« Discrète ». « Réservée ». « Timide ». « Manque de confiance en soi ». « Tendance à s’effacer ».
Plus jeune, ces adjectifs m’ont souvent été attribués, que ce soit sur certains bulletins scolaires ou sur des jeux de groupe, où nous devions nous définir. Ils me sont restés longtemps collés à la peau. Comme tatoués à mon cristal de sims, me suivant comme des ombres. Regards fuyants, mots ravalés, initiatives étouffées ; un quotidien que nous sommes beaucoup à connaître, par peur de commettre un impair, d’entrer en conflit, de déranger, tout simplement. Pourtant, ces qualificatifs ont tranché avec d’autres appréciations, que seul.e.s celles et ceux qui me connaissent peuvent se targuer d’utiliser.
« Rayon de soleil. ». « Donne du sens ». « Sens de la solidarité ». « Toujours prête à l’action ».
Pourquoi ces ambivalences ? Ces deux faces d’une même pièce ? Et comment les concilier ?
Les gens qui ne me fréquentent que dans certains cercles sociaux s’étonnent parfois des masques que je porte en fonction des contextes. La Ielenna face à des inconnu.e. ; la Ielenna aux côtés d’ami.e.s de longue date ; la Ielenna en famille ; la Ielenna autrice ; la Ielenna ergothérapeute. Des rôles qui ne changent rien à ma nature profonde : je suis une introvertie, et ce n’est pas toujours facile à vivre, notamment quand on obtient un place publique dans l’un de ces rôles.
Alors comment survivre sur les réseaux sociaux ou alors d’interventions publiques quand on préfère vivre dans une grotte loin des gens ?
Avant d’embrasser le sujet qui, je pense, concerne beaucoup d’entre nous, je tenais à vous accueillir comme il se doit.
BONCHOU-RAN. Bon retour (ou bienvenue pour les petit.e.s nouvelleaux !) sur cette newsletter, ce blabla chatoyant, rédigé par mes soins et publié environ toutes les deux-trois semaines selon mon inspiration du moment. Ici, on parlera écriture, vie d’autrice en sein d’un milieu professionnel qui ne veut pas que notre bien, mais aussi passions, rapport aux autres et thèmes sociaux. Une espèce de pêle-mêle filé en mots pour mettre un peu de cohérence dans le chaos de mes pensées diverses et variées.
Nous sommes à ce jour 215 petites lucioles ! Merci d’être de plus en plus nombreux.ses à me suivre et à réagir à mes bla-bla.
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✨Pourquoi ce sujet ce jourd’hui (oui oui, ce mot existe)
La semaine dernière, j’ai fêté les 30 ans de mon frère. Mon petit frère. Pour celleux qui ont des fratries, ou PIRE, des enfants, vous serez d’accord avec moi pour attester que les pires coups de vieux ne concernent pas nos propres paliers, mais ceux de nos proches que l’on a vu grandir.
Je n’ai pas fêté mes 30 ans. Ou en tout petit comité. Pas de chichi, pas grand-chose. Je n’ai jamais eu de grands anniversaires de manière générale. Je fais partie des enfants de septembre. Celleux qui ne connaissaient personne à la rentrée et qui n’avaient pas assez d’anticipation pour organiser une fête au moment venu. Nos anniversaires étaient synonymes de rentrées scolaires, de cartables qui sentaient le neuf, avec nos trousses Poivre Blanc encore propres. Natif.ves d’avril-mai-juin, sachez qu’on vous déteste tou.te.s. Vous avez nourri nos pires jalousies. Parce que chaque année, pendant 15 ans, on s’est farci vos fêtes beaucoup trop cool, on vous a offert beaucoup trop de cadeaux, et on associait votre célébration aux beaux jours, entre les kermesses/pêches au canard de l’enfance et aux premières beuveries décomplexées de l’adolescence, aux premières expériences de nos vies libres pendant ces fêtes qui nous auront marquées pour le reste de notre vie, et on y repensera avec nostalgie “oh, tu te rappelles, à l’anniversaire de Ginette, quand on est montés au-dessus du muret pour tirer des pétards dans la grange du vieux schnock ?”. (“lequel ? Celui de 2007 ou de 2009 ? On a l’embarras du choix 🙃 ”)
J’ai notamment souvenir de cette cousine éloignée de mon âge, à laquelle on fêtait chaque fois son anniversaire pour les grandes cousinades, puisque nos rassemblements tombaient généralement au même moment de l’année, une réunion traditionnelle bien huilée. Je t’ai détestée, cousine. Je n’ai jamais eu 100 personnes pour moi à ma fête. Pas comme toi à plusieurs reprises. Pas d’anniversaire surprise. J’ai d’ailleurs le souvenir d’un samedi (ou d’un dimanche ?), quand j’étais jeune, qui tombait le jour de mon anniversaire. Mes parents m’avaient alors demandé d’aller retirer les crottes du chien dans le jardin (glamour bonjour). Ni une ni deux, je suis sortie, étrangement enjouée de m’affairer à ma tâche rebutante, convaincue qu’en re-rentrant dans la maison m’attendraient un groupe d’amies ; des cadeaux sur la table ; une volée de confettis. Que nenni. Je suis rentrée, on m’a ignorée, et je suis montée dans ma chambre, toute déçue, en attendant le déjeuner qui a remonté un peu l’estime de ce jour spécial.
