Si vous suivez assidument cette newsletter, ou même que vous me suivez de manière plus générale sur les réseaux sociaux, il ne vous a sûrement pas échappé que j’emploie de manière quasi-systématique des mots qui pourraient faire sortir de leurs gonds (ou de leurs cercueils) les auteurs des siècles passés (et là, le masculin est volontaire… ! Comme quoi, l’écriture inclusive permet également des pointages bien spécifiques…). Auteurices. Lecteurices. Editeurices. Ou encore le diable en personne selon les puristes, le seul que l’on prononce comme on invoquerait les 8 cercles de l’enfer (en vrai, je sais pas combien y a de cercles dans l’enfer) : iel.
Preuve de leur “ambiguïté existentielle”, même le correcteur orthographique de Substack ne les reconnaît pas (bad Substack). Et pourtant, je les emploie. Je continuerai de les employer, de les répéter. Tout comme des milliers, des millions de personnes en France. Pour des raisons “humanistes” (même si je trouve aujourd’hui ce mot connoté péjorativement, parce que l’humanisme est un courant qui a été porté par des hommes blancs privilégiés et que ce mot est souvent l’excuse de certain.e.s allié.e.s pour se dédouaner de certains biais en mode “je ne vois pas les couleurs” ; encore un autre mot à se réapproprier, mais on en reparlera !), des raisons féministes, des raisons militantes, engagées, nous serons légions à continuer à les défendre. Et pour cela, il va aussi falloir que je vous dispense aujourd’hui des petits cours d’histoire…
Mais avant cela, un petit point sur votre humble rédactrice et sa newsletter, qui compte aujourd’hui 620 abonné.e.s ! Merci infiniment pour votre présence et vos retours précieux !
Je suis Ielenna, autrice hybride de l’imaginaire, qui aime un peu trop les parenthèses à rallonge et les GIFs absurdes. Toutes les deux semaines environ, je vous partage au sein de ce Blabla chatoyant ✨ mes réflexions personnelles à propos du monde de l’écriture, du milieu de l’édition francophone ou encore en matière de communication en tant qu’auteurice sur les réseaux sociaux. Mes archives commencent déjà à regorger de sujets divers et variés, et, pour le moment, je ne taris pas d’idées pour les prochaines !
On rappellera également que je ne suis pas une universitaire, professeure de français ou de littérature, ou une professionnelle dont la parole est d’or. Juste une autrice qui navigue sur le net des mots depuis 2006 et qui a vu beaucoup de choses passer en presque vingt ans (aoutch). Je ne manquerai pas de renvoyer vers des articles ou des travaux plus complets pour étayer, mais je ne pourrai évidemment que traiter mes sujets en “surface”, avec de probables biais ou approximations (je suis encline aux exagérations aussi, parce que je suis une grosse drama). Dans tous les cas, ne prenez pas mes positions et arguments comme argent comptant. Ici, on discute. On débat. On nuance. On réfléchit ensemble pour en ressortir grandi.e.s, ensemble.
Cette lettre étant (encore) trop longue pour être entièrement lue sur votre mail, n’hésitez pas à l’ouvrir en entier sur l’application Substack.
Et si vous n’êtes pas inscrit.e, n’oubliez pas de cliquer sur le petit bouton pour ne louper aucune de mes prochaines lettres !
Allez, on se lance ?
✨ Pourquoi cette lettre ?
Alors, d’où m’est venu l’envie / le besoin de me lancer (je vous épargne un nouveau gif) dans une lettre sur le sujet de l’écriture inclusive ? Surtout que je vous avais teasé début septembre une lettre sur le boycott. Eh bien, tout est parti d’un thread qui a fait beaucoup parler de lui. Je vous le recopie texto :
Je vois partout “auteurices”. s’il vous plait, arrêtez, ça n’existe pas. Vous ne savez pas écrire en français ? Je n’imagine pas la tête de vos livre…
Evidemment, un tel message a fait couler beaucoup d’encre virtuelle dans les réponses et dans les citations qui en ont découlées. J’y suis allée moi-même de mon petit grain, et certain.e.s détracteurices n’ont pas pu s’empêcher de prouver qu’iels ne comprennent pas toute l’étendue de la chose.
J’ai essayé de conscientiser la chose et de savoir quand est-ce que moi-même j’avais commencé à employer certains mots de vocabulaire. D’où m’est venue ce besoin de les utiliser.
Je me suis rappelée que j’ai découvert les mots valises vers 2018-2019, en écoutant le podcast des Couilles sur la Table, où Victoire Tuaillon utilise le mot d’auditeurices pour qualifier les oreilles attentives à ses paroles et à celles de ses invité.e.s. Je connaissais déjà l’emploi de certaines alternatives, comme auteur·trices, mais je n’y arrivais pas. Alors, déjà, parce que mon exemple est mauvais : en 2019, le mot “autrice” commençait à peine à réapparaître (oui oui, retenez, ce n’est pas un néologisme, nous y reviendrons plus tard). Mais surtout car cela me bloquait sur la prononciation à adopter. Tandis que des mots comme “invité.e.s”, à l’oral, ça ne se distingue pas.
Mais ce mot valise a révolutionné ma vie ! Je me suis dit, tant qu’à faire, pourquoi ne pas l’utiliser sur Instagram, dans notre communauté ? Dire auteurices ? Lecteurices ? Est-ce que j’étais la première à le faire, probablement pas. Mais dans mon petit cercle réduit de connaissances, je me sentais comme une sorte de pionnière, qui partait à l’aventure. De mémoire, je crois que je n’ai jamais eu de remarque, désobligeante comme juste curieuse, dans mes MP. Les gens l’ont accepté, comme un état de faits. Ont commencé à les utiliser aussi, pour certain.e.s. Avec le nouveau débat qui vient de resurgir, certain.e.s m’ont confessé qu’iels avaient beaucoup de mal avec, qu’iels ne parviendraient pas encore tout de suite à utiliser certains termes appartenant à la grande famille du langage inclusif, mais que le fait que je les utilise quotidiennement leur a permis une certaine habituation, que peut-être, un jour, iels s’y mettront. Et ça, c’est cool !
