Elle n’a aucun filtre. Ce qui la rend parfois hilarante et attachante. Elle n’a pas d’inhibition, est très impulsive, tient rarement en place. Au grand désarroi de son maître, les grasses matinées sont impossibles. Brodeverre galopent partout, vérifie si Carl dort en lui soulevant les paupières. Si elle s’ennuie, elle le fait vite savoir !
Bref. Mettez un jeune homme dyspraxique et une dragonne TDAH pour construire des vitraux, ça fait des étincelles !
______________________________________________________________
✨ Une lecture ?
Sur la thématique du jour, je vous propose un roman graphique à la fois touchant, émouvant et plein d’espoir, qui est la Différence Invisible.
On y suit Marguerite, jeune femme en quête de réponses sur ce décalage qu’elle observe, son rapport au travail, dans ses relations personnelles, jusqu’à la découverte de son diagnostic de TSA. Attention, ce roman graphique parle “d’Asperger” (ce qui m’a fait grincer des dents, mais passé ce détail, le reste est très parlant !). Le dessin en noir et blanc laisse contraster ces différences, tout de suite plus visible, peintes en rouge. Une belle symbolique. Des mementos utiles sur le TSA. Une lecture à proposer à celleux qui se cherchent, à celleux qui veulent expliquer à leur proche tout ce qu’implique le TSA.
✨ Evènement
Retrouvez-moi le samedi 26 octobre, à Gibert Montpellier pour une journée dédiée à l’imaginaire, en compagnie de mes compères (et commères ?) d’Hachette Romans ! Inscription nécessaire.
48 minutes qui valaient le coup (😉) !
Ça m'a pris plus d'une heure à finir...mais s'en valait le coup. Ça m'a permis de le questionner sur mes personnages et sur la manière dont je les ai construit ou que je voudrais les reconstruire. Merci Ielenna 🎭❤️