Je conclurai cette parenthèse anniversaire sur un achievement de taille : cette année, mon anniversaire concordera avec mon mariage. Toute ma famille et mes proches les plus chers seront rassemblés, et ça sera mon plus beau cadeau. Et monsieur sera ravi ; il fera pierre deux coups pour le resto anniversaire/anniversaire de mariage.
Revanche de 32 ans. Na.
Et de manière générale, la vie, mes proches, mes lecteurices, m’ont ravi de plein d’autres surprises plus belles les unes que les autres. De ce fait, je n’ai pas à me plaindre outre mesure.
Revenons aux 30 ans de mon frère (et à mon déni).
C’était une belle fête, avec un fleuron d’invités plutôt nombreux, anciens étudiants fêtards qui ne grandiraient jamais. Une ambiance de feu, entre les trompettes de la fanfare et les fûts de bière sans fond. Et pourtant, je n’ai quasiment pas parlé de la soirée, préférant la compagnie de ma petite sœur, elle-même plus encline à sympathiser avec des inconnu.e.s.
J’aime et je n’aime pas les fêtes.
Disons que je les apprécie à ma manière.
J’adore y observer les gens, je m’y sens comme une anthropologue sur le terrain, au milieu d’une tribu éloignée de la civilisation. Je décode les expressions, j’analyse les échanges, je relève les différentes formes d’humour, qu’elles soient grossières et généralement basée sur le sujet de la reproduction (de quoi me rappeler mes soirées médecine), ou groupale avec des jeux toujours plus imaginatifs. Mais je ne me sens pas dans l’envie d’y participer. Je me sens « de trop ». Car je déteste être au centre de l’attention, au milieu des regards scrutateurs, je préfère danser dans le noir, sous les néons qui camouflent mon identité, dans le flou ivre de la foule, résonnant au rythme des sourdes vibrations graves, mes préférées. Un bal masqué où les sensations hypertrophiées me camouflent.
Des sensations auxquelles je suis pourtant très sensible. Je ne supporte pas les bruits forts. Par inconfort, pour commencer, mais aussi, parce que passé un certain seuil… je m’endors. Comme une merde. Ma mère se plaît à me raconter que, bébé, elle parvenait à m’endormir en passant l’aspirateur autour de mon berceau. J’ai arrêté de compter les mariages et grosses fêtes auxquels je me suis endormie sur une chaise. Et ayant le sommeil lourd, quelques ami.e.s se sont bien amusés à me mettre en scène, ce qui a eu pour effet de créer des albums photos d’anthologie. Le côté rigolo de ma malédiction.
J’aime et je n’aime pas les fêtes.
Spécifions plutôt que je n’apprécie pas me mêler à des inconnu.e.s. De nature très méfiante dans la vie de tous les jours, ce n’est pas la maltraitance de mes sens qui me désinhibe pour autant. Au contraire, je développe cette espèce d’extra-lucidité qui me rend à la fois plus consciente et plus sensible. Ceci couplé avec mon audition de merde, impossible de communiquer. Et je suis nulle en lecture sur les lèvres. C’est déjà assez compliqué d’échanger sur du smalltalk dans la vraie vie, mais dans ce contexte, autant demander à quelqu’un en fauteuil roulant de traverser les sables mouvants de la baie du Mont Saint-Michel.