Je m’y suis mis dans un souci d’inclure tout mon lectorat, de manière large et indistinguée. Parce que oui, maintenant, quand je vois des thread tels que :
En tant que lecteur, préférez-vous [insérer ici toute question-choix incitant à la réponse pour engranger le plus de visibilité possible] ?
Je n’arrive même plus à répondre, ou en tout cas, à me sentir impliquée. Je ne suis pas un lecteur. Je ne suis pas même lecteur, en tant qu’adjectif. Je suis lectrice, une lectrice.
L’usage du masculin neutre m’est de plus en plus difficile à intégrer, pour plein de raisons. Mais d’abord, il est utile de procéder à un petit cours d’histoire pour comprendre les mécanismes en jeu et autres enjeux (dites-moi si je vous fatigue. Vraiment).
✨ Effacer les femmes
Je pense que cela n’échappe à personne : nous vivons dans un monde patriarcal, qui nous vend depuis des siècles ses mêmes valeurs androcentrées. Un bel héritage que nous commençons doucement à remettre en cause pour le bien de chacun.e, mais le travail sera encore long. Car nous avons derrière nous des siècles entiers de volonté d’effacer les femmes et toutes autres minorités.
Rien qu’hier, par exemple, nous sommes passés devant l’un des nouveaux Hôtels Littéraires. Alors, c’est quoi un Hôtel Littéraire, me direz-vous, parce que je l’ignorais aussi encore depuis hier : il s’agit d’une chaîne d’hôtels de luxe, à l’effigie d’un auteur de lettres classiques. Oui, j’insiste. Auteur. Et le site internet lui-même précise en gros dans son annonce de tête : “Une escale littéraire chez nos auteurs”. Nous avons donc le droit à des hôtels Stendhal, Rimbaud, Proust, Aymé, Flaubert, Verne et Vialatte (je vais concéder que je ne connaissais pas le dernier). Sept hôtels : zéro femme. Le ratio est pas bon. Certain.e.s pourraient me rétorquer “c’est parce qu’il n’y avait pas d’autrice classique à l’époque, voyons !”. Ah, si si. Il y en avait. Des talentueuses. Des célèbres. Elles ont tout simplement été : effacées.
Et là-dessus, je vous renvoie à l’excellent livre Les grandes Oubliées : pourquoi l’Histoire a effacé les femmes, de Titiou Lecoq. Je ne vais pas m’amuser à paraphraser tout son livre, que je vous invite très chaudement à lire / écouter en version audio, mais surtout citer un chapitre, à titre d’exemple, que j’ai trouvé édifiant. Pas dans le bon sens du terme.
Il s’agit du chapitre 9, à propos des autrices du XVIIe-XVIIIe siècle, et notamment de Catherine Bernard, une célèbre autrice de cette époque, et notamment la première femme dramaturge à présenter une pièce à la Comédie Française. Après sa mort, Voltaire a été accusé d’avoir plagié l’une de ses oeuvres, Brutus. Plutôt que d’admettre entièrement ses torts, l’auteur a expliqué que non, ce n’était pas Catherine Bernard qui avait écrit Brutus, mais Bernard de Fontenelle. D’où, pourquoi, comment, on ne sait pas. Toujours est-il qu’il a noyé le poisson sous ce type d’argument : “de toute façon, une femme n’est pas capable d’écrire une oeuvre correcte, donc si on admet que j’ai plagié, c’est que c’est forcément l’oeuvre d’un homme”. A titre post-hume, les oeuvres de Catherine Bernard ont donc été réattribuée à des hommes, de manière complètement ahurissante (et ainsi de faux liens familiaux avec Corneille, bref, la foire à la saucisse). Et il a fallu attendre les années 80 pour que des historiennes redécouvrent la vérité. Exhument également d’autres autrices, effacées, oubliées.
On peut aussi en vouloir au célèbre Bescherelle. Son livre de grammaire, édité et étudié par des millions d’élèves, a volontairement évincé toutes les femmes autrices. C’est-à-dire que, dans les exemples des règles grammaticales, n’étaient cités que des oeuvres écrites par des… hommes. Parfois par des femmes, mais seulement quand cela pouvait jouer en leur défaveur, ou que les autrices en question ne connaissaient pas le sens de la sororité. On mettait en avant les Thaïs d’Escuffion de l’époque. Des oeuvres, des existences entières, balayées, reléguées dans l’oubli collectif. Car une oeuvre dont on ne parle pas meurt. Et cellui à l’origine de sa création aussi.
Mais, évidemment, on se doute que jamais nous ne verrons ouvrir un Hôtel Littéraire Catherine Bernard ou Jeanne-Marie Leprince de Beaumont (d’ailleurs, je partage un point commun avec ces deux autrices, nous avons la même ville natale !). Et comme l’explique Titiou Lecoq dans son roman, quelque part, se réapproprier le mot “autrice”, c’est redonner une existence à ces femmes du passé et d’hériter, par-là, de tout ce matrimoine (encore un mot qui a été effacé, loin d’être un “néologisme de bonnes femmes qui hurlent seins à l’air sur les places publiques”). Enfin. Si c’était le seul mot à avoir été effacé.
✨ “Il faut arrêter de changer la langue pour des lubies !”
Tiens ! Voici ce qu’on aurait dû dire aux universitaires du XIIIe-XIVe siècle. Aux grands philosophes des siècles des Lumières. Aujourd’hui, en 2024, on est plus prompt à défendre une langue française, qui a été charcutée, au fil des siècles, au bon vouloir des hommes.
Par exemple, saviez-vous que le pronom neutre “el/al” existait au Moyen-Âge ? Que, par le passé, on pouvait même dire, plus logiquement, “el(le) était une fois” ? Qu’on pouvait dire “heureuse ? Je la suis !” (au lieu de je le suis, si c’est une femme qui s’exprime). Qu’on utilisait les accords de proximité (ex : “ces hommes et ces femmes sont belles”, car le mot le plus proche de l’adjectif est “femme”) ? Qu’on féminisait les participes présents (ex : “cette femme étante talentueuse”) ? Saviez-vous que nous parlions d’autrices ? De poétesses ? De philosophesses ? De jugesses ? De professeuses ? De doctoresses ? Ou même de peintresses ?
Ces mots, ces emplois, ces grammaires, ont existé, ont perduré pendant des siècles, ont été reconnus par de grandes instances. Jusqu’à ce que des hommes lettrés décident de les retirer de manière insidieuse, en cessant leur emploi, en utilisant à tout va un masculin neutre exclusif. L’Académie Française décide de couper dans le lard également, magnifique institution composée en majorité d’hommes blancs de plus d’un certain âge, et même pas forcément avec une formation de lettres, avec son incroyable quota de femmes… Et qui édictent, aujourd’hui, comment devrait être la langue. Sans la remettre en question, sans regarder au-delà des coupes exclusives qui ont excisés l’existence des femmes dans la sphère publique. Savez-vous, par exemple, que l’Académie Française a choisi d’inventer le mot “maïeuticien” à l’intention des hommes qui exercent le métier de sage-femme ? Parce que ça serait trop “féminisé” ? Hors, “sage-femme” fait référence à la femme que l’on fait accoucher. Ils ont décidé du changement d’un mot… sans même le comprendre. Après, j’essaie de me raccrocher à l’espoir à la fois taquin et cynique qu’ils ont ainsi inventé un terme inclusif à l’égard des hommes enceints. Merci l’Académie de penser aux hommes trans !
Et même aujourd’hui, sur certains postes de pouvoir, le féminin est encore mal accepté. Certain.e.s se fendent encore d’un “madame le directeur / le ministre”. Moi-même, le jour de mon mariage, je me suis entendue dire “madame la maire”. Et pourquoi pas “la mairesse” ? Quant au mot “maîtresse”, qui n’est qu’au final une féminisation du mot “maître”, comme maître de chantier, maître d’art, maître artisan, on lui connaît d’autres connotations, que ce soit comme la bonne femme qui s’occupe des gamins braillards dans des salles de classe (je fais exprès de tourner la phrase ainsi pour montrer que cette place n’a rien d’un titre prestigieux ou de noblesse auprès d’un certain public) ou qui détourne le bon mari de ses devoirs conjugaux.
De nos jours, le mot “autrice” est de plus en plus accepté, et c’est tant mieux, même si on lui connaît des détracteurices. Pourtant, il ne s’agit ni plus ni moins de la racine latine -tor, trix. Acteur, actrice. Lecteur, lectrice. Editeur, éditrice. Directeur, directrice. Je comprends totalement que certaines personnes privilégient le mot “auteure”. Cependant, quand on m’avance “c’est parce que je trouve autrice moche”. Non. C’est juste que vous n’êtes pas habitués car votre cerveau a été conditionné à ne pas l’entendre, à ne pas l’admettre. J’aimerais trouver l’étude que mentionne Pascal Gygax, psycho-linguiste, dans l’un des épisodes des Couilles sur la Table, expliquant que, quand on demande aux jeunes enfants de compléter “auteur, aut-…”, tous répondent spontanément “autrice”.
Je vous renvoie également à l’article d’Audrey Alwett, l’autrice de Magic Charly, qui avait déjà rédigé en 2016 un billet à ce sujet.
D’ailleurs, si vous êtes une femme qui écrit, comment vous désignez-vous, aujourd’hui ?
Sachant que d’autres termes émergent, tels que “autaire”, qui désignerait l’auteurice ne se reconnaissant ni dans le genre masculin d’auteur, ni dans le genre féminin d’autrice. Je n’ai pas à juger de ces termes. Tant que les personnes concernées sont à l’aise avec le mot qu’iels ont jugé bon d’adopter pour se présenter, c’est le principal. En fait, c’est ça, selon moi, le nerf de la guerre. La liberté du langage personnel.
✨ Injonctions au statu quo
Je crois que, ce qui m’insupporte le plus, sur les réseaux sociaux (ou même parfois en vrai), c’est quand on tient à me corriger, ou qu’un.e sombre inconnu.e m’explique que je ne devrais pas employer tel ou tel mot. Généralement avec l’excuse bidon “ça n’existe pas”. Meuf/mec. J’ai écrit des livres de fantasy ; j’ai inventé des mots, que j’utilise à l’oral pour parler de mes oeuvres, et PERSONNE ne m’a chié dans les bottes parce que “ça n’existe pas / j’ai inventé un mot”. Alors pourquoi on vient m’enquiquiner soit sur d’autres mots plus largement reconnus, voire exhumés du passé, comme les précédents ? On peut inventer des mots, selon moi, c’est OK, selon l’emploi, selon les personnes avec lesquels on les partage (évidemment, s’il y a des bachelier.e.s parmi vous, ne vous amusez pas à inventer plein de mots pour communiquer un message ! Ce n’est pas le but du tout !). Mais ces “nouveaux” mots auront une vie. Plus ou moins longue, avec plus ou moins d’ampleur, car ils servent à communiquer une pensée, un message, avec un public donné, qui répond à des références communes, à des imaginaires collectifs répondant à des valeurs données. Tant que le mot est compris, que son intention est saisie, alors qu’il a “raison d’être”. Une langue, selon moi, évolue selon les usages. Même selon nos âges respectifs. Nos bagages langagiers, nos milieux de vie. On pointe par exemple, à chaque génération, le langage atypique des jeunes. Des mots étranges, des expressions biscornues, PIRE, anglicisées ! Comme si l’individu à un instant T était immuable. Mais bref, je ne vais pas m’improviser linguiste, il y a des professionnel.le.s bien plus qualifié.e.s que moi qui ont parlé de ça !