« Tu fais quoi dans la vie ? »
« HEIN ? »
« TU FAIS QUOI DANS LA VIE ? »
« POURQUOI TU ME DEMANDES MON AVIS ? »
« NON, TON JOB ! »
« JE SUIS EN ERGO ! »
« HEEEEIN ? »
« EN ERGOOOO ! »
« AH, TU CONSTRUIS DES LEGOS ? »
« EN EEEEEERGOOOOOOO ! »
« AH. CONNAIS PAS. CA CONSISTE EN QUOI ? »
Généralement, j’abandonne bien avant. Et j’ai surtout appris à identifier mes cachettes (la planque des toilettes est la meilleure, mais on se fait rapidement chasser par lea prochain.e introverti.e qui réclame son tout) ou mes alliés (le plus généralement le pauvre animal qui traîne dans les parages quand on est chez quelqu’un). Beaucoup me diront que j’ai ainsi loupé les moments les plus iconiques. Cela serait pourtant se méprendre. Vous n’imaginez pas tout ce à quoi j’ai pu assister en étant planquée dans l’ombre d’un mur ou même dans un buisson. Des ruptures en règle, des rabibochages larmoyants, des disputes houleuses, j’ai tout vu. Comment j’ai ré-inventé le monde avec certaines connaissances lors des contre-soirées dans une cuisine étudiante. Les secrets que j’ai accueillis, quand certains ami.e.s portés à bout par la fatigue et l’alcool, ont trouvé en moi la Sam version psy de leur soirée.
Sans participer comme on pourrait s’y attendre, j’apprends pourtant tellement de ces moments de socialisation. À la fois cauchemardesques et plein de nouvelles expériences.
✨Serait-on des Lady Featherington ?
Pour ceux qui suivent la fameuse série de la Chronique des Bridgerton (la saison 3 ce sooooir), nous y suivons plusieurs personnages, en particulier Pénélope, personnage plutôt en retrait, mais qui n’est pas en reste. Du fait de sa morphologie plus replète que les standards, elle n’est pas attendue comme étant le canon de beauté, et brille plutôt par sa culture et son intelligence. Elle s’illustre notamment par le biais de ses billets, sous le pseudonyme de Lady Whistledown, colportant tous les secrets de l’aristocratie, meneuse de destins, marionnettiste de l’ombre, jusqu’à influencer certaines décisions de la reine elle-même.
Sans reporter scrito sensu les expériences et les ragots qui concerne mon entourage proche, je ne peux nier que je calque sur mes personnages certains comportements. Des réactions, des dialogues, des gestes non verbaux, des quiproquos, des anecdotes. Parce que j’observe, parce que je pousse l’analyse si loin, je donne de la matière à mes personnages. Je les brosse, je les définis, je leur donne une consistance que j’espère être la plus réaliste possible. Et sans être leur commandante, je me plais à glisser çà et là des éléments qui les fera ployer vers certaines voies plutôt qu’une autre.
Je me sens comme la Lady Whistledown de mes multiples mondes. Omnisciente, attachée aux rumeurs comme aux non-dits, cherchant à percer les secrets de la complexité humaine. Celle qui guette par le judas, que personne n’aperçoit, mais qui jauge avec plus ou moins de bienveillances tous ces protagonistes qui évoluent par eux-mêmes.
Ce côté double-vie, pseudonyme, nom de plume que personne ne doit connaître.
C’est d’ailleurs quelque chose qui déclenche en moi-même une étrange dissociation quand ce mur est franchi. Lors de ce fameux anniversaire de mon frère, ma sœur, outrée que je ne me présente QUE comme ergo, a vanté les mérites de mes livres à l’une des autres invitées, peu avare en compliments (ma sœur, cette first fangirl). Sans me sentir gênée, je me suis sentie un peu… désincarnée. Parlait-on vraiment de moi ? Pas d’une autre personne, vous êtes sûrs ? Je n’étais pas Ielenna l’autrice à ce moment-là, mais Ielenna la sœur, et étrangement, les deux ne me semblaient pas compatibles sur l’instant. Je ne suis pas honteuse de mes faits de plume et j’en parle volontiers, à l’image de Pénélope, mais je me sens démasquée quand ces identités multiples se rencontrent. Et j’ai l’impression que mon pseudonyme me permet de marquer cette différence, cette distance. Ce nom de plume est finalement l’arête de cette pièce qui me caractérise tout entière, le passage d’une face à l’autre.