Et au-delà de quelques corrections orthographiques (et encore, je ne suis pas fan dans des contextes d’emploi quotidiens. Corriger une copie, ok, corriger quelqu’un sur un post Instagram bof. Parce que fautes d’inattentions, autocorrection, dyslexie, etc.), il ne me viendrait même pas à l’esprit d’arrêter mon voisin en table ronde qui vient de dire “les auteurs” et de le corriger “T-t-t ! On dit les auteurices !”. Ou même si on me présente : “Ielenna, l’auteur de Persona”, je ne corrigerai pas sur le moment sur le ton du reproche, en revanche, s’il me vient l’espace de me désigner avec mes propres termes, oui, alors je me qualifierai “d’autrice”.
On veut employer un langage inclusif, OK. On ne veut pas employer de langage inclusif, OK aussi. Mais je ne supporte pas que l’une des catégories ce qu’il convient de faire, ou pas.
Et j’insiste sur les deux sens. J’ai déjà vu des personnes forcer en commentaire de vidéos TikTok, de la part d’une éditrice qui dit “les auteurs et les autrices” pour parler de l’autorat, en expliquant qu’il fallait qu’elle dise “auteurices”. Et ça, sur plusieurs vidéos de cette personne. Mais. Cette éditrice EST AU COURANT de l’existence du mot “auteurice”, il est même UTILISÉ dans ses légendes (qui donc ne sont pas automatiques, mais bien manuelles, puisque sinon elles la reprendraient mot pour mot). Si elle n’est pas à l’aise pour l’utiliser à l’oral pour l’instant, ou même pour toujours, qu’on lui fiche la paix ? L’inclusivité par la double flexion (c’est-à-dire l’emploi accolé des termes à la fois masculins et féminins) est totalement acceptée ! Voire encouragée ! Pourquoi vouloir dégoûter quelqu’un qui fait cet effort (parce qu’on rappelle que ce n’est pas ce qui nous a été enseigné sur les bancs de l’école ou via nos parcours personnels) avec des injonctions, que nous dénonçons à l’inverse ?
Et à mon sens, ça serait un raccourci facile et erroné de pointer du doigt les personnes qui n’utilisent pas encore tous les ressorts du langage inclusif (moi-même je n’en utilise que quelques facettes) en les traitant de transphobes, de sexistes, etc. Pour le moment, la langue française, telle qu’elle l’a été conçue par les hommes sexistes du XVIIIe, reste, hélas, “la norme”. Donc n’en voulons pas aux gens qui ont grandi dans la norme, avec des règles “normales” établies et répétées dès le plus jeune âge.
Selon moi, pour que le langage inclusif soit accepté, tant à l’écrit qu’à l’oral, nous avons un allié de force, qui parfois se présente comme notre ennemi : le temps. Même si nous avons, pour le coup, la tradition de notre côté (du moins pour les féminisations, moins pour les termes agenres), il faut laisser le temps. Utiliser quotidiennement, dans nos bouches, dans nos posts, ces termes, ces expressions. Oui, ça choque. Et j’ai déjà eu des yeux éberlués en conférence quand j’ai parlé des “lecteurices”. A la fin, avec les années, les gens s’y font. Parfois. Cela ne veut pas dire qu’iels les utiliseront. Mais qu’iels les accepteront. Et c’est déjà énorme. La langue se forme à l’usage, pas à l’obligation. Ca serait reprendre les préceptes des masculinistes d’antan qui ont modelé la langue seulement de la manière dont ils le souhaitaient. Une langue est vivante, plurielle, s’adapte. On joue avec les mots, les effets de style.
Avec de la patience, de la conviction, de la tolérance, peut-être qu’un jour, dans dix, vingt, trente, cinquante, cent ans, ce qui est considéré comme une aberration aujourd’hui sera considéré comme “normal”. Mais forcer quelqu’un à l’utiliser n’aboutira qu’à un blocage. Et c’est ce qu’il y a finalement de pire.
✨ Conscientiser nos usages
L’écriture est politique. La langue est politique. Et chaque mot a sa raison d’être. Chaque mot déclenche une image, une idée, une association. Et selon moi, le langage inclusif, ce n’est pas seulement dire “iel”, “celleux” ou d’employer des mots-valises “eurices”. C’est également penser au sens de chacun de ses mots, de l’ordre dans lequel on les met (même si on dit “mesdames et messieurs”, vous verrez souvent qu’on mettra l’homme en premier. Adam et Eve. Pierre et Marie Curie. Roméo et Juliette. Tristan et Iseult…)
Pour donner des exemples, on m’a toujours dit “l’homme préhistorique”. “L’homme de Néanderthal”. On se figure un passé de l’humanité composé, ou du moins dominé, par des hommes. “Les bâtisseurs de cathédrale”. Jamais il ne m’est venu à l’idée qu’il existe des bâtisseuses de cathédrales. A l’inverse, on a tendance à beaucoup féminiser d’autres métiers, comme les infirmières. Car les masculins “neutre” ont crée des images très précises, dans mon imaginaire. Ou même dans l’emploi des mots, dès le plus jeune âge. Les petits mecs courageux et costauds. Les fillettes calmes et sensibles. Nous devons “dégenrifier” nos imaginaires. C’est ptet relou, c’est ptet un combat de bas étage, il n’empêche que l’imaginaire façonne des vies et nos sociétés sur comment nous aimerions la faire figurer. Et je pense qu’il n’y a pas de petite lutte.
Alors, certain.e.s me diront qu’on joue à la majorité. D’ailleurs, il s’agit d’un pan de la lutte féministe actuelle. S’il y a plus de femmes que d’hommes dans une assemblée, on dira “elles”, par exemple. Dans l’idée, je suis complètement d’accord ! Dans un emploi direct et non public. C’est-à-dire, nous sommes un groupe fermé, par exemple en formation, en conférence, il y a plus de femmes, oui, pourquoi pas mettre le pluriel au féminin exclusif.
Cependant, je n’en suis pas fan non plus, par rapport aux histoires d’imaginaires collectifs et de ce qu’on peut qualifier de stéréotypes, quand on aborde des sujets généraux et publics. Et je fais prendre justement le domaine de la lecture pour exemple. Des autrices, des lectrices ou d’autres personnes du corps autoral/lectoral/éditorial (je rêve d’un nouveau mot qui regrouperait tous les auteurices du monde du livre sous une même bannière !), disent “les lectrices” pour désigner le lectorat, car majoritairement composé de femmes. Me concernant, je ne suis pas d’accord, et j’utiliserai plus largement “les lecteurices” ou “le lectorat”. Et ce n’est pas une question de ne pas blesser l’ego des hommes “ouin-ouin” ou de lutter contre la “discrimination anti-homme”. Parfois, ça leur fait du bien de leur montrer par l’exemple concret ce que ça fait de se sentir exclu, rien que par le langage !
Non. Mon point, c’est qu’en utilisant le mot “lectrice”, on va féminiser dans l’imaginaire un usage, un loisir, que l’on aimerait agenre. Aboutir à un syndrome des “infirmières”. Or - et on en avait parlé dans la lettre sur les livres destinés à la jeunesse - les jeunes hommes lisent de moins en moins de romans. Adolescents, ils se dirigent plus largement vers les mangas, les BDs. Mais pas forcément les romans. Alors si, en plus, on leur dit “les lectrices”, ils vont juste se dire “c’est pas pour moi”, tout comme je me sens de plus en plus “exclue” quand on me dit “auteur(s)”. Donc oui, peut-être qu’utiliser le mot “lecteurice” est un peu un pansement sur la plaie béante du patriarcat et de la préciosité de l’ego masculin, il n’empêche que cela ne changera pas la réalité actuelle : nous vivons encore dans un monde patriarcal.
Si vous suivez un peu le monde du jeu vidéo, un jeu a récemment annoncé l’ouverture d’un nouvel opus d’une série, avec comme personnage principal une femme. Et seulement une femme. Cela a évidemment fait un tôlé dans la communauté masculine, même si, ET HEUREUSEMENT, beaucoup d’entre eux ont défendu le fait que c’était OK. Nous, femmes, avons dû longtemps nous accommoder de personnages masculins, de héros de la littérature masculins, ce qui ne nous a pas empêché de nous identifier. Peut-être parce qu’en tant que femmes, nous disposons de plus d’outils d’empathie, puisque nous serions destinées à être celles qui sont médiatrices, celles qui s’occupent d’offrir les cadeaux à toute sa famille à Noël (y compris ses beaux-parents !), celles qui apportent des fleurs chez des hôtes, bref, celles qui se mettent à la place de. Tandis que la plupart des hommes, on ne leur a jamais enseigné à en faire de même et que, toute de suite, confrontés à un personnage féminin, c’est plus difficile de s’identifier que de jouer Spyro le dragon ou Sonic le hérisson.
Et donc bref, pour en revenir à mon histoire de lecteurs/lectrices/lecteurices, pour moi, on convergerait plus facilement vers une lutte féministe mixte et ouvertes en incluant les hommes lecteurs dans notre passion, plutôt que de les mettre de côté, rien que par les mots. Oui, c’est chiant, mesdames, mais selon moi, du fait de nos éducations de genres respectives, c’est ce qu’il y aurait de plus approprié. Et comme précisé au-dessus, c’est ma manière de voir les choses, mais je ne l’imposerai à personne et il ne me viendrait pas à l’esprit de corriger quelqu’un qui dit “les lectrices” pour parler du lectorat de manière large. Je vous explique juste ma conception des choses et le pouvoir des mots, qu’il nous est essentiel de conscientiser.
✨ Nos ami.e.s les dyslexiques
Quand émerge le débat du langage inclusif, vous aurez FORCÉMENT quelqu’un pour vous dire
“Ce n’est pas inclusif pour les dyslexiques ! C’est plus difficile à lire !”
Alors, j’ai plusieurs arguments à apporter :
Aucune étude fiable et valide n’a prouvé à ce jour que le langage inclusif, notamment l’usage du point médian, est plus difficile à lire pour les dyslexiques.
Selon le type de dyslexie, le point médian permettrait même une meilleure découpe du mot à la lecture.
Certaines personnes dyslexiques profitent des adaptations mises à leur disposition, telle que la lecture vocale, ce qui leur permet de lire plus facilement, quel que soit le langage employé.
Il est probable que les personnes dyslexiques n’aiment pas qu’on parle pour elleux.
Il est probable que les personnes dyslexiques n’aiment pas être utilisés comme token, instrumentalisé.e.s parfois dans des argumentaires ouvertement transphobes, masculinistes ou régressifs. Iels ont rien demandé.
Il est probable que les personnes dyslexiques soient les premières à se réjouir des adaptations de la langue. Je pense que beaucoup d’entre elleux sont d’accord pour que le langage s’adapte pour la population féminine et non-binaire.