✨L’œuf ou la poule ?
On pourrait se demander si j’ai commencé à écrire parce que j’étais introvertie, ou si le fait de passer mes soirées à écrire pendant des années a contribué à accentuer mon sentiment d’introversion. Un peu des deux, probablement. C’est une activité dans laquelle je me suis trouvée, et surtout, qui m’apportait de la reconnaissance. Je n’ai jamais été « quelqu’un » dans mes premiers cercles sociaux. Plutôt la fille qu’on oublie, l’intello un peu bizarre, la « garçon manqué » qui rit trop fort, celle qu’on évite ; quelqu’un d’oubliable. D’accessoire. L’internet et les petits succès rencontrés par mes écrits successifs m’ont donné une place, une raison de poursuivre. D’exister, même. Si mon pseudo est le point de bascule de ma pièce, c’est l’écran de mon ordinateur qui en crée le mouvement. Il y a la personne derrière le clavier ; et la personne qu’elle incarne, cette voix qui se matérialise dans la tête des gens qui la lisent. Il y a un corps, une personne qui n’arrive pas à s’exprimer, qui garde tout en elle ; et cet esprit pour lequel rien ne va assez vite, qui se déverse, effréné, frénétique, qui ouvre les vannes de cet imaginaire qui déborde.
Quand je m’exprime à l’oral, les mots me manquent parfois. Trop souvent, même. Je bute, je balbutie, je pèse, je me reprends, je m’excuse, j’avorte. Car il y a cette attente immédiate. Ce regard que je ne sais comment interpréter. Cette impression de ne pas avoir été écoutée, comprise. Tant d’efforts à fournir pour tirer à côté, pour se rendre compte que nos propos pouvaient être mal être interprétés. Je pense que, dans ma vie, j’ai passé plus de temps à me refaire des dialogues dans ma tête qu’à réellement parler. « J’aurais dû dire ça » ; « elle a dû croire que je pensais ça » ; « j’aurai dû intervenir là ».
Rien ne me vient spontanément dans les conversations de groupe. Trop occupé à décortiquer toutes les informations qu’il reçoit, mon cerveau est en DEFCON1. Panique, alerte rouge, la sirène, la totale. Alors, aller chercher au fin fond de ma caboche ma bonne anecdote, la sortir au bon moment, jauger si ce que je pense dire serait intéressant pour mon audience, non, là, c’est clairement trop lui demander. D’où la parade dont j’avais déjà parlé sur l’une de mes autres lettres : l’humour. L’art de détourner les mots, de s’en saisir sur l’instant, de rebondir. De montrer qu’on prend part à la conversation, qu’on écoute, attentivement, éveiller des réactions tout de suite compréhensibles, sans ambivalence. C’est ma méthode de contournement pour me fondre dans le groupe, là où d’autres tentent des approches différentes avec plus ou moins de succès. Et finalement, ça me convient, car je participe, sans avoir à en dire sur moi-même. Offrir des morceaux de moi est une intimité que je n’accorde pas à tout le monde (dit celle qui raconte sa life sur une newsletter lue par des centaines de personnes), car ça serait donner des clés de vulnérabilité que j’ai, hélas, trop souvent remises aux mauvaises personnes. J’ai appris à choisir, pour ne plus reproduire cette erreur, une fois de plus, une fois de trop.
J’ai la chance d’avoir trouvé un monsieur tout aussi introverti que moi, avec lequel je me sens bien (car oui, il est extrêmement rare que je supporte de rester avec quelqu’un plus de 48h de suite, y compris des membres de ma famille ou mon meilleur ami, je sature très vite, j’ai besoin de souffler, d’indépendance). Et même s’il s’intègre bien mieux aux conversations que moi, il a lui-même son petit défaut ; de ne pas s’arrêter de parler quand il est passionné, sans parfois se rendre compte que son auditoire a décroché. Pas facile d’être introverti et d’avoir à la fois rien et tout à dire ! À croire que pour nous, il n’existe pas de demi-mesure.