Chaque personne dyslexique est différente. Si une personne dyslexique vous dit qu’elle n’a pas réussi à lire/comprendre la consigne “inclusive”, alors cela ne signifie pas qu’il en sera de même pour toutes les personnes dyslexiques.
Les gens sont plus prompts à défendre les personnes dyslexiques quand on parle du langage inclusif, mais quand on parle de simplifier la langue pour les aider, comme d’écrire “onion” au lieu de “oignon”, les vestes se retournent si vite qu’on pourrait inventer l’électricité si elle n’avait pas déjà été créée.
En fait, je trouve cela vraiment très hypocrite d’avancer l’excuse des personnes dyslexiques quand ça arrange ; or, ces personnes ne SONT PAS des arguments. Leur situation demande des études, des analyses, mais ce n’est pas un joker en mode Dragon Bleu aux Yeux Bleus. Certes, je ne suis pas dyslexique, juste une ergothérapeute valide. Les jeunes dyslexiques, je les accompagne au quotidien. Même si j’en ai connus des centaines, voire des milliers, cela ne me permet pas de parler avec du vécu, mais en tant “qu’avocate” de leurs droits fonctionnels. Je dois me battre tous les jours pour demander des consignes adaptées, des supports grossis, des polices spéciales, l’autorisation d’utiliser l’ordinateur. Y a personne pour les défendre. Par contre, quand il s’agit du langage inclusif, y a du monde.
Les mêmes personnes qui se plaindront quand leur salle de bains est trop grande à cause de ces fichues normes PMR. Qui trouvent qu’on en fait trop pour “deux-trois handicapés” qui passent par-là. Défendre la cause du handicap, finalement, ce n’est que quand ça vous arrange, pour une histoire de confort, de traditions. Parce que si on vous disait que les corrections vert/rouge, c’est pas pratique pour les élèves daltoniens, étrangement, je pense que certain.e.s seraient plus prompt.e.s en disant que c’est n’importe quoi / génération de fragiles / nous, de notre temps, on se débrouillait comme on pouvait !
Donc : foutez la paix aux dyslexiques. Iels se sont adapté.e.s malheureusement toute leur vie du fait de leur neuroatypie, on continuera à trouver des solutions pour chacun.e. Mais cessez d’instrumentaliser leur situation pour défendre vos discours parfois puants.
✨ Le cas Persona
A partir de là, je vais commencer à parler de ma manière à moi d’appréhender le langage inclusif dans mes travaux d’écriture. Et évidemment, on va surtout parler de Persona, même si je parlerai ensuite du projet “Petits Dragons Mignons” (un jour, dans une lettre, vous aurez le droit au titre définitif).
🎭 Andrea
Evidemment, quand on parle “langage inclusif” et Persona, on pense FORCEMENT en premier à Andrea, protagoniste au centre de cette saga. Et vous l’avez peut-être remarqué dans mes précédentes newsletters ou dans mes communications sur les réseaux sociaux, mais j’utilise volontiers le pronom “iel” pour désigner Andrea, qui est un personnage genderfluid, c’est-à-dire qui navigue entre les genres, tantôt plus masculin, tantôt féminin, tantôt ni l’un ni l’autre. Pourtant, le livre est au “il”. Que s’est-il passé ?
J’ai écrit tout ce roman avec la narration omnisciente avec le pronom “il”, cependant, tous les dialogues s’adressant à Andrea sont au neutre. Soit avec l’emploi de mots épicènes, soit en usant d’une gymnastique des mots. Par exemple, plutôt que de dire “je te sens inquiet”, tourner cela en “tu as l’air de te faire du souci”. Dire “je te sens triste”, OK. Même dire “je te sens terrifié”. Pourquoi ? Parce qu’à l’oral, et c’est un dialogue, terrifié et terrifiée se prononcent et s’entendent pareil. Pour contrebalancer l’emploi du “il”, on a d’autres rappels par-ci par-là, notamment son meilleur ami, Evander, qui lae surnomme volontiers “ma belle”. C’est du langage inclusif, en soi.
Quelques semaines après la signature du contrat, nous avons eu notre première réunion éditoriale par zoom. Et je crois que ma première question, c’était “bon, qu’est-ce qu’on fait, on passe au iel ?”. On en a débattu. Et finalement… nous avons décidé de rester au “il”. Parce que les gens “n’étaient pas prêts”. Une vérité, mais en même temps, l’immobilisme ne permet pas de changer les lignes et d’habituer les gens. En fonction de ce qui est prévu pour la saga, je ne sais pas trop ce que je ferai. J’écris en “il”, car je ne suis pas encore assez habile pour écrire directement en “iel”, mais ça se change à la réécriture. Ou est-ce que je garde l’unité ? On verra bien. Je ne suis pas encore décidée.
Quoiqu’il en soit, j’ai dû rester extrêmement vigilante pour que ma volonté de “neutrifier” (vous voyez, un mot que j’invente pour m’aider dans le contexte. Il existe sûrement un bon mot pour ça, mais au moins, vous comprenez le message !) au maximum le personnage d’Andrea soit respecté. Par exemple, quand la correctrice voulait me changer les “Andrea” en “le jeune homme” (y a des limites !). Les résumés sont d’ailleurs complètement neutres. Et ce qui est “rigolo”, c’est que le prénom Andrea étant connoté féminin en France, il est fréquent, pendant les salons du livre, que des visiteureuses me posent des questions sur Andrea… au féminin ! “Ah, alors, elle peut changer d’apparence ?”. Je ne les reprends pas. Au contraire. Andrea vit avec tous les pronoms, et c’est OK. Moi aussi, dans mon pitch, j’ai “neutrifié”. Ce qui fait que personne ne peut savoir, à moins d’ouvrir le livre, si on y découvrira un il/elle/iel.
Et malgré son non-appartenance à un genre, cela n’a pas empêché à des dizaines (des centaines ?) de lecteurices de s’identifier à ellui. Puisque de toute façon, Andrea est personne et tout le monde ; Andrea est Persona.
(deux autres personnages sont “neutrifiés” : Eden et l’Edile, dans le tome 2 et dans la suite)
🎭 Changer les imaginaires descriptifs
Qu’est-ce que je veux dire par-là ? On va faire une expérience. Je vais vous dire un seul mot : princesse.
Je veux que vous imaginez une princesse, vite, là, maintenant. Même si vous avez voulu à contrecourant en modelant votre pensée, il est assez probable que l’une des premières images qui vous soit venue, c’est une jeune femme, belle, blanche, cheveux blonds, longs, en robe pastelle, souriante. L’image de la princesse, le fameux stéréotype, c’est-à-dire l’idée collective qu’on se fait du mot.
Il va en être de même pour ENORMEMENT de choses. Et rien que le fait de décrire TOUTES les peaux de personnages m’a semblé primordial, car dans l’imaginaire collectif, un personnage dont la peau n’est pas décrite sera forcément blanc. Ainsi, Andrea a un grain laiteux mais qui bronze très facilement au soleil ; Evander est très pâle, avec une peau criblée de tâches de rousseurs et qui crame au soleil, ou qui vire à l’écarlate quand il est gêné ; Thisbé a une peau noire d’un teint uni, chaud et particulièrement foncé ; Eloïse est recouverte de tâches décolorées, certaines marquées par les reliefs de cicatrices de brûlures.
Et finalement, en apportant des descriptions, des analogies, les gens déconstruisent tout un schéma de pensée. Un exemple : le personnage de sœur Agnès, que beaucoup pensaient… vieille ! A travers son comportement, son rang de Princeps. Et pouf, deux lignes plus tard, on précise : elle a trente ans. Bref. J’aime créer des petits courts-circuits dans la tête des gens !
🎭 Féminiser dès que c’est possible
Je pense qu’il y a assez peu de titres, de rôles, qui ne sont pas inaccessibles tant aux hommes qu’aux femmes dans l’univers de Persona, même si l’univers est parfois teinté des mêmes relents patriarcaux. Le seul rôle exclusivement masculin, c’était celui de l’Incarnatus (et les lecteurices du tome 2 rigolent bien en lisant ça). Son homologue, l’Edile, est sans genre. Mais il y a des rois, des reines, des responsables hommes, femmes, des chef, des cheffes, possiblement un Imperium ou une Imperia. Bref, là-dessus, on est assez ouvert sur la question.
Puis j’ai poussé les choses plus loin. Dans le tome 3 (mini spoiler, mais pas grand-chose du tout), la princesse Eloïse décide de reprendre les rênes de son territoire, qui s’appelle le Royaume d’Argent. Evidemment, elle ne l’appellera jamais sur cette dénomination, lui préférant… le Reinaume d’Argent. Extrait ?
— […] Les répercussions de la révolte de Pyxis ne tarderont pas à frapper à nos portes et je refuse que notre reinaume soit considéré comme responsable des actes commis par le passé par mon père. Nous vivons dans le présent ; agissons comme tel.
Un mot en particulier fut tiquer le seigneur Quirin, qui remonta sa toge d’un geste de malaise.
— « Reinaume » ? Quelle est cette étrange dénomination ?
— La nouvelle qu’il conviendra d’utiliser.
— Votre Majesté, se permit-il, voûté, dans un rictus gêné, vos… initiatives ont d’ores et déjà outrepassé un certain nombre de… protocoles communément admis. Prétendre au sacre de reine sans mari, choisir votre Pontifex sans l’aval de vos humbles conseillers… mais cette fantaisie ! Admettez, Votre Majesté, qu’il s’agit d’un…
— J’aime employer les mots justes, le coupa Éloïse. Je suis reine à présent. Ce territoire est sous mon autorité directe. Sa nouvelle dénomination sera donc désormais le Reinaume d’Argent. Que vous le vouliez ou non. Vous pourrez revenir à vos anciens usages s’il me vient un jour l’idée saugrenue d’engendrer un fils.
— Sur tout votre respect, Votre Majesté, je n’approuve pas la manière dont vous remettez en question plusieurs siècles de traditions, gronda Quirin.
Thisbé devina au sourire d’Éloïse qu’elle s’apprêtait à lâcher une réplique cinglante.
— Et je n’apprécie guère la manière dont vous vous permettez de remettre en question mes positions sous prétexte que je sois jeune et que je sois une femme. Voulez-vous continuer notre joute aux « mots justes », seigneur Quirin ? Fort bien. Appelons un chat un chat ; appelons un reinaume un reinaume ; et appelons un incompétent un incompétent. Si vous aviez déployé autant d’efforts à servir votre peuple qu’à traquer des Touchés, cela fait des décennies que cette contrée n’aurait plus connu la faim. Tous les Filons que le Culte vous a reversé pour avoir débusqué des enfants, quand les Escadrons Rouges ne vous les raflaient pas, vous les avez remis aux plus démunis, rassurez-moi ? À moins qu’ils n’aient profité à votre resplendissante Villa Pallida ?
Le visage de Quirin s’était dégorgé de ses couleurs. Seigneur Hadelin, lui, étira un petit sourire satisfait.
Et c’est logique, en fait. Elle est reine, c’est un reinaume. Il redeviendra royaume quand un roi sera de nouveau à sa tête. Point.