Une chose est certaine : j’échange bien plus avec mes personnages qu’avec des personnes dites réelles. Ils sont comme un terrain d’expérimentation, là où je ne suis pas à l’abri d’une boulette qui me coûtera une amitié dans la vie dite « réelle ». Et ce que je constate, c’est que mes personnages excellent en communication, là où nous (les gens qui m’entourent et moi-même) sommes généralement des quiches. Pourquoi tout ne se résout pas aussi facilement que dans mes histoires ? Se poser, ouvrir son cœur, ne pas se juger, entendre, comprendre, s’ajuster. Au final, je ne suis plus trop certaine de bien appliquer certaines règles à mes personnages, et paradoxalement, je refuse de faire passer ce genre de message dans mes histoires ; nous sommes condamnés à ne jamais nous comprendre. À ne jamais pouvoir débattre sans que les affects et les égos en prennent un coup et s’immiscent dans ces relations.
Quelque part donc, mes personnages, l’écriture, soignent ma foi en l’humanité. Et j’espère que ces messages, qui me semblent indispensables dans notre société, seront pris en considération pour que nos échanges dans la vie dite « réelle » deviennent plus sains, moins pesants en tout cas.
✨Une image publique
Nous avions déjà parlé de la difficulté certaine de se présenter en salon quand on est hypersensible sensorielle et passablement nulle dans les interactions sociales, par manque de codes ou pour une pure panique anxieuse. Des stratégies que j’avais en place, avec des programmes de dialogues, des pitchs bien huilés, des masques tous sourires. Et que malgré l’effort, malgré l’énergie déployée, j’arrivais malgré tout à en tirer un certain plaisir.
Ces moments rendent la pièce complètement transparente. Je ne suis plus qu’une image, que des mots qui posent en story sur mes réseaux sociaux. Je suis une personne, et je parle (très mal, mais je parle). Je suis de plus en plus touchée par la place que l’on m’accorde. Car oui, dans ce genre de milieu, il faut parfois se « battre » pour avoir l’espace de parole. Là où les extravertis ont l’avantage, ne se privent pas de s’engouffrer dans les brèches. Le milieu du livre est très propice à réunir des introvertis, car nous ne sommes probablement pas tombés dans l’écriture par hasard. De ce fait, entre collègues, on aime se laisser l’espace les uns aux autres, offrir des lieux d’échange. On compatit les uns avec les autres ; nous, grosse team d’intros.
Par exemple, quand on est invités à participer à des conférences. Je suis familière de ce genre de format, des tables rondes. J’en ai déjà organisé et animé un certain nombre, à l’époque où je présidais l’association Génération Écriture. J’adorais ça. Fini les smalltalk, nous pouvions enfin entrer dans des conversations plus profondes, partager des expériences, des ressentis, se questionner auprès de connaisseurs, qui ont peut-être des trucs et astuces à nous donner. ENFIN, on avançait vers quelque chose de constructif, d’engageant. Quelque chose qui, au final, perçait sous nos carapaces. Et parfois, il me semble en apprendre plus sur les gens en les écoutant me parler de leurs personnages et de leurs plot twists, qu’en leur demandant « ce qu’ils font dans la vie » (une question que j’ai toujours trouvé vague, et triste. Car ce qu’on fait dans la vie ne se résume pas au travail. Mais autre débat.)
J’adore enseigner. Transmettre. La pédagogie, c’est mon dada. Je ne garderai jamais un savoir, une expertise, pour moi seule. C’est un trésor à partager au plus grand nombre ; je veux que tout le monde s’en saisisse. Aussi, je suis toujours ravie de donner des cours, des formations, de relater mes erreurs, mes réussites, pour donner de l’eau au moulin de chacun.e. La différence vient peut-être du cadre. Derrière un écran, derrière un micro pour un podcast, je n’ai pas encore conscience que je serai vue, écoutée, par des centaines d’auditeurices, car l’écran me donne l’illusion d’un monologue en solo ou d’un espace safe avec un.e hôte avenant.e.
L’expérience devient tout autre quand je suis catapultée en conférence, devant 20, 50, parfois 100 personnes, rassemblées pour m’écouter parler avec d’autres auteurices. Ces gens sont désormais matérialisés. Et ça donne le vertige. Mon parcours en théâtre, qui m’a bien aidée plus jeune, me permet aujourd’hui de faire abstraction du stress, de plonger dans le bain. Et l’avantage des conférences, c’est qu’un bon animateur laisse l’espace à chaque participant ! Invite à la prise de paroles, questionne personnellement. Pas de micro à attraper pour réagir au quart de tour, pas d’interrogatoire poussé. Entre improvisation et encadrement, la recette est toute trouvée. Bien évidemment, cela ne fait pas tout. Il y a le sujet. Il y a les questions, parfois qui désarçonnent. Les points de vue qui s’opposent. Et surtout l’impression qui me saisit quand j’écoute mes collèges ; malgré mon petit parcours, je me sens stupide et insignifiante à côté d’elleux. Syndrome de l’impostrice ou non (je ne suis pas partisane de cela, voire première lettre), c’est une humilité qui me pousse à toujours vouloir repousser mes limites. Ne pas rester sur mes acquis, comme s’il n’y avait plus rien à apprendre.
Et c’est ce que j’aime dans l’écriture. On ne cesse d’en changer ses propres paradigmes.
✨Des personnages… qui ne me ressemblent pas
Quand on fait le bilan de mes écrits, il y a, finalement, très peu de personnages introvertis parmi eux. Passionnée par les dynamiques relationnelles, que j’explore de différentes manières, sur des plans divers, qu’il s’agisse d’amitiés, de liens filiaux ou plus romantique, j’en viens - peut-être par facilité - à mettre en scène des personnages plutôt extraverti. Qui vont vers les autres, qui sont dans la communication facile. Bref, ils trichent. Bande de veinards. Cette extraversion exacerbée ressort notamment dans Ludo Mentis Aciem, ma fanfiction Harry Potter, puisque le trio principal est composé de trois extravertis. J’ai évidemment mis en scène d’autres personnages, plus introvertis, comme Emeric, Eibhlin, Nestor, Leeroy ou même Wolffhart (qui, disons, s’est beaucoup désinhibé avec l’âge !), mais le thème de l’introversion est finalement peu exploité, si ce n’est dans les autres formes de langage d’amour, comme la musique. Certes, parmi la palette de tous mes personnages, il existe d’autres caractères introvertis que j’ai adoré complexifier, comme Naid dans les Fleurs d’Opale. Mais je restais malgré tout en surface.
L’introversion est pourtant un thème sur lequel je suis très sensible… et tatillonne. Car on a tendance à confondre l’introversion avec la misanthropie, ou des formes de communication autres, qui retrouvent des codes à travers certaines neuroatypies. En reprenant l’exemple récent des Bridgerton, on y parle souvent du personnage de Francesca dans la saison 3, codée introvertie… avec des sabots gros comme une maison et la subtilité d’un « nique ta mère » au compas sur la table d’un collège. Merci pour la représentation… mais c’était pas ça non plus. Résumer l’introversion à un mutisme et à une passion solitaire, c’est réducteur. Ce n’est pas impossible. Mais disons que j’ai trouvé ce traitement jusqu’ici un peu maladroit, comme si on pointait le personnage avec un panneau néon « INTROVERTIE ». Et je trouve ça dommage d’avoir été grossiers sur ce genre de représentations diffusées pour un aussi grand public. L’intention était louable ; l’exécution discutable. Il ne s’agit évidemment que de mon avis. On pourrait reprocher cela à d’autres figures, y compris aux miennes.
Les introvertis peuvent aimer les autres, apprécier leur présence (à petite dose, faut pas déconner). Peuvent nourrir le besoin de communiquer. Autrement que ce qui est socialement dépeint dans la majorité des cas, certes. Sans en arriver à des clichés ou des images parfois moquées. Le stéréotype du nerd, celui de la grosse timide, du rat de bibliothèque. Et tant qu’on n’est pas introverti.e.s nous-mêmes, il est difficile de décrire ces comportements, de les expliquer sans tomber dans le pathos, le misérabilisme, l’exagération. Comme s’il fallait sauver les pauvres petits introvertis de leur triste situation et ainsi les intégrer à une société qui devrait prôner la diversité de ses profils plutôt que de les conformer. Ce n’est pas ce qu’on demande, nous sommes très bien comme nous sommes, merci beaucoup.
Il existe une forme certaine de pression sociale autour des introvertis, que je trouve exacerbée pendant la période du lycée et des études supérieures. Ce n’est pas normal de ne pas vouloir sortir, de ne pas expérimenter les interdits que nous répètent les adultes, de ne pas vouloir participer à des activités de groupes, de ne pas vouloir faire partie de BDE. Juste vouloir rester dans son coin, lire, écrire, s’adonner à d’autres activités qui nous contentent. Une fois le cap passé, personne n’est là pour mettre le nez dans notre indépendance, sauf dans le cas de certains groupes sociaux imposés, comme le cercle professionnel.
Et ce thème de la « normalité », je suis très heureuse de l’avoir exploré à travers le personnage d’Andrea. Qui, malgré son amour infini pour autrui, son sens du pardon, sa foi envers le meilleur de l’humanité, reste une personnalité introvertie. Et surtout, qui va se lier à d’autres introvertis. Et c’est peut-être ça, mon innovation personnelle à travers Persona, travailler le lien entre introvertis. Car la saga possède un autre caractère très introverti, à travers le personnage d’Amandine, qui arrive dans le tome II. Et la relation qui se crée entre Andrea et Amandine dans le tome III est d’une richesse et d’une profondeur telles, même si on n’en approche l’essence que sur quelques scènes très précises… Il n’y a pas besoin de grands mots, de grandes démonstrations. Des petits gestes, des initiatives, des paroles bien placées, qui ont bien plus d’impact que des discours pompeux ou des faux-semblants.
Bref. Un langage particulier.
C’est peut-être ça, notre but, en tant qu’introvertis. Trouver notre propre mode de communication, puisque le langage oral en groupe social ne nous correspond pas.
Et je suis heureuse d’avoir pu trouver mon média. L’écriture ; le récit des émotions ; l’analyse des relations humaines ; le jeu des sonorités et des poésies métaphoriques, presque oniriques. C’est mon moyen de raconter qui je suis.
Mes ami.e.s introverti.e.s, soyez fièr.e.s de ce que vous êtes. Vous avez toute votre place dans votre monde, et votre silence créatif finira sûrement par sauver notre société trop bruyante.
✨Avancées personnelles ; écriture et lecture
Pour le moment, je termine un segment du tome IV de Persona, qui approche doucement de sa moitié. Je me sens beaucoup plus détendue dans l’écriture de ce tome IV par rapport au livre III. Quel plaisir de fermer les portes les unes après les autres pour laisser la place aux intrigues les plus palpitantes ! Repousser les personnages dans leurs derniers retranchements pour en faire sortir la quintessence de leurs émotions, de leurs peurs, de leurs envies (oui oui, je les torture un peu, vous m’aimez pour ça).
Une fois ce gros passage terminé, je m’attèlerai à l’écriture de mon prochain roman. Ça sera mon gros projet de l’été, même si je ne me priverai de petits sauts de puces vers Persona, tant que je tiens mes délais. Je dois le clore pour octobre.
Côté lecture, je déguste actuellement Désirer la violence de Chloé Thibaud, qui m’a été conseillé suite à la troisième lettre, sur les personnages masculins. Puisque ce livre parle des figures masculines dans la pop culture et comment elles ont influencé notre vision de la masculinité dans la société, en décortiquant les figures comme le nice guy, etc. Je ne l’ai pas encore terminé, mais si vous voulez pousser plus loin mes pensées sur ma dernière newsletter, je ne peux que vous le conseiller !
✨Prochain événement
Dernière dédicace de l’année 2023-2024, retrouvez-moi au Festival Polar et Aventure, à bord du Lydia, à Port-Barcarès. Première fois que je dédicacerai bientôt ! J’espère vous y voir, ami.e.s sudistes.
Les prochains rendez-vous seront en octobre ; d’ici là, bien des lettres auront été postées d’ici là pour vous les annoncer en bonne et due forme !
Merci d’avoir lu cette newsletter jusqu’au bout (vraiment, vous l’avez lue jusqu’au bout ?), et je vous dis à bientôt pour mon prochain blabla chatoyant !