Bref. Persona use de bien des moyens d’utiliser l’écriture inclusive, même si les romans ne reprennent pas certains codes caractéristiques et décriés par les plus réticent.e.s comme le iel. N’oubliez pas d’ailleurs que Persona a sa version poche, désormais, et que Mini peut être lu à partir de 13-15 ans (merci encore à tou.te.s les professeureuses [je crois que c’est la première fois que je l’utilise, celui-là ! Généralement, je me contente de “les profs” #flemme] qui le font étudier en classe, Lumière sur vos têtes !)
✨ Le cas Petits Dragons Mignons
J’ai globalement suivi les mêmes directives pour le projet des Dragons choupis. Même si, pour le coup, je pense que le travail n’est pas aussi élaboré, ou du moins, pas dans la même manière que Persona. Si Persona déconstruit les idées de genres et se posent des questions sur notre manière de vivre avec les autres, en tant que société, en tant qu’individu avec ses valeurs, Petits dragons s’intéresse aux masculinités et au poids des traditions familiales. On reste peut-être dans une idée de démasculinisation, du moins de déconstruction, mais moins en passant par le langage, je pense, pour le coup.
L’écriture inclusive se distingue moins, car elle sera, pour le coup, plus passe-partout. Mais j’ai tenu à rester égalitaire dans les rôles sociaux, aussi bien dans des sphères familiales que professionnelles. Avec un père qui s’occupe de ses enfants, qui a été un temps père célibataire ; une capitaine de police (et d’ailleurs, j’ai fait exprès de garder des titres d’officiers qui soient épicènes ! Elle est capitaine, désire devenir commissaire. Elle n’est pas lieutenantE, pas sergentE. Car je ne voulais pas que son genre soit la première chose que l’on considère à travers le féminin du mot, mais bien son titre.
Disons donc qu’elle se jouera sur du détail, mais que j’y ai prêté attention malgré tout… Eh oui. L’écriture inclusive, comme vous avez bien compris au travers de cette lettre, ce n’est pas seulement des histoires de points médian et de “eurices”. Ca se joue aussi ailleurs !
✨ Aller plus loin ?
Bien d’autres initiatives ou réflexions pourraient être conduites pour aller encore plus loin dans le concept du langage inclusif. Rien qu’une refonte du clavier AZERTY pourrait être intéressante, afin d’intégrer le point médian, sans avoir à faire une combinaison digne d’une invocation de Belzébuth. A défaut, il est vrai que nous sommes nombreux.ses à utiliser le point, un tiret ou des parenthèses, et que ces variations ne permettent pas une unification durable et “sérieuse” auprès des détracteurices de ces usages. Les allemands, par exemple, eux, utilisent l’astérisque.
Il est vrai que le français est en retard par rapport à d’autres pays, du fait des origines de sa langue et de l’avantage d’autres à utiliser des pronoms neutres, à commencer par l’anglais, qui utilise le “a/an” impersonnel, ainsi que le they. Neutraliser entièrement une langue aussi complexe que le français me paraît impossible (parce que dire un.e girafe ? un.e chaise ? lae ciel ?), mais commencer à démocratiser le iel(s) serait déjà un bon début au niveau des pronoms quand on parle de personnes. Ainsi que ces mots valises comme celleux.
Et puis, on pourrait carrément avoir des typographies inclusives non-binaires, ou dites post-binaires. C’est-à-dire des polices d’écriture avec des caractères à deux lettres (ou plus), permettant la lecture simultanée des variations d’un même mot. Dans l’aire francophone, le graphiste Tristan Bertolini a d’ailleurs reçu le Prix Art Humanité de la Croix Rouge pour ses travaux en 2020 sur une nouvelle typographie.
Alors oui, ce n’est pas évident, du premier abord. Et là, je pense qu’il serait très intéressant de mener des études comparatives, sur la vitesse de lecture, à J0, puis à J+X après usage quotidien, aussi bien chez des personnes neurotypiques que dyslexiques, ou même entre vitesse de lecture avec typographie normale / inclusive, à condition évidemment d’avoir fait baigné la personne dans ce “bain typographique” pour ne pas créer un effet nouveauté qui demande un apprentissage supplémentaire (cette phrase était beaucoup trop longue).
Quoi qu’il en soit, nous pouvons tou.te.s d’ores et déjà réfléchir à ce que nous pouvons mettre en place, de manière individuelle. Me concernant, essayer de comprendre et d’utiliser davantage la particule -x par exemple. De poursuivre la déconstruction des mots, et pas seulement sur ceux qui nous paraissent les plus évidents. Et même si vous ne vous sentez pas prêt.e.s à l’utiliser, juste le fait de l’accepter dans le discours d’autrui, sans vous sentir obligé.e.s d’intervenir et/ou de corriger, c’est déjà énorme.
✨ Quelques (res)sources pour aller plus loin
Les Couilles sur la Table ; écriture exclusive 1/2
Avec Sandrine Zufferey et Pascal Gygax, psycholinguistes, co-auteurices de « Le cerveau pense-t-il au masculin ? » (co-écrit avec Ute Gabriel)
Les Couilles sur la Table ; écriture exclusive 2/2
Avec Éliane Viennot, historienne, autrice de “Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin ! : petite histoire des résistances de la langue française” ; “Le langage inclusif, pourquoi ? Comment ?” ; “En finir avec l’homme”
Les Grandes Oubliées, de Titiou Lecoq
Petite recommandation de lecture ici aussi : Le français est à nous, de Maria Candea et Laélia Véron, deux linguistes pour le coup. C’est super et ça interroge plein de sujets (et donne des tas d’arguments pour répondre à celleux qui disent « ça n’existe pas »)
Si je peux aussi recommander une lecture allant dans le sens de ce que tu écris : Pour une langue sans sexisme de Céline Labrosse. L'autrice est doctoresse en linguistique et elle apporte de nombreux points avec des exemples en se basant sur le côté langagier ! 